Opposition : l’autre calamité nationale Par Adama Gaye*

par Dakar Matin

“On ne peut applaudir avec un seul doigt” -proverbe chinois.“Unis, nous vaincrons; divisés, nous tomberons” -Nkwame Nkrumah.* En observant le jeu politique sénégalais, on a besoin nullement d’en être un expert pour réaliser que le régime en place, à l’origine des plus grands forfaits contre la nation, qui le disqualifient, n’en constitue pas le principal goulot d’étranglement, mais partage ce statut avec son opposition !

Chaque jour, aux yeux d’un peuple abasourdi, en quête de pistes pour trouver le bonheur qui lui avait été promis à l’avènement du pouvoir actuel, élu en 2012 pour qu’il l’installe sur la voie de la prospérité, le spectacle qui se donne à voir ne porte plus seulement ces crimes financiers, fonciers et fiscaux, le bradage et la privatisation des ressources naturelles, dont les hydrocarbures, du pays. Ni celui de l’incompétence toujours plus violente à la face de citoyens sonnés de réaliser combien leur choix électoral fut plus qu’hasardeux, créateur d’une criminalité d’Etat jamais imaginée au Sénégal, sous le leadership rapace d’un Macky Sall, incapable et impréparé à porter les charges d’une fonction qui dépasse ses épaules.

Face à sa fatuité, qui le fait courir derrière des décorations vaniteuses, comme celle que l’ami des dictateurs, l’institut africain-américain de New York, veut lui donner aujourd’hui, en marge d’une assemblée générale de l’organisation des nations-unies (ONU) signant la déshérence de cette dernière, ou à la lumière de ses décisions irrationnelles, qui le font tourbillonner entre Kaolack, Bissau, Touba, Paris, en âme perdue, et au milieu d’une économie nationale brutalement abattue, dans le coma, depuis le déclenchement de la pandémie du Covid19, le terrain semblait être divinement balisé pour qu’une force de proposition alternative se donne les moyens, et la légitimité, le soutien populaire de le déboulonner. Or, dans ce climat qui est propice à l’émergence d’une opposition résolue et crédible, porteuse de réponses aux angoisses d’une population sénégalaise qui n’attend que cela, c’est le moment où les forces qui doivent l’affronter se distinguent par leurs gamineries, leurs bisbilles, leurs querelles de clocher autour d’enjeux et de positionnements secondaires. L’opposition sénégalaise est devenue le vrai mal du Sénégal. Quiconque la scrute ne voit, à perte de vue, qu’un déferlement d’égos surdimensionnés, d’envies de percées solitaires, d’égoïsmes y relatifs, de propositions aussi loufoques qu’opportunistes, marquées au coin d’une absence de pro-activité frappante, et d’une division mortelle dont la conséquence la plus prévisible est de réussir la course vers une défaite prévisible.

En cela, l’opposition sénégalaise, assise sur un nuage de certitudes, n’est en rien différente de celles des pays africains, toutes championnes dans les tirs sur les pieds qu’elles se donnent par je-ne-sais quelle volonté autodestructrice qui les caractérise. Regardez comment en Gambie, une alliance entre le pouvoir chancelant d’Adama Barrow avec les forces restantes de l’ex-dictateur déchu, Yaya Jammeh, a porté une estocade fatale à l’opposition locale. Dans la tradition du cynisme politique et des manœuvres qui l’accompagnent, cette union contre-nature fut suffisante pour bloquer une constitution que ses adversaires pensaient être la meilleure du monde pour ferrer le patron de State House, tout illégitime qu’il soit. Cela s’est passé voici quelques jours, et l’opposition, qui se croit sortie de la cuisse de Jupiter, dirigée par un Ousseynou Darboe, toujours pas revenu du sentiment que la présidence du pays était son dû, s’en est trouvée durablement marginalisée.

L’exemple Gambien, pour être le dernier, n’est pas le seul qui montre l’inanité des oppositions, particulièrement en Afrique de l’Ouest. Celle du Mali en est une autre illustration : mise à l’écart après le putsch des militaires du 18 Août, bien qu’ayant joué un rôle majeur dans la mobilisation des foules pour obtenir le départ de l’ex-Président IBK, elle pleure ses erreurs de calculs politiciens. Quid des opposants aux présidents Ivoirien et Guinée, Alassane Ouattara et Alpha Condé, théoriquement des usurpateurs qui ont déverrouillé les constitutions de leurs pays respectifs pour briguer un troisième mandat moralement inacceptable ? Ils découvrent qu’ils font face à des rivaux de paillette, divisés, sans offre programmatique, sans épine dorsale solide, et réduits à compter sur la révolte des masses ou des militaires pour espérer conquérir le pouvoir.

En réalité, la géographie des oppositions africaines est pleine de ces comportements douteux voire enfantins, presque portés par des attitudes immatures, et nul ne s’étonne dès lors qu’elles se fassent gruger continûment. La politique, elles l’oublient souvent, c’est aussi le champ des manœuvres et des coups tordus, ce n’est pas un terrain où les enfants de chœur peuvent éclore. Le cas du Sénégal est encore plus inquiétant. Sur l’espace qu’elle occupe, l’opposition s’illustre par une incapacité à extraire de ses rangs les taupes du pouvoir, parmi ses distingués membres, qui y opèrent ; elle semble n’être qu’un conglomérat épars de mannequins politiques, dévoilant, narcissique, ses atours, à un public plus soucieux de son mal-être, de ses malheurs, au milieu des inondations et des maladies, de la pauvreté et du chômage. Il suffit d’écouter son discours et de voir ses postures politiciennes pour aisément deviner qu’elle concentre les recettes des déconfitures en série qui l’attendent sur sa route. Jamais l’a-t-on vue prendre une position de principes sur des questions fondamentales. Prenez le cas d’un Assane Diouf, illégalement détenu, insulte au respect des droits humains et des libertés individuelles. Les opposants tremblent à l’idée d’être, pensent-ils piteusement, associés à quelqu’un que la vulgate d’Etat a présenté comme un insulteur public.

J’ai ressenti leur lâcheté quand je m’étais retrouvé pris en otage par un Etat délinquant. Souvent, je me demande pourquoi l‘opposition ne se mobilise pas, rangs serrés, pour rendre visite non seulement à l’un des détenus politiques nombreux qui balafrent le régime actuel, genre Guy-Marius Sagna, mais aussi s’enquérir de la situation des prisonniers, même de droit commun, et le faire au moyen d’une déclaration commune lue par l’un de leurs membres ? Cela aurait eu de la gueule. Sur les inondations, la gestion criminelle des fonds Covid, les tripatouillages du calendrier et du fichier électoraux, l’instauration de clauses censitaires, notamment le parrainage et les cautions exorbitantes, ou encore les détournements infinis des biens publics, en particulier le foncier et les ressources naturelles, la paix en Casamance, sans compter les grandes questions sociétales, le sentiment ethno-religieux et xénophobe, exalté, les failles d’une école pourtant méritante, les dérives sexuelles, comme la montée de l’inceste et des violences conjugales, l’insécurité dans le pays et sur les routes, les déficiences d’infrastructures, l’alignement politicien de notre diplomatie et j’en passe, il ne manque pas de zones de convergences minimales qui devraient pouvoir réunir tous ceux qui estiment que le pays est sur une mauvaise pente sous le pouvoir en place. Qui est dès lors surpris de l’apathie qui les a atteints quand l’an dernier, en plein jour, le régime de Macky Sall a volé les résultats du scrutin présidentiel pour se déclarer vainqueur au premier tour, sans qu’aucun des opposants n’ose lever la voix ?

Entre mallettes de milliards envoyés à certains d’eux, promesse de se voir attribuer un statut corruptogène de chef d’une opposition à sa majesté, ou encore participation rémunérée à un factice dialogue dit national, les preuves de la compromission de l’opposition sont innumérables. C’est d’ailleurs comme si elle n’attendait que la pandémie du coronavirus pour l’officialiser en se rendant à Canossa, au Palais de la République, prétendument parce que, disaient-ils, la voix tremblotante, le peuple en avait fait une demande, ce qui est faux. En Mars 2012, alors que les sénégalais étaient sortis de leur léthargie affrontant à mains nues la soldatesque de l’ex-pouvoir de Wade, au point d’y laisser des morts, l’opposition sénégalaise, la vraie, s’était laissée rouler dans la farine en ne comprenant pas qu’un complot était en cours pour que le Président contesté file le témoin à son faux adversaire, Macky, plus maquillé qu’il n’en donnait l’air.

La traque des biens mal-acquis et des hommes malhonnêtement enrichis sous le régime sortant ne fut, sous ce rapport, qu’une vaste comédie, une escroquerie politique, d’où rien n’a résulté en dehors des brouhahas médiatico-judiciaires. Huit ans plus tard, le fait est là, indéniable : c’est le régime de Wade, celui honni et combattu, qui est en place, et les discussions autour de la formation, annoncée d’un gouvernement dit de majorité présidentielle élargie ne sont que la confirmation de la reconstitution officielle du pouvoir libéral qui, depuis l’an 2000, dépèce notre pays, dans une logique prédatrice qui n’a jamais été démentie.

Parce que l’opposition, celle qui n’est pas dans la boucle des deals d’un libéralisme champion dans le double-jeu, n’est pas en mesure de dépasser ses certitudes et de cesser d’être étourdie, éblouie, par les bruits de fond, les flonflons des fans, constitués de chasseurs de postes et privilèges autant que de naïfs, qui croient que le pouvoir sera dévolu aisément par les urnes à leurs champions respectifs, le risque est réel de voir plutôt, si rien n’est fait, se matérialiser la prophétie du Pape du Sopi, à savoir la pérennisation au pouvoir de ses ouailles sur au moins 50 ans. Les libéraux ont un champ libre. Il s’étend sur un spectre allant du PDS à l’APR jusqu’aux formations insignifiantes nées de leurs flancs ont l’avantage d’avoir…pillé les finances publiques. Ce qui leur permet d’occuper le terrain, corrompre, voire acheter les votes, d’une population appauvrie, et de se coltiner avec les forces sociales, syndicales, religieuses, et même sportives, y compris par les regroupements citoyens autour de groupes Whatsapp et de Panels réunissant des amis d’enfance ou d’affinités sportives ou économiques.

Si l’opposition n’arrête pas ses enfantillages, si elle ne comprend pas qu’elle ne gagnera qu’en dépassant ses lubies infondées, si elle n’envoie pas au pays et au peuple une maturité et une capacité de propositions qui mettraient la bride au cou de ses fanatiques, elle sera l’alliée objective du pouvoir crapuleux qu’elle prétend combattre. La pire des choses, chez un leader, c’est le syndrome de l’hubris, ce sentiment d’être habité par un destin divin alors que la voix de Dieu est, par excellence, imprévisible et que celle du peuple, souverain, reste capricieuse, sans manquer de lucidité… Il est grand temps que l’opposition sénégalaise se montre généreuse. Avec elle-même. En réunissant ses ténors, qui doivent cesser cette propension à vouloir se donner une image immaculée, à nier leur participation, si brève soit-elle, à cette faillite qu’ils combattent, et d’abord en faisant montre d’inclusivité. Les meilleurs des sénégalais ne sont pas forcément celles et ceux, bavards, qui occupent le terrain politique.

Ils sont dans les allées, à l’intérieur du pays et dans sa Diaspora, prêts à rejoindre le groupe pour former une force formidable qui ne ferait qu’une bouchée des escrocs ayant pris en otage notre pays. Alors, Lamine, Alassane, Ousmane, Abdoul, Abdourakhmane, Guy-Marius, Amsatou, Idrissa, Khalifa, Barthelemy, Karim et tous les autres, prêts à surmonter leurs vues étriquées, voie vers le néant, qui rêvent d’un Sénégal sous un leadership nouveau, pour un nouveau départ, assis sur des offres conformes aux attentes des Sénégalais, il est grand temps de transcender ce goût prononcé pour les cat-walks, les défilés de mannequins politiques. Je suis prêt à participer à un effort pareil ; celui du sursaut.Soyons plus sérieux…Là lutte démocratique a déjà réussie au Sénégal et malgré ce qu’on peut lui reprocher le modèle sénégalais en la matière, vainqueur en 2000, vaincu en 2012, s’appelle Wade, et il est passé par l’union sacrée des forces combattantes. N’y changeons rien!

Adama GAYE est un réfugié politique sénégalais au Caire, le 25 Septembre 2020.Ps: Quand je suis allé voir Wade le 27 Juillet 2019, l’état a tremblé. Au point de commettre la bourde de m’arrêter 2 jours plus tard illégalement l.

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