Ombres sur les libertés

par Dakar Matin

Lettre à Reed Brody (Human Rights Watch)

Cher Reed,

Cela fait 23 ans que nous avons fait connaissance dans le chaudron de l’insurrection armée qui a fait tomber Mobutu Sese-Seko du pouvoir au Zaïre avant que ce pays ne devienne la République démocratique du Congo (RDC) que nous connaissons.
Depuis chacun de nous a fait du chemin et tu es devenu un militant mondialement reconnu pour les droits humains, surtout en Afrique.
Il est donc légitime que je t’écrives, ce matin, pour te signaler qu’un rideau de fer tombe sur le Sénégal et, en plus de Human Rights Watch, j’invite Amnesty International, Reporters Sans Frontières ainsi que tous les mouvements des droits de l’hommes, y compris l’organisation des nations unies (ONU), à jeter un regard vers ce plus qu’improbable lieu de déploiement d’une dictature sur un continent africain où les gains démocratiques s’érodent à la vitesse d’un supersonique.

Je ne vais pas mâcher les mots pour dire les maux qui me font sonner l’alarme ici. Les libertés se meurent au Sénégal sous le lourd genou de Macky SALL.

Big Brother veille
Un climat pesant empêche désormais les sénégalais naguère joyeux et prompts à donner leur avis sur tout et rien de s’exprimer sur le moindre sujet. Big Brother veille. Le langage fleuri dun passé récent, d’or, s’en trouve affadi et la vie, pour eux, n’est plus que calculs et prudences pour ne pas se hasarder sur un terrain interdit ou aborder un des nombreux, croissants, sujets tabous.

C’est le temps d’une inimaginable dictature que l’on pouvait penser être possible n’importe où ailleurs sauf ici.

Ce qui était acquis ne l’est plus: le Sénégal n’est plus l’eldorado des libertés démocratiques qu’il a longtemps été.

Les libertés constitutionnelles y sont voilées au grand jour, notamment par le détournement des suffrages des citoyens comme l’a fait l’actuel président illégitime du pays lors de la dernière élection présidentielle en février 2019. Des forces de sécurité et des services judiciaires dévoyés sont à pied d’œuvre pour mater quiconque tente, comme en dispose la loi, de s’opposer aux forfaitures.

Le temps révolu des prisonniers politiques est de retour avec les arrestations intempestives des citoyens dont le seul tort est d’exercer leurs droits constitutionnels à la marche ou à la contestation démocratique.

On ne compte plus le nombre de personnes qui se sont retrouvées derrière les barreaux pour avoir dit son fait au prince tyrannique. Et après en avoir été une, je suis sans doute la première personne à avoir choisi le chemin de l’exil pour ne pas avoir à subir, dans le silence des instances désignées, la force d’une injustice devenue la norme pour quiconque ose dire non aux dérives qui s’abattent sur la nation. “Vous êtes un fuyard”, se permet d’écrire le neveu du président de la cour suprême quand j’interpelle ce dernier, à bon droit, sur l’inaction et le mutisme de la justice face aux abus de droit.

Et de se mettre à ressortir une faute professionnelle de jeunesse, non criminelle, remontant à 40 ans, comme pour me dire: “Taisez-vous”, en feignant d’oublier les lourds scandales qui peuvent, de la poste au ministère de la culture et au delà, être retracés à sa propre famille.

Méthodes fascistes
Le recul des libertés se mesure, on le voit aussi, dans ces méthodes fascistes dont le seul but est d’imposer le silence par tous les moyens sans craindre le ridicule qu’une telle démarche appelle dans un contexte où la techtonique des plaques numériques a désormais mis fin à une culture tournée vers la domestication, le contrôle, de l’information.

Surtout si elle veut s’exercer à partir de racontars cueillis entre bistrots et cercles familiaux alignés à des idées préconçues ou reçues. Tout pour faire taire…

Lamentable approche. Véritable insulte à la mémoire institutionnelle et historique d’une nation qui a su surmonter des années de braise et de plomb pour faire régner en son sein un écosystème de libertés.

C’est ignorer le poids d’un tel legs que de penser que le genou de notre Macky-Derek Chauvin local, malgré le soutien tacite ou explicite de ses soutiens tapis dans les institutions ou dans la société, peut en inverser durablement le cours.

C’est dans un contexte où notre pays se trouve asphyxié sur tous les plans, que sa classe moyenne, appauvrie, de livre à la mendicité et survit par les bouillies du soir, et que l’immense majorité des déshérités n’a plus d’espoir, au beau milieu de la corruption et des détournements des terres et autres resources que le fantaisiste Macky SALL joue au samaritain en décidant de voler au secours d’un pays voisin.

Quelle incongruité de le voir au sein d’une bande de 4 chefs d’états qui traînent de lourdes casseroles sur le front du viol des libertés, à la notable exception du Ghanéen Akufu-Addo, se rendre au Mali, ce jour, pour participer à la médiation de la dernière chance dans ce pays menacé d’une désintégration physique et d’une guerre civile! C’est à se demander s’il ne réalise pas qu’il laisse derrière lui une situation potentiellement aussi explosive.

Comme le Mali, le Sénégal n’est-il pas assis sur une poudrière, plombé par une grave impasse politique?
La question est dès lors de savoir qui, parmi les militants des droits de l’homme et de la démocratie, et les partenaires bilatéraux et multilatéraux de notre pays, va lui rappeler que “charité bien ordonnée commence à…domicile”?

L’affaissement des forces civiques et politiques internes, leur accointance suspecte avec son régime corrupteur, empêche de miser sur elles sauf si elles sortent de la culture de la complaisance qui les a fait valider nombre de forfaits au passif de l’absolutisme qui a recouvert d’une pénombre le ciel dégagé et les espaces de libertés qui faisaient il n’y a guère l’honneur du Sénégal.

Plus personne n’est à l’abri de cette hache qui coupent les têtes pendants. Sauf, en sont épargnés, les fabricants de faux billets de banques, les trafiquants de drogue, les spéculateurs fonciers, les aspirateurs des hydrocarbures nationaux et les corrompus au service d’un rêve de pérennisation au pouvoir, que ne dédaignerait pas un Bokassa.

En se rendant au Mali pour participer au sauvetage d’une démocratie naufragée, Macky SALL transpose hors de nos frontières l’ombre honteuse qu’il fait planer sur notre pays par son incurie et son banditisme.

Sous son genou, privé de respiration démocratique et de bonne gouvernance économique, ses deux poumons, le Sénégal réalise qu’il est loin l’époque où il incarnait les aspirations que tant de peuples africains, qui étaient sevrés de ces idéaux, rêvaient de voir se reproduire dans leurs propres pays.

Chet Reed Brody, faites un tour au Sénégal. Un crépuscule des libertés s’y installe.

Adama Gaye Le Caire 22 juillet 2020

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