Maquillage des finances publiques au Sénégal

par Dakar Matin

Depuis mars 2024, un vent d’espoir a soufflé au Sénégal après des années de situation politique tendue. Le Sénégal est un pays qui jouit de libertés substantielles depuis très longtemps et nous espérons que ce type de démocratie pourra perdurer et contaminer le reste de l’Afrique subsaharienne. Tout le monde parle de la conférence de presse de l’actuel régime qui accuse l’ancien régime d’avoir maquillé les chiffres officiels des finances publiques. Nous allons juste montrer comment cela est arrivé au Sénégal avec le FMI comme spectateur. Il est bel et bien possible de maquiller les chiffres des finances publiques et il est aussi bel et bien possible de mentir au FMI. Nous devons arrêter ce débat stérile et l’élever afin que nous trouvions des solutions face à cette situation catastrophique dont notre pays a hérité.

Comparaison n’est pas forcément raison

Entrée dans la zone euro en 2001, la Grèce avait reçu les félicitations de toute la zone euro à cause de l’état de santé de ses comptes publics. En quatre ans, la Grèce a réduit son déficit public de 10 % à 1,6 % pour les maintenir en dessous de 2% les trois années qui ont suivi son entrée dans la zone euro. Cependant, quand la droite a pris le pouvoir et qu’ils ont audité les comptes publics, ils étaient surpris de voir que les chiffres étaient maquillés. En fin de compte, le déficit s’était établi à 12,7 % et la dette dépassait 110 %. Cela a poussé les détenteurs de la dette grecque à la vendre et cela a explosé les taux d’intérêts et cela s’est propagé dans le reste de l’Europe, notamment l’Espagne, le Portugal et l’Italie et l’euro a chuté face au dollar. Cette comparaison est juste pour démontrer la possibilité de maquiller les comptes publics malgré le contrôle de la BCE.

Tout a commencé quand la Grèce a voulu réduire le service de sa dette pour plus de manœuvres budgétaires. Elle a fait appel à Goldman Sachs dans le but de les assister dans un swap de devises, qui est tout à fait courant et d’autres pays ont eu à le faire dans le passé. Finalement, la Grèce a pu effacer près de 3 milliards d’euros de dette de ses comptes publics et réduit son taux d’endettement de 2 %. Conclusion, la Grèce est en mesure de s’endetter encore auprès de la BCE tout en étant conscient qu’ils vivaient au-dessus de leurs moyens. Finalement, un plan a été mis en place et accepte par la Grèce pour sortir du trou noir. Quand on maquille les chiffres officiels des comptes publics, on ne fait que décaler le problème, mais tôt ou tard, le problème fera surface et cela peut arriver au mauvais moment, c’est-à-dire durant une quelconque crise. Le gouvernement sénégalais a été prudent d’exposer ce qui s’est passé à temps. Même si les notations vont se dégrader, à la longue, cela est mieux que de continuer à maquiller les chiffres. Il faut toujours aller sur des bases solides et transparentes quand il s’agit des finances publiques. Dans le passé, le Sénégal a eu à maquiller les chiffres officiels et cela s’est fait sentir pendant presque deux ans.

Les anomalies budgétaires du passé

Tous les programmes du FMI ont presque le même but, celui d’envoyer des signaux clairs aux donateurs, aux créanciers et au grand public sur la solidité des politiques économiques du pays. En quelque sorte, les pays membres utilisent le nom du FMI afin d’être crédible auprès des bailleurs de fonds. Durant l’ère des libéraux, le Sénégal traversait de sérieux problèmes de finances publiques et le déficit budgétaire était proche des 8 % du PIB. Le FMI sous Alex Segura et le Sénégal étaient tombés d’accord sur un nouveau programme de soutien aux politiques. La discussion était principalement axée sur les subventions massives aux entreprises d’Etat qui étaient improductives et le manque de transparence dans les dépenses publiques. Les informations étaient tellement négatives que le FMI a décidé de ne pas informer tous les bailleurs de fonds et les pays donateurs. Finalement, le FMI a décidé d’informer quelques donateurs pour ne pas empirer les choses. Le FMI joue un rôle d’amortisseur financier. Ce n’est pas dans l’intérêt du FMI que son programme échoue dans les pays qu’il aide afin de ne pas créer une mauvaise image auprès des bailleurs de fonds.

Durant l’ère des Républicains, des agences avaient été créées et cela avait naturellement entraîné une augmentation de l’effectif de la fonction publique, ce qui avait en conséquence augmenté la masse salariale de la fonction publique, qui représentait plus de la moitié du budget de fonctionnement. Le septennat du président Sall a été rempli de subventions quand il fallait soit afficher les prix réels, soit diminuer les exonérations fiscales. Les subventions constituaient un fardeau pour le Sénégal et le plus gros problème était la SENELEC et je ne crois pas que le problème soit toujours résolu. 250 milliards de FCFA étaient payés à la SENELEC et 70 milliards de FCFA à la SAR. Les subventions de ces deux entreprises équivalaient à plus de 8 % du PIB. Bien que le FMI ait recommandé d’augmenter le coût de l’électricité, le président avait refusé, car il ne fallait pas fâcher l’électorat.

Les membres du ministère des Finances ont dit qu’ils croyaient que la dette de la SENELEC et celle des autres entreprises parapubliques devaient paraître hors des livres du gouvernement vu que ces dettes étaient garanties par le gouvernement. Rien ne se faisait au sérieux, rien n’était pris au sérieux. Il n’y avait pas de transparence dans les marchés non plus. Presque 95 % des projets que l’Etat finançait ont été attribués par entente. Les soumissions étaient non concurrentielles et ce manque de transparence affectait nos finances publiques. Le Sénégal refusait de faire un audit sérieux et objectif des dépenses publiques, car tout le monde savait ce qui se passait et tout le monde dans le gouvernement y trouvait profit. Les agences étaient étroitement liées à la présidence et des demandes se faisaient au Trésor sans rendre de comptes.

Durant l’ère des Républicains, presque 25 milliards ont été transférés directement sur des comptes bancaires privés. L’équipe du FMI au Sénégal était sous pression, fallait-il mentir au Conseil d’administration et dire que les choses n’allaient pas trop bien, mais qu’elles s’amélioreraient ou fallait-il dire que les choses allaient sérieusement mal et présenter un rapport négatif ? Cela allait être la première fois qu’un pays échoue au premier contrôle d’un tel programme. Le FMI pensait aussi à dégrader le Sénégal et le mettre dans un autre programme avec un soutien budgétaire de près de 35 milliards de FCFA pour permettre au Sénégal de respirer temporairement.

Le seul danger était que le Sénégal allait rester quelques mois sans programme et cela allait ouvrir la porte à d’autres abus financiers envers le Trésor. Il n’était pas question de faire confiance à ce gouvernement. A titre d’exemple, Il y avait deux paiements de 100 millions de dollars chacun durant l’octroi de la licence à Sudatel et la moitié a été utilisée pour payer les dettes dues au secteur privé, mais nul ne peut vous dire comment l’autre moitié a été utilisée.

La complicité du FMI

Après avoir causé notre propre destruction, nous sommes encore allés quémander en France à travers l’Agence de développement français. Ils avaient d’abord accepté de nous prêter 82 milliards de FCFA, largement inférieur à la somme dont on s’attendait, avant que la France ne diminue la somme une seconde fois, en disant n’être en mesure de nous octroyer que 72 milliards de FCFA. Les conditions de décaissement dépendent du Conseil d’administration du FMI dans le cadre du PSI et du fait que les entreprises françaises étaient prioritaires dans le remboursement de la dette interne.  Le taux d’intérêt était fixé à plus de 6 % pour 5 ans. Ce taux ne répondait malheureusement pas à l’exigence du programme en place, le PSI. Le gouvernement ne pouvait accepter que des prêts concessionnels. Il a fallu que le gouvernement demande une dérogation au Conseil d’administration du FMI et l’AFD n’a également accepté de ne débourser que 70 % du prêt, retenant les autres 30 % jusqu’après le troisième contrôle du FMI. Le Sénégal allait ne pouvait atteindre ses objectifs en matière de déficit budgétaire et payer sa dette intérieure avec une telle somme.

L’équipe du FMI pour le Sénégal devait s’assurer que le gouvernement remplisse les critères du programme en vertu de ce programme. Le rapport du FMI a validé le programme et a dit au Conseil d’administration que le Sénégal remplissait les critères. Les donateurs n’étaient pas convaincus du travail conduit par le FMI et ils étaient très insatisfaits. C’est la raison pour laquelle une mallette avait été donnée à Segura. Il a sauvé le Sénégal de la faillite. Combien de plans et de programmes d’ordre structurel ont été imposés aux pays pauvres sans que ces plans et programmes ne puissent développer ces pays ? Il est temps que les pays africains ouvrent les yeux et sachent que ces institutions ne nous développeront jamais et que nous devons les forcer à s’adapter à nos réalités.

Durant l’une des visites du FMI au Sénégal, les membres de l’institution de Bretton Woods ont décelé des anomalies budgétaires sans précédent. C’est ainsi que lors d’une réunion du gouvernement, le président Wade avait limogé le ministre du Budget, Ibrahima Sarr et nommé Mamadou Abdoulaye Sow, haut responsable du Trésor, au poste de ministre. Le décret présidentiel qui a destitué Ibrahima Sarr est intervenu quelques heures après la rencontre entre Wade et le représentant du FMI. Un audit interne avait révélé le versement de fonds non autorisés et injustifiés à plusieurs ministères et agences. La nomination du technocrate qui était très respecté au poste de ministre du Budget devrait renforcer les efforts du ministre des Finances, pour faire en sorte que tous les engagements financiers du gouvernement puissent être pris en compte dans le budget actuel du gouvernement.

A la demande du ministre des Finances, Abdoulaye Diop, et du représentant du FMI, en réaction au déficit budgétaire croissant du Sénégal et aux révélations d’un tas de factures impayées dues à des fournisseurs et à des sous-traitants privés, un audit avait été effectué par la division des inspecteurs du ministère des Finances. Il y avait plusieurs rapports qui divergent sur le montant total des dépenses injustifiées, quoiqu’il en soit, le montant dépassait les 450 milliards de FCFA. C’était le trou noir financier le plus grand de l’histoire de notre petite nation jusqu’à ce que l’actuel gouvernement nous dise qu’il y a un autre trou réalisé par les républicains.

Le plan d’infrastructures lié à l’OCI a été un désastre financier, technique et de crédibilité pour le gouvernement. Sur le plan financier, le gouvernement avait engagé d’énormes sommes d’argent et une grande partie du financement promis par le Koweït et d’autres pays n’avait pas encore été reçue. En raison des contraintes de budget et de temps qui ont suivi, la construction de la nouvelle route de la Corniche a été mal faite et l’ingénierie du tunnel de Soumbédioune, tant vanté, est un risque permanent pour les usagers en temps normal et pire en temps d’hivernage. Il fallait trouver de l’argent pour ce fameux sommet de l’OCI.

L’ANOCI, dirigée par Karim Wade avait été l’un des principaux bénéficiaires de ces dépenses extrabudgétaires, ayant reçu près de 200 milliards de FCFA prétendument pour les coûts associés aux projets d’infrastructures pour le sommet de l’OCI. Le ministère de l’Infrastructure et des Transports avait reçu 12 milliards de francs CFA pour soutenir les projets d’infrastructure et le ministère de l’Intérieur, 3 milliards de francs CFA pour le sommet de l’OCI sans compter les élections présidentielles et législatives. Les ministères de l’éducation, de l’habitat et du développement urbain, de la santé, de l’eau, de l’environnement, de l’artisanat et de l’économie maritime ont tous signé des contrats non conformes au budget formel du Sénégal. Le président Wade avait ordonné aux ministères qui ont reçu ces fonds irréguliers de fournir des explications et des justifications à l’exception de l’ANOCI et des ministères dirigés par son fils.

Dix mois après le limogeage de son prédécesseur, Ibrahima Sarr, Abdoulaye Sow démissionne aussi. Sa démission avait été orchestrée par les membres du gouvernement qui n’ont pas apprécié le fait que Sow soit strict sur les décaissements budgétaires et son refus face aux demandes d’argent ou des paiements qui n’étaient pas pleinement justifiés par le budget officiel et les fonds disponibles. La pression était très forte et Sow avait finalement cédé. Quand Abdoulaye Sow était nommé, le FMI ainsi que les bailleurs de fonds étaient très contents, car il était en mesure de mettre fin aux pratiques peu orthodoxes et aider le gouvernement à respecter les critères de réforme de l’examen du Conseil du FMI. La démission de Sow pouvait aussi être imputée à un conflit de portefeuille, car à plusieurs reprises, il avait refusé d’approuver des offres non concurrentielles et des avances en espèces qui n’avait pas suivi les voies appropriées.

Quand le représentant du FMI avait été interpellé sur la démission de Sow, il avait publiquement déclaré que Sow maîtrisait parfaitement les questions de finances publiques du Sénégal et qu’il était honnête et avait contribué de manière positive à l’amélioration du système budgétaire du Sénégal en éliminant les avances de trésorerie. Ce mécanisme était à l’origine de nos difficultés budgétaires et il avait aussi pu réduire le nombre de marchés de gré à gré. En quelque sorte, Abdoulaye Sow avait joué un rôle très déterminant afin que le Sénégal puisse satisfaire les critères de l’ISPE avant l’examen du FMI.

Si on retourne aux anciennes pratiques sous Ibrahima Sarr, on se rend compte que le Sénégal a été vendu pendant que les populations souffraient. Les membres du ministère du Budget avaient menti au FMI et ils étaient carrément impliqués dans l’abus du budget. Ils avaient sous-estimé l’estimation des factures impayées du gouvernement et un document avait été fourni au FMI signé par le ministre qui indiquait que le volume des engagements extra budgétaires ne dépassait pas plus de 10 % du montant réel alors que le FMI avait reçu des documents qui montraient qu’il y avait près de 80 engagements de financement illégal signés par le ministre.

En plus de tout cela, le logiciel du gouvernement de suivi des dépenses avait été manipulé pour tenter de dissimuler certains paiements. Cependant, la manipulation du logiciel n’avait pas été satisfaisante et des rapprochements des comptes ont pu être faits pour démontrer qu’il y avait des irrégularités. L’actuel gouvernement peut trouver ces irrégularités aussi, mais cela prendra plus de temps, car il y a eu des crises et il est plus facile de cacher certaines irrégularités en temps de crise. Sarr se trouvait entre le marteau et l’enclume, car il était un proche collaborateur de Karim depuis plusieurs années et il était aussi l’homme de confiance de Hadjibou Soumaré lorsque ce dernier était ministre du Budget.

Afin de démontrer que le gouvernement s’attaquait à la crise budgétaire, Hadjibou Soumaré n’a pas eu du mal à limoger son ami et ministre, Sarr. Le problème est que le Premier ministre était aussi impliqué dans les paiements non conformes aux finances publiques. Hadjibou avait aussi fait pression sur Sarr pour que ce dernier verse des paiements injustifiés et que ces transactions soient cachées au ministère des Finances et au FMI. Après des enquêtes, on avait décelé que des paiements non-conformes ont été trouvés, remontant à 2003 et d’importantes distributions effectuées entre 2006 et 2007 alors que Hadjibou était ministre du Budget.

Derrière ce réseau de paiements injustifiés, se cachaient l’homme le plus puissant du Sénégal, Karim Wade et ses proches collaborateurs, Aminata Niane, qui était chef de l’APIX et Samuel Sarr. Pour mieux comprendre, il faut savoir que Karim Wade a joué un rôle déterminant dans la nomination d’Ibrahima Sarr au poste de ministre du Budget et qu’il exerçait également une grande influence sur le Premier ministre. En quelque sorte, Karim était le maître d’orchestre qui avait payé les violons et qui, conséquemment, réclamait la musique à jouer.

Ce qui est écœurant, c’est que le FMI, malgré tout cela, avait refusé d’insister sur la gravité de cette pratique malsaine au sein du gouvernement. Au cours de la séance d’information avec les donateurs, le FMI, comme d’habitude avait certes, noté la gravité de la situation, mais avait quand même applaudi la bonne coopération du gouvernement.

Il est important d’assainir les finances publiques, de réduire le déficit budgétaire afin de pouvoir mettre en place son programme ou projet. Un état des lieux est une chose nécessaire et il va falloir essayer de faire payer ceux qui ont mal géré les choses publiques et voir comment faire pour que ces pratiques disparaissent. Pour un banditisme financier, il va falloir impliquer plus d’un seul ministère, donc l’actuel gouvernement doit tirer cela au clair pour l’intérêt de tous.

 

Cependant, nous devons nous concentrer sur les sérieux problèmes et voir comment réduire progressivement le déficit budgétaire afin d’assainir les finances publiques. Pour le faire, il va falloir qu’on se serre la ceinture et élargir l’assiette fiscale. Ce ne sera pas une chose facile, mais faisable. Il est important durant cette période d’arrêter de faire la politique et de savoir qu’il sera impossible de changer le Sénégal immédiatement après un septennat de dépenses somptuaires et un quinquennat de crises. Avec cet héritage lourd, le gouvernement n’a devant lui que deux options : accroître les recettes fiscales tout en maintenant les dépenses ou les réduire. Je suis convaincu que l’actuel gouvernement ne réduira pas les dépenses dont il a hérité, mais fera de son mieux pour accroître les recettes en élargissant l’assiette fiscale et en réduisant les exonérations fiscales.

 

Mohamed Dia

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