Mame Gor Ngom sur le départ de Macky Sall du pouvoir : « le président va partir c’est irréversible »

par Dakar Matin

Partira ou ne partira pas. Les supputations sur le départ de Macky Sall du pouvoir le 02 avril prochain vont bon train. Les analystes et observateurs de la scène politique sénégalaise, affirment parfois se perdre dans les dédales de cette impasse. Dans cet entretien, le journaliste et analyste politique Mame Gor Ngom passe à la loupe l’imbroglio dans lequel se trouve le pays actuellement. 

C’est une situation inédite qui découle d’un fait inédit. C’est-à-dire un report d’une présidentielle ce qui ne s’était jamais produit. Même si on parle de report, les contestations sont foncièrement différentes. Sous Senghor, il y avait même pas de présidentielle. Il y’avait un parti unique et Senghor avait gagné à la présidentielle à 100%. Donc, ce sont des contextes foncièrement différents. L’autre fait inédit, c’est le fait que le Conseil constitutionnel dit niet au président de la République. C’est aussi inédit.
Et le Conseil constitutionnel demande aux autorités compétentes d’organiser l’élection dans les meilleurs délais. Ce qui s’ensuivit c’est ce dialogue national qui a aussi des atouts très inédits. En ce sens, qu’il n’est national que de nom. Parce que les principaux acteurs, c’est-à-dire les candidats qui étaient prévus pour la présidentielle du 25 février dernier n’ont pas assisté à ce dialogue. A la place, il y a eu deux candidats, l’ancien Premier ministre Mouhamed Boun Abdallah Dionne, le Premier ministre, Amadou Ba (qui se trouve être le candidat de la mouvance présidentielle), quelques recalés, des hommes religieux, une société civile. Donc ce n’était vraiment pas un dialogue inclusif, c’est pourquoi la situation est inédite à plusieurs titres. 

Au regard, des considérations issues du dialogue nationale l’on a l’impression que priorité est donnée aux résultats du dialogue sur la décision du Conseil constitutionnel ?

Je pense que ce dialogue et ce rapport rajoutent à la confusion. Nous sommes dans un État qui est censé être organisé dans un État de droit. Le propre d’un État de droit est le respect des institutions et le respect des institutions, c’est le respect des lois qu’on s’est prescrites. Le Conseil constitutionnel a dit qu’il faut organiser l’élection. On fait fi de ce que dit le Conseil constitutionnel pour organiser parallèlement un dialogue qui n’est pas une institution, même si c’est le président de la République qui appelle au dialogue et qui en est l’initiateur. Et on veut prendre le dialogue national pour argent comptant, je pense que c’est assez paradoxal. Ça montre qu’on essaie de trouver une solution  et la solution risque d’empirer parce que ces conclusions issues de ce dialogue risquent de ne pas être acceptées par le Conseil constitutionnel qui a clairement dit le droit et qui a demandé aux autorités d’organiser une élection. Donc ça rajoute à la confusion et ça pousse de plus en plus à croire que le président de la République joue au dilatoire refuse de donner une date et de retenir une date pour la présidentielle et se permet d’écouter un dialogue. Il ne doit pas en principe être un bon baromètre pour décider des choses de la Nation, des choses de la République. 

Macky Sall a réitéré son départ du pouvoir le 2 avril prochain. Et comment envisager l’après Macky  Sall qui va partir dans un contexte où l’on ne connait pas encore son successeur ?

C’est une très grosse interrogation. Le Président dit qu’il va partir, c’est irréversible. C’est évident que le 2 avril c’est le terme de son mandat et il doit partir ça je pense que c’est une évidence. Mais au-delà du 2 avril qui sera président de la République ? Il y a plusieurs interprétations de la Constitution. Certains disent que c’est le Président lui-même qui doit rester jusqu’à ce que ce son prédécesseur vienne, d’autres émettent l’idée de son remplacement par le président de l’Assemblée nationale et là on suppose qu’il va démissionner avant le 02 avril. Ce qui est une possibilité. Donc ce sont de grosses interrogations. Une confusion énorme qui règne, des incertitudes tout peut nous arriver. On ne peut pas dire de manière péremptoire que le Président va agir d’une telle manière ou d’une autre manière. C’est ce qui crée tout ce désespoir de voir une présidentielle organisée, on parle de la date du 2 juin, qui se précise de plus en plus mais est-ce le Conseil constitutionnel va accepter les désidératas d’un dialogue national qui n’est pas du tout légal, qui n’est pas du tout aussi légitime. Si on regarde de près ceux qui ont composé ce dialogue.

Est-ce que le contexte actuel se prête à une décision irréversible du Conseil constitutionnel de fixer la date de l’élection présidentielle ?

Oui le Conseil constitutionnel dans son avis, quand il avait dit au président de la République qu’il ne peut pas augmenter son mandat parce qu’il ne pouvait pas le diminuer en 2016 il avait clairement indiqué que la présidentielle doit se tenir dans les meilleurs délais. Et dans les meilleurs délais dans l’entendement du Conseil constitutionnel c’est avant le 2 avril. Malheureusement, beaucoup de gens reprochaient au Conseil constitutionnel un manque d’audace ou bien un manque de précision. Parce que certains disaient que c’est le Conseil constitutionnel qui devait indiquer clairement une date. Mais bon, c’est une question de bonne et de mauvaise foi. Le Conseil pouvait bien indiquer une date et les autres pouvaient aussi revenir pour dire que ce n’est pas dans les prérogatives du Conseil constitutionnel d’indiquer une date, parce que les autorités compétentes censées organiser l’élection présidentielle peuvent ne pas avoir les moyens de le faire, surtout les moyens matériels et autres.
Donc le Conseil constitutionnel, je trouve que sa décision était très sage parce qu’elle a permis de donner aux autorités compétentes, au premier rang desquelles se trouve le président de la République, d’avoir une marge de manœuvre pour organiser une élection. Pour choisir une date, il y avait plusieurs dates, les 3 ou bien les 10 mars, malheureusement, le président l’a interprété autrement a pris son temps avant de faire une interview avec la presse et d’appeler à un dialogue qui supplante le Conseil constitutionnel. Et là c’est un peu difficile pour le Conseil et je pense qu’il est capable de rappeler à l’ordre tout le monde et de réaffirmer sa décision qui a qui était très claire. 

Cette loi d’amnistie dont on fait état ne manque de pourfendeurs de part et d’autre. Finalement à qui va-t-elle profiter ?

Cette loi d’amnistie manque un peu de pudeur quand même. Moi je trouve que c’est récent, 2021-2024, on a assisté à des drames au Sénégal. Des Sénégalais qui sont tués, des jeunes qui sont tués, des blessés, des commerces saccagés, des biens qui ont été aussi saccagés tout ça on ose venir qu’on va absoudre ceux qui ont commis ces fautes. Je pense que ce n’est pas du tout pudique et en République, la reddition des comptes, ne consiste pas seulement aux crimes économiques, mais la reddition des comptes doit être privilégiée au détriment d’une absorption, d’une amnistie générale des faits qui peuvent régler pour un moment déterminé les problèmes politiques mais à long terme, ces problèmes vont ressurgir. Et pour qu’un pays se développe il faut la vérité avant toute réconciliation avant tout pardon et que la vérité voudrait que ceux qui ont fauté soient jugés et condamné. C’est ça la logique.
Dans un État si chaque pouvoir qui vient procède à des  amnisties, les fouteurs de troubles vont être contents, ils vont être tentés de répéter les mêmes erreurs, je pense qu’il faut corriger. Si les auteurs ce sont les forces de l’ordre, les autres personnes qui ont tué des individus. Il faut corriger, parce que ce sont des morts quand même et je pense que la vie est assez importante pour ne pas être banalisé. Malheureusement, c’est ce qu’on constate au Sénégal, la vie n’a plus de valeur. Les gens pensent qu’on absorbe tout et on passe à autre chose. Ce qui ne doit pas se produire dans une République, dans un État organisé.

Cette loi d’amnistie est-elle taillée sur mesure pour Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, dans le sens qu’elle permettrait leur libération ?

Ce que je comprends c’est qu’ils ont dit que le cas peut-être Bassirou Diomaye Faye mais pour Sonko on dit que l’affaire, Adji Sarr  et l’affaire Mame Mbaye Niang ne sont pas concernées. Mais il faut aussi dire que tout cela tire son origine de l’affaire Adji Sarr.
Cette affaire qui date de 2021 est à l’origine de tout ce qui nous arrive aujourd’hui, je pense que c’est forcément lié. On voit une volonté et des manœuvres du Président qui sont pour libérer Ousmane Sonko. Parce qu’il y a des médiateurs de l’ombre qui parlent trop mais tout porte à croire qu’Ousmane Sonko serait libéré à la suite de cette amnistie je pense que c’est la suite logique. Et Bassirou Diomaye Faye qui est candidat aussi, devait être libéré depuis très longtemps. Parce que rappelons, qu’il a été emprisonné parce qu’il a fait un post sur Facebook et qu’il aurait offensé des magistrats. C’est ce qui était à l’origine de son arrestation et de son emprisonnement. C’est après qu’on a rajouté d’autres délits et que ces délits peuvent être concernés par l’amnistie. Pour un post Facebook, je pense que Personne ne devait être en prison au Sénégal.

Babou Diallo

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