Les charognards d’un pays

par Dakar Matin

Depuis que le révisionnisme politique a projeté de faux libéraux, communistes, et maintenant apéristes, au devant de la scène, la mode est au trafic de parcours professionnel et politique pour exister dans la vie publique au Sénégal aux dépens des plus méritants, qui se refusent de se jeter dans les mêlés opportunistes pour gruger les fonctions importantes dans la marche du pays. Nous vivons un nouveau cycle, une nouvelle saison du situationnisme politique qu’un Abdoulaye Wade, trop imbu de sa personne, égocentrique, a été le premier à laisser se déployer ici pour flatter son envie d’être reconnu comme un être hors normes, vers lequel convergent tous les fleuves, en variables, pour exalter son statut de constante que tous, à ses pieds, célèbrent. Certes, sous Léopold Sédar Senghor, le premier Président du Sénégal, la mode, pour le charmer et le mettre donc sous sa botte, c’était de jouer aux poètes, de citer Teilhard De Chardin ou d’évoquer la Grèce antique sinon de décliner dans sa novlangue, aujourd’hui désuète, les concepts de francité, négritude, ou encore de ne pas craindre d’endormir ses audiences avec des formules littéraires d’un autre âge. Puis, les charognards, ces laudateurs qui peuplent la scène politique sénégalaise changèrent de régistre, quand Senghor fut remplacé, en 1981 par un Abdou Diouf. Exit les lettres. Bienvenue au néo-griotisme. Très vite, ses exégètes surgis de nulle part comprirent que ce maigrichon, aux costumes trois pièces trop amples, prompt à pointer du doigt, était surtout sensible aux flatteries. «L’homme de Médine, njol macca, autrement dit, le nouveau prophète », osa, déjà, un Mbaye Pekh, à ses débuts de flagorneur public. «Si Abdou Diouf n’existait pas, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) l’aurait inventé », ajouta, de son siège de présentatrice du journal télévisé une Sokhna Dieng, qui ne cachait pas son alignement complet sur la nouvelle idéologie : le dioufisme. Nous sommes au début des années 1980 et le plus grand transhumant cachotier de l’histoire du Sénégal se dévoilait d’abord dans sa version ouverte de socialiste, franc du collier, en décernant le titre de « gardien de la constitution » à son premier Dieu, puis il rampa, à sa chute, en 2000 , vers un Wade qu’il décrit en « Président de tous les Sénégalais », avant de le trahir, en lui déniant, après sa défaite en 2012, de son statut de gardien de la constitution pour le donner au « Président de l’espoir », son tombeur. Vous avez remarqué que ce caméléon multicolore n’est autre que le très…coloré Hadj Mansour Mbaye. Il sévit toujours, désormais flanqué de son beau-fils, un certain Farba Ngom. Son apparition sur la scène nationale, d’abord derrière des noms de mécènes, comme les Blé Sène, Ndella Wade etc, fut boostée par l’arrivée au pouvoir de ce longiligne Président, tel un échassier, marchant d’un pas indécis sur ses plus de 2 mètres de taille. Le griot estampillé du nouveau pouvoir fut ainsi le binôme d’un Abdou Diouf aussi long comme un jour sans pain qu’il était conceptuellement vide et fat, rêvant d’une gloriole qu’il avait longtemps, cyniquement masquée pendant une vingtaine d’années qu’il vécut en haut fonctionnaire, en bureaucrate, le doigt toujours sur la couture du pantalon, aux ordres. On peut sans conteste dire de lui qu’il est, plus qu’un Senghor, plus artiste que politicien, le père du narcissisme sénégalais : il se fit faire une généalogie qui le rattacha à la lignée du Sultan de Sokoto, Ousman Dan Fodio, puis fit clamer sous tous les toits, jusqu’à susciter une chanson d’un Youssou Ndour, un des coupables de l’idolâtrie, pour faire accroire qu’il avait eu le cran de survoler l’Afrique du Sud ségrégationniste en 1986, comme s’il l’avait symboliquement vaincue, seul. Quand, venu de Londres pour couvrir une conférence importante, j’ai partagé un repas avec Diouf à l’hôtel Sheraton-Héliopolis du Caire, en Avril 2000, alors que venant de perdre le pouvoir il y avait été, élégamment, envoyé pour le représenter par son successeur, Wade, au premier Sommet Afrique-Europe, je vis un homme qui sentait le vide autour de lui. Les larbins avaient disparu. Même les caméramens de la télévision sénégalaise qui se bousculaient autour de lui pour l’accompagner auparavant dans ses déplacements internationaux avaient refusé d’en être cette fois-ci, à l’heure de la défaite. Les Chefs d’Etats africains qui prenaient part à la rencontre ne se pressaient pas non plus à sa chambre pour le voir. La défaite, Kennedy l’a déjà dit, est orpheline. Je vis un Diouf tétanisé, pendant que nous mangions, dans un silence de cathédrale, soudain lever sa cuillère, et, d’un mot, qui en disait long, lancer à la cantonade : «J’espère que sagesse dina dabb sénégalais-yis, j’espère qu’ils deviendront sages ». Ce qu’il semblait vouloir dire, c’était que ses compatriotes ne savaient pas à qui ils venaient de confier les rênes du pays. Peine perdue. Les charognards avaient déjà pris leurs quartiers autour de l’homme du moment. «Sortez les brochettes », hurla, à Touba, un Mbaye Pekh, déchaîné, autoproclamé, griot du premier président « mouride » du pays. « Avec Wade, c’est fini les bouillies, désormais ce sont les grillades de viande », affirma-t-il, sans se soucier de l’incohérence des postures qu’il avait assumées, sans transition, entre les deux hommes qui venaient de faire la passation du pouvoir à la tête du Sénégal. Bientôt, plus personne ne se souvint que Wade fut pendant longtemps, pendant 26 ans d’opposant, traité de tous les noms d’oiseaux : homme dangereux, semeur de désordres, ennemi de la paix, indigne de confiance, pour n’en citer que quelques-uns. A l’heure de la victoire, tous ceux qui l’avaient trahi revinrent à bride abattue. Les zélateurs des régimes socialistes, dans une parfaite harmonie, se transformèrent en propagandistes du libéralisme. Même les membres de la famille de Wade qui l’avaient lâché au profit de Senghor, en commençant par son propre frère aîné, lui découvrirent toutes les vertus. Et, d’un même mouvement, tous les entrepreneurs politiques individuels du pays se mirent à retoquer leurs CV pour la dater du milieu des années 1970 afin de naître avec le projet politique du nouveau Dieu, la constante ! Sans aucun doute, lassé par les servitudes du long combat qu’il avait mené, surpris de se retrouver avec le pouvoir, étouffé par ses nouveaux sicaires, Wade était non seulement aussi victime de son équation personnelle, celle de l’homme-qui-sait-tout, le plus grand intellectuel de toute l’Afrique, visité par le syndrome de la vantardise, mais son âge et l’irresponsabilité de ses enfants l’entraînant dans une culture népotique, monarchiste, finirent par avoir raison de sa vigilance. Ses nouveaux griots l’achevèrent. Sa chute en 2012, conséquence de son abandon à des forces opportunistes, qui ont profité de ses largesses indues à partir des deniers et marchés de l’Etat, au détriment des urgences publiques nationales, n’en fut, dès lors, que plus brutale, inattendue à ses yeux. S’achevait ainsi ce qui avait commencé par une belle romance, quand les sénégalais s’étaient jetés, acquis, à son sopi, mais se terminait en ruines, dans un dépit général, au milieu de ses tentations autoritaires du nopi, le silence par les fracas des grenades et les tirs de balles réelles qui, par le feu et le sang, mettaient fin à la saga qu’il avait eu le cran de lancer en 1974 dans une ère où, comme il l’affirma au congrès constitutif du PDS à Kaolack (où je fus présent), les ménages à enfant unique, les partis uniques régnaient sur le continent…. L’éclaircie Wade s’était muée en déroute. Ce que les Sénégalais, embarqués dans un nouveau navire politique spatial promis à les mener vers les cieux de la prospérité, se préparaient à vivre, sans le savoir, allait être encore plus terrible. Il n’est nullement besoin de détailler ici la faillite, la banqueroute, morale, matérielle, humaine, économique, spirituelle, sociale, culturelle, politique, qui se donne à voir d’aussi loin qu’on peut percevoir les effets dévastateurs du régime de Macky Sall. C’est le pire de tous. Il a aliéné la nation. Son avenir n’est plus qu’un horizon fermé. A la différence de ses prédécesseurs qui ne les ont pas cherchés mais les ont vus venir à eux, celui qui dirige, illégalement le pays parce qu’il a volé la dernière élection, est, lui, allé chercher ses flagorneurs. Minutieusement choisis. Dès son installation à la tête du pays, Macky Sall a crû qu’un consensus forcé autour de sa personne lui garantirait une pérennité du projet d’ancrage éternel au pouvoir. Il n’attendit pas que les opportunistes vinrent vers lui. Le premier, il fit le pas. En reprenant, sans trop y croire, mais en opportuniste, l’antienne que ses « alliés » politiques avaient conçue : « on a gagné ensemble, on gouverne ensemble », comme le répétait à satiété le théoricien en chef de ce concept, Tanor Dieng, sans avouer qu’il ne s’agissait là que de retourner au banquet d’un pouvoir que l’électorat déniait à ses semblables. Ce fut l’arnaque du siècle. Mais ça arrangeait le minus Macky, potentat aux petits pieds, qui comprit vite que c’était la voie royale pour exercer son culte de la terreur, celui du silence pour qu’il fasse ses coups tordus, mène ses crimes économiques très vite déployés avec audace, en roue libre, pour capturer marchés publics et ressources naturelles, sans ciller. L’ancien «faux » trotskyste, faux communiste, vrai révisionniste, nourri à la sève de l’unanimisme engagea son braquage du pays en le dotant d’une culture de parti-état, d’abord avec les formations à sa semelle réunies autour du soi-disant Benno-Bokk-Yakaar, s’unir pour partager un espoir, rien en réalité que pour se partager les dépouilles du pays tout en rassurant le tyran venu de Peulgah, du Sine Saloum. Il accéléra la cadence, au milieu des slogans et sigles dont il est le champion toutes catégories, par le recrutement de dames de compagnie, ces journalistes limités qui ont toujours rêvé être dans les allées du pouvoir et qui ont révélé au monde entier leur vraie nature de prostitués immoraux, incompétents et indignes, réduits devant leurs fans d’hier à n’être que les serpillères de celui qui venaient de les forcer à un « outing » déshonorant. Une fois ces deux premiers pas posés, il ne restait à Macky Sall qu’à recycler les éternels griots-larbins, de Mbaye Pekh à Hadj Mansour, à en recruter de nouveaux, des griots émergents, conduits par Farba Ngom, puis de mettre sous son genou les médias d’Etat en plus de corrompre l’essentiel des organes de presse privée, avant d’anesthésier les chefs religieux et les autres forces sociales. Le drame de Macky Sall, c’est qu’il avait compté sans son impotence, son incompétence, et, surtout, ses penchants de voleur. Très vite, le pays le découvrit tel qu’en lui-même : escroc et nul ! il était d’autant plus mal barré que son entourage n’était constitué que des déchets d’un PDS lui-même rejeté par le public pour son échec économique et ses dérives monarchisantes. Le chemin de la banqueroute était ainsi inné, pavé, dans le projet naissant qui avait porté Sall au pouvoir. Passons sur l’impasse. Il ne sait plus où poser son pied. Les lendemains, sous sa gouverne, sont incertains. La vie la plus dure est l’horizon des sénégalais. Asphyxié par son incapacité, le pays s’éteint, privé d’oxygène. Dans un climat désastreux, entre inondations et pauvretés, les sénégalais sont convaincus désormais que le pire est leur destin. Il est à venir. Macky Sall aussi le sait. D’où sa tentative qu’on lui prête de vouloir reconstituer la famille libérale, de fabriquer un statut malvenu de chef de l’opposition dans une démarche qui fleure bon encore son label de corrupteur, et, pensent certains, de passer même le témoin à un homme qu’il aurait choisi, comme a dû le faire, dans une logique crapuleuse, Wade en sa faveur, et de se livrer à toutes autres stratégies pour échapper à cette corde qui s’approche inexorablement de son cou. C’est pour cela, pour sauver sa peau, qu’il caresse le rêve de constituer un gouvernement dit de majorité présidentielle élargie, autre imitation que l’homme sans idées se voit obligé de suivre pour escompter trouver quelque ballon d’oxygène. Les charognards sont à ses pieds. Ils sont prêts. Déjà, ils ont changé leur langage pour lui plaire et le rassurer. Ils le traquent dans ses déplacements. Hier, Pape Diop, le vendeur de poissons, devenu « homme d’étapes » est allé à Touba où il devait se rendre et au micro des médias, dans son langage débrouillé, n’a cessé de répéter inepties sur inepties pour espérer lui plaire. On connait les autres larbins, des patates pourries du libéralisme, ayant trahi Wade et qui s’offrent dans un défilé de mannequins du troisième âge, avec des mocassins rapiécés : Thierno, Mamour, Babacar, Omar, Amadou, Fada, Pape Samba-Alfred, Farba 1er, et toute la république des incapables politiciens qui sont prêts à le gruger, en le chloroformant, dans ses moments de doute. Cette gangue de bras cassés, dont on peut affirmer qu’ils ne peuvent rien apporter au pays, inaptes même à gagner leur vie décemment, est l’ultime clou qui va fermer le cercueil du pays. Les sénégalais sont déjà dedans, zombies inertes, affamés, préférant la mort à cette invivable vie… Leur seul espoir de retrouver un souffle d’air, c’est d’entendre tonner à leurs oreilles le mot magique. Que Macky Sall comprenne enfin que quand on est incapable, on débarrasse le plancher. On ne fatigue pas le monde avec des alchimies vouées encore à l’échec. Mille gouvernement nouveaux ou anciens ne sauveront pas Macky Sall ni tous les charognards du pays, et même l’ensemble des griots déchaînés : c’est un incapable qui doit comprendre que son avenir est derrière lui. Aucun stratagème, aucune magouille, aucun génie, sorti des eaux ou du ciel, n’y pourra rien. J’ai rêvé le voir une corde autour de son cou, ses poches, c’est-à-dire ses comptes bancaires criminels vidés, les recettes ramenées dans un trésor public dont il a été le principal pilleur. Je parle de Macky Sall. Ton échec est total. Et, à force de les fréquenter, tu es devenu un charognard et nous ne voulons plus sentir cette espèce, que tu attires, autour de nous. Adama Gaye, Le Caire 27 Septembre 2020

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