Le certificat médical et l’acte notarié à la croisée des chemins de la contestation

par Dakar Matin

Si les procureurs et les juges ne sont pas liés par l’avis du médecin ou du notaire, c’est parce qu’ils évitent de tomber dans le « piège » ou la bienveillance des certificats et actes de complaisance

Courant novembre 2012, il y a exactement 10 ans, Karim Meissa Wade avait été convoqué par la Section de Recherches de la Gendarmerie. Face aux enquêteurs, il avait vigoureusement contesté les 99 % du patrimoine que lui imputait la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (Crei). Preuves — plus précisément des actes notariés — à l’appui, il avait montré que ces entreprises et biens immobiliers appartiennent juridiquement et financièrement à Bibo Bourgi et Pape Mamadou Pouye. Au finish, on l’a vu, une simple déclaration d’un témoin s’était substituée à des actes notariés. Un état de fait similaire dans l’affaire Ousmane Sonko où un certificat médical à « décharge » pour l’accusé a été multiplié par zéro par une simple déclaration de l’accusatrice Adji Sarr. Acte notarié et certificat médical, deux pièces maitresses à la croisée des chemins…de la contestation. Ou de la récusation par les juges. « Le Témoin » a enquêté.

Si l’acte notarié était une « sorcière », force est de constater qu’elle a été chassée des Cours et Tribunaux avant d’être persécutée, déshabillée et réduite à sa plus simple expression…juridique. C’était courant 2012 lorsque l’ancien ministre d’Etat Karim Wade avait été convoqué et entendu à la Section de recherches de la gendarmerie dans le cadre de l’enquête ouverte par le procureur de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) contre des dignitaires de l’ancien régime. Face aux enquêteurs, Karim Wade avait vigoureusement contesté 99 % du patrimoine (Ahs, Eden Rock etc.) que lui imputait la Crei. Facile puisque, dans chacune de ces sociétés, les actionnaires étaient clairement identifiés en l’occurrence Bibo Bourgi et Pape Mamadou Pouye en tant qu’actionnaires ou propriétaires pour avoir entièrement libéré leurs parts ou leurs actions. Mieux, la plupart de ces sociétés avaient contracté des emprunts bancaires auprès de la Sgbs et de la Bis pour financer l’acquisition d’équipements. Preuves à l’appui, Bibo Bourgi et Pape Mamadou Pouye avaient posé sur la table des enquêteurs des attestations de prêts et des actes notariés. Naturellement, sur aucun des documents juridiques et relevés bancaires établis ne figurait le nom de Karim Meissa Wade. Contre toute attente, deux témoins cités par le maître des poursuites avaient remis en question tous les actes notariés sur la base de simples déclarations.

Pourtant, nous explique un célèbre notaire dakarois, l’acte notarié est au sommet de la hiérarchie légale des preuves. « L’acte notarié est incontestable, il fait pleine foi. Il n’est possible de rapporter la preuve contraire que par une procédure complexe que l’on appelle l’inscription de faux, qui équivaut par comparaison à contester une décision judiciaire. Par exemple, dans l’affaire de la Crei, il n’y a jamais eu d’inscription de faux à ma connaissance. Car, les actes notariés en question sont authentiques puisqu’ils ont été établis par des notaires officiellement reconnus et installés dans leurs charges. Parce que dans le cadre d’une transaction immobilière ou d’une création d’une société, le recours à un acte notarié est une obligation légale » explique notre notaire. Qui n’oublie pas de rappeler que, lors du procès de la Crei, de simples allégations attribuant un patrimoine à Karim Wade, s’étaient substituées à des actes notariés.

La même chose a également été constatée dans l’affaire opposant la masseuse Adji Sarr à l’opposant Ousmane Sonko. Ici, en lieu et place d’acte notarié, il est question de certificat médical c’est-à-dire un document rédigé par un médecin après interrogatoire et examen d’une personne, constatant ou interprétant des faits d’ordre médical. Aussi bien dans la définition que dans la rédaction d’un certificat médical, chaque mot a son importance. Car le certificat médical est une étape cruciale dans une procédure judiciaire. Allez vous aventurer dans les prisons pour constater qu’ils sont très nombreux les détenus à avoir été arrêtés et condamnés sur la base d’un certificat médical. Les uns pour viol, les autres pour coups et blessures constatés à l’examen médical. Par contre, l’affaire Ousmane Sonko/Adji Sarr fait partie des rares cas de viol où le certificat médical ne fait pas foi ! Etabli à « décharge », le certificat médical déposé par la plaignante Adji Sarr s’est complètement métamorphosé à « charge » contre Ousmane Sonko. Pourtant, le médecin-gynécologue a dit n’avoir décelé aucune lésion dans les parties génitales de la victime supposée. « Sauf des déchirures anciennes » a-t-il constaté. Ce, contrairement au réquisitoire introductif du procureur de la République se disant convaincu qu’il y avait bel et bien des viols répétés et menaces. Comme ce fut le cas de l’acte notarié à « décharge » qui n’avait pas pu sauver la tête de Karim Wade, le certificat médical établi par l’homme de l’art et « déchargeant » Ousmane Sonko a été purement et simplement repoussé par le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye.

Avis d’experts…

En tout cas, le Sénégal vit une époque cruciale où l’acte notarié et le certificat médical sont à la croisée des chemins…de la contestation. Et de la « récusation ». N’est-ce pas Me Moustapha Ndoye ? Avant de répondre à cette question, l’éminent avocat prend le soin de préciser qu’il n’est pas intéressé par l’affaire Adji Sarr/Ousmane Sonko. « Pas d’amalgame ! Je parle dans le cadre de faits précis comme dans un cas pratique étudié », a confié Me Ndoye avant d’expliquer : « Tous les avocats et autres juristes vous le diront, un certificat médical établi à la suite d’une plainte pour viol immédiatement après les faits objet de la plainte constitue une pièce de procédure incontournable pour la manifestation de la vérité. Si ce certificat constate l’absence de toute relation sexuelle au moment des faits dénoncés, le débat est clos et l’affaire est classée. On passe à autre chose parce qu’on ne peut pas réinventer la procédure ou semer le doute d’autant plus que les indices graves et concordants pouvant consister en des témoignages provenant de personnes présentes dans les lieux au moment des faits n’existent pas » explique Me Moustapha Ndoye, avocat à la Cour. Son confrère Me Etienne Dione abonde dans le même sens que lui en s’exprimant lui aussi de manière générale. « Permettez-moi d’abord de rappeler que le certificat médical est un document parfois requis pour établir ou asseoir certaines infractions notamment pour les coups et blessures volontaires ou réciproques. Sans oublier les cas d’agression sexuelle. Attention, les textes disent que le procureur de la République ou le directeur de la police judiciaire qui poursuit et surveille les enquêtes des policiers et des gendarmes n’est pas, en principe, lié par le certificat médical. Tout comme les juges du siège et les juges d’instruction lorsque l’affaire arrive au fond devant les Cours et Tribunaux. Mais on peut dire que, dans certains cas, ils ont mains liées et sont obligés de tenir compte du certificat médical. Et surtout si on est dans un cas où la personne présente des coups et blessures physiques clairement visibles. Face à cette situation, le juge a beau être indépendant, il ne saurait et ne pourrait écarter ledit certificat médical. Par rapport à la juridiction sénégalaise, si la durée de l’incapacité totale de travail (ITT) excède 21 jours, le mandat de dépôt est obligatoire. Mais que le certificat médical soit 10 jours, 5 jours ou 21 jours, tout cela dépend de l’appréciation souveraine du substitut du procureur de la République qui peut décider ou non de décerner le mandat de dépôt » explique Me Dione. Qui s’est aussi exprimé sur les certificats médicaux de complaisance qui peuvent faire basculer toute une vie « parce que le certificat médical n’est pas une simple formalité, sa rédaction engage la responsabilité du médecin. Les médecins ne doivent pas sous-estimer les risques d’un certificat médical dont l’intéressé de mauvaise foi sollicite une durée d’incapacité de plus de 21 jours. Donc les médecins ont une grande responsabilité vis-à-vis des certificats médicaux puisqu’ils jouent un rôle très important dans une procédure pénale » a tenu à sensibiliser Me Etienne Dione, avocat.

Demain, la Crei des…mœurs

A l’analyse, force est de croire que si les procureurs et les juges ne sont pas liés par l’avis du médecin ou du notaire, c’est parce qu’ils évitent de tomber dans le « piège » ou la bienveillance des certificats et actes de complaisance. Certes, comparaison n’est pas raison ! Mais à bien des égards, le certificat médical produit par la plaignante Adji Sarr semble figurer dans la catégorie des certificats médicaux qui ne lient pas les maitres des poursuites. Et dès lors que l’avis médical ne fait pas foi, Ousmane Sonko est invité par le juge d’instruction à se soumettre à des tests Adn afin de prouver qu’il n’a pas…violé. Une preuve de salut qui nous renvoie à la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (Crei), une juridiction d’exception où les règles de procédures renversent la charge de la preuve. Autrement dit, c’est désormais à Ousmane Sonko de se débrouiller pour apporter des éléments de preuve pouvant établir son innocence ! Une acrobatie judiciaire qui ne garantit pas le droit à un procès équitable aux personnes inculpées. A cet effet, il risque de subir le même sort que Karim Wade c’està-dire comparaitre, un jour, devant la Crei…des mœurs.

Pape NDIAYE

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