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D’habitude, les mots viennent aisément quand je choisis un sujet pour soumettre mes vues à votre sanction. Laissez-moi, ce matin, vous faire le plus pénible aveu qui porte sur l’impuissance à rédiger ce texte sous vos yeux. Une première. Mains moites sur le clavier de téléphone portable d’où je le rédige, idées floues, corps en colère, sans mots, regard perdu au loin, transfixé sur cette image démoralisante, honteuse, ignoble, mon démarrage est poussif.
Comme si une buée formée de virus mortels gèle ma pensée, retient ma plume.
L’image est là. Inexplicable. Où l’on voit, ayant déboulé de sa chaise anglaise, ventre déchargé, cette masse immonde qui en a été amincie, gueule recouverte d’un masque plus pour contenir les effluves nauséabondes qu’il a entraînées depuis son terroir privé. L’image suscite non pas le rire mais un sentiment de révolte: ni le bleu ciel de sa chemise, ni les dorures de sa montre, ni même les scènes de fond, de chevaux maçonniques, ou celles, sympathiques de ses cobayes d’enfants, rien ne peut distraire de l’insoutenable légèreté de cette main lourdement penchée vers ce carré en jaune et noir. Le plus sérieusement au monde, l’homme qui la fait avancer vers une case au moyen d’un pion jaunâtre est encore plus concentré qu’il ne l’était lourdement peu avant sur sa chaise anglaise. Son univers semble se réduire à ce jeu: le Lido. Il en éprouve une joie à peine feinte qui traverse les murs des écrans qui l’ont reproduite ad infinitam aux quatre coins des cœurs bouillonnant de rage du peuple sénégalais.
C’est l’image d’un homme bien dans sa peau. Ses viscères sont dévidées. Son ventre en est devenu plat. Il ne sent ni n’entend rien du monde autour de lui, juste à quelques mètres.
L’angoisse qui tenaille les populations sous le spectre d’une mort par le virus corona ou par la famine qui rôde? Ce n’est pas un sujet pour lui: sa cible est ce carré ludique.
La pauvreté sanitaire, incarnée par cette morbide salle de réanimation dans le Sud du pays révélée par un des grands médecins locaux, les scandales sur les aides alimentaires, transformées en trafic crapuleux avec son fils au centre et ses complices autour? Ça ne l’émeut pas non plus.
L’année scolaire hypothéquée ? Bof, semble-t-il dire. La démocratie et les libertés individuelles sous l’éteignoir? Tant mieux, soupire-t-il, les yeux toujours rivés vers ce Lido.
Réalise t’il qu’un soulèvement populaire n’a jamais été aussi imminent, légitime, possible? Il s’en fiche.
Alors que les dirigeants du monde entier, conscients de l’ampleur de la pandémie mortelle qui s’abat sur la planète et en mesurant la gravité, l’extrême gravité, inédite, dans l’histoire récente de l’humanité, redoublent d’attentions et d’initiatives pour y apporter des réponses urgentes, vastes et à sa hauteur, lui, en général de guerre, déserteur, ne trouve rien de mieux que de projeter l’image d’un homme zen. Il se réinvente, au milieu du cataclysme émergent, en joueur de Lido. En quelqu’un que rien, absolument rien, ne perturbe. Pas même les crissements des ventres de ses compatriotes qui hurlent leur faim. Pas les morts qui s’accumulent. Pas les taux de contamination qui affolent infrastructures et personnels médicaux, dépassés.
Que les membres de son gouvernement se soient révélés n’être que des tigres en papier alors que le peuple cherche désespérément les signes d’un leadership ou d’un refuge contre la mort et la faim, peu lui chaut: il tient à jouer à l’un de ses sports favoris après son long passage sur sa chaise anglaise.
Son visage semble être serein. On eut dit un quidam ordinaire. Ou un brigand ayant réalisé un coup fumant et s’étant échappé de ses poursuivants.
Prenez vos mouchoirs. Et pleurez. Faites tailler des cercueils. Creusez les tombes.
L’affaire est sérieuse. Il s’agit d’un individu qu’on appelle: Monsieur le President de la République du Sénégal.
C’est dans les grandes crises, on le sait, que les vrais leaders émergent, la preuve par Churchill, Roosevelt, De Gaulle, Staline.
En se posant en joueur de Lido pendant que le pays qu’il est censé diriger s’enfonce dans les ténèbres, Macky Sall prouve que l’exception à la règle jusqu’à la caricature tragique n’est pas vaine. Il est le prototype du petit leader. Plus irresponsable que lui, tu meurs…
Adama Gaye, Le Caire, 30 Avril 2020
Ps: Si le projet était un acte de communication, de relations publiques, c’est raté: on ne peut vendre qu’un bon produit, enseigne le marketing. Produit périmé et pourri, qui Macky pense-t-il pouvoir rouler ?