Déperdition des traditions et survivance des castes

par Dakar Matin

Il fut une époque où partout dans le Fouta, dans les communes et jusqu’aux villages, la tradition était revisitée à travers des jeux de société issus de la culture Halpular. Sous les coups de butoir de la modernité, ces jeux qui se déroulaient au clair de lune et qui réunissaient toute une génération, sont en train de disparaitre. La nouvelle génération se cherche d’autres loisirs plus modernes. Du coup beaucoup de ces jeux qui avaient également un côté didactique, se perdent. Même s’il y a un pan qui résiste, avec la survivance des castes.

Les personnes d’un certain âge se souviennent avec nostalgie des veillées nocturnes au village autour du feu de bois. Des séances de contes ou des jeux de société qui regroupaient des jeunes de différentes tranches d’âge. Plus que de jeux, ces loisirs participaient également à l’éducation des enfants. il en est ainsi des divertissements appelés « Kass – Kass » ou « samory ». ils se tenaient au cœur du village au clair de lune ou autour du feu de bois. Filles et garçons faisaient valoir leurs qualités athlétiques et leur endurance. Puisqu’ avec ces distractions qui étaient des parties de cache – cache, il fallait savoir courir. Et quand cela se faisait dans la journée, une séance exclusivement réservée aux garçons, il arrivait qu’ils fassent des escapades pour se retrouver en brousse. et c’était parti pour des moments de battue ou de quête de pâturages que les jeunes gens revendaient le lendemain. Par cette activité, beaucoup de ces adolescents ont appris, très tôt, à se prendre en charge et à se retrouver avec un pécule considérable. C’est par le produit de la vente de l’herbe pour le bétail durant toutes les vacances qu’ils parvenaient à acheter leurs fournitures scolaires et payer leurs frais de scolarité. La vie de ces jeunes se déroulait également autour du fleuve où ils se faisaient une petite fortune dans la traversée entre les deux rives du fleuve.

La jeunesse d’hier !

Abdourahmane sow est aujourd’hui un grand commerçant. Originaire de Thialy (village situé dans la région de Matam), il tient son magasin de vente de produits vestimentaires au marché de Diamaguène. Des études interrompues très tôt à cause des aléas de la vie. Très jeune, après s’être fait une petite fortune en vendant du foin, il se retrouve dans la capitale pour vivre de débrouille avant de tenir son propre magasin. Aujourd’hui, grâce à ce commerce, il parvient chaque fin du mois à envoyer de l’argent à ses parents au Fouta. a l’en croire, ces jeux presque anodins l’ont formaté pour faire de lui un homme prêt à relever n’importe quel défi. Les années passent, mais il se souvient toujours de ces périodes de son enfance partagée entre des camarades qui sont devenus ses vrais amis quel que soit leur rang social. a l’en croire, c’est un pacte de sang entre lui et ses amis dont certains sont des cadres. « Je ressens une forte émotion quand j’évoque cette période de ma jeunesse. Lorsqu’on allait pêcher au fleuve ou qu’on revenait de nos escapades après avoir passé de longues heures dans la brousse. On menait de rudes batailles à travers les jeux traditionnels des heures durant. Il y avait également des jeux tels que : « Langaboury » les « Yalli gobel »( Ndlr : une partie de jeu de foot par laquelle celui qui se retrouve avec la balle entre les jambes reçoit des coup sur le dos). La vente de l’herbe pour le bétail durant les grandes vacances. Quels beaux souvenirs. Le temps passe si vite » évoque –t-il le sourire aux lèvres caressant une barbe imaginaire.

Remontant le temps de cette belle époque du Fouta, mère Dieyni Ba soutient que les jeunes d’aujourd’hui n’accordent plus une grande importance à leur culture du terroir. Ceci, à force de s’être occidentalisés. Pour elle, ces jeux, plus que des distractions, forgeaient mentalement les enfants du Fouta car les préparant à affronter les rigueurs et réalités de la vie. Une endurance à toute épreuve si bien qu’ils pouvaient résister à toutes privations. C’était aussi le respect dû aux parents et aux ainés. Une perte des valeurs que notre interlocutrice explique par la forte scolarisation dans un milieu qui comptait peu d’écoles et qui était très réfractaire à la modernité. « a notre époque, il existait peu d’écoles et aucun parent ne tenait à y mettre sa fille. Nous, les filles, on ne s’occupait que des travaux ménagers en aidant nos parents. Durant les périodes de récolte, on se retrouvait dans les champs » a expliqué la vielle dame.

L’effet de la modernité chez la nouvelle génération !

Les jeux traditionnels aux placards, la jeunesse rurale est devenue plus moderne et s’est presque occidentalisée. Du coup, toute la richesse du terroir qui constituait un supplément d’âme pour leurs ainés est aujourd’hui presque piétinée. Les interdits d’hier sont ainsi devenus des habitudes. Du coup, la société s’en trouve bouleversée avec des situations qu’on ne pouvait même pas imaginer il y a trente ans voire 20 ans. Des grossesses non désirées sont régulièrement notées dans un milieu qui était très conservatiste avec des jeunes en manque de loisirs et laissés à eux-mêmes. Les jeux traditionnels jugés archaïques, la jeunesse fait un clin d’œil à la modernité. ce sont maintenant les podiums de rap, les soirées dansantes … etc., les parents ne pouvant plus contrôler leurs progénitures. Lesquelles, avec le contact de l’école, sont plus ouvertes au monde et aspirent à d’autres découvertes. Ce qui fait que depuis la fin des années quatre-vingt-dix, cette jeunesse rurale s’est complétement métamorphosée et disloquée.

Les rendez-vous culturels qui tendent vers la disparition !

Ainsi oubliés les évènements phares qui occupaient leurs ainées pourtant plus assis intellectuellement. Pour ces derniers, les vacances scolaires et universitaires constituaient des périodes de retrouvaille. En plus du sport, se tenaient des activités culturelles. De ce fait, l’ambiance festive sur les bras du fleuve qui sépare la république islamique de Mauritanie et le Sénégal, était indicible. Femmes, hommes, jeunes, enfants et adultes s’y rendaient pour suivre ce qu’on appelle dans la région les « déenté laadée » (courses de pirogues). Les veillées nocturnes prenaient place dans tous les coins des villages. des foras avec toute la culture hal Pular à travers l’art du « Pekhannes » animés par de vrais poètes « cubalbés » qui chantent à la gloire des anciens qui ont marqué la société halpular. de véritables joutes oratoires où il fallait faire preuve d’une grande culture.

Le phénomène des castes, une réalité

Cependant en dépit de la perte de certaines valeurs, la société halpular peine à se départir de quelques réalités socioculturelles, notamment la survivance des codes ethniques et des castes. il est rare voire presque inexistant de voir des gens de castes différentes se marier. Les « cubalbés » pêcheurs) se marient entre eux sans sortir du clan. il en est de même pour les « Khorbés »(les bouchers), les Foulbés « les bergers peulh) les « Waloubés » (les cordonniers) et les « sakébés » (les artisans et cordonniers). « C’est une coutume bien respectée chez nous. Cela s’est toujours passé ainsi avec nos aïeux. Donc, on se doit de la respecter. Une union n’est célébrée qu’avec deux individus de même caste. Certains transgressent ces règles, mais ce sont des mariages qui tiennent difficilement. C’est une réalité qui est là et il faut l’accepter ainsi. Il ne faut pas chercher à comprendre. Ce n’est pas le fait qu’une ethnie minimise une autre ou qu’elle soit au-dessus de l’autre. C’est notre société qui ainsi faite » a tenté d’expliquer la dame Coumba Kane qui ne pense une seule fois transgresser ces règles qui ont la peau dure malgré la modernité.

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