Chronique d’un «mortal kombat»

par Dakar Matin

Grande révélation de la politique sénégalaise dans la période qui a suivi la deuxième alternance politique ayant vu l’accession à la magistrature suprême de l’actuel chef de l’Etat, Macky Sall, tombeur du pape du Sopi, son ex-mentor, Ousmane Sonko a fait rêver une grande partie des Sénégalais, notamment les jeunes. Sa ligne politique «anti-système» basée sur la dénonciation, chiffres à l’appui des magouilles et autres manquements à la transparence dans la gestion des affaires publiques par les responsables du régime qui profitent du système politique en place de l’indépendance en 1960 à nos jours pour s’enrichir dans le dos du peuple sénégalais, lui avait très vite permis de gagner une popularité auprès de beaucoup d’électeurs. Une popularité que le régime s’est toujours efforcé d’anéantir par divers stratagèmes qui vont de la radiation de la fonction publique au désaveu de l’Assemblée nationale dans l’affaire des 94 milliards en passant par les multiples campagnes de diabolisation, concernant notamment ses orientations religieuses et aujourd’hui cette affaire de « viol répété » et de « menace de mort » présumée pour ne citer que celles-là.

Comme relevé par Sud quotidien dans sa livraison d’hier, le bureau de l’Assemblée nationale qui s’est réuni pour examiner la demande de levée de l’immunité parlementaire du député Ousmane Sonko accusé de « viol répété » et « menace de mort » a déclenché sans surprise le compte à rebours de cette procédure. A la sortie de la réunion d’avant-hier, jeudi, mandat a été ainsi donné à la commission des lois, chargée de statuer sur le fond de la procédure de l’immunité parlementaire de tenir une rencontre le lundi 15 février prochain à 10h, en vue de mettre sur pied la commission ad hoc chargée d’entendre Ousmane Sonko. Sous peu, le leader de Pastef va allonger la liste des responsables politiques membres de l’opposition qui ont été livrés par leurs collègues députés à la justice sous le régime en place.

Le dernier député de l’opposition à se faire enlever son immunité parlementaire avant Ousmane Sonko fut Khalifa Sall, ex-maire de Dakar le 25 novembre 2017. Accusé dans l’affaire dite de la Caisse d’avance à la Ville de Dakar, Khalifa Ababcar Sall est d’ailleurs l’un des rares députés de l’histoire de l’Assemblée nationale à ne jamais bénéficier de son immunité parlementaire. En effet, après la confirmation de son élection comme député au soir des législatives de 2017 par le Conseil constitutionnel, l’actuel procureur de la République s’est opposé à sa libération.

Auparavant, ce sont les anciens camarades du président Wade, aujourd’hui alliés de son successeur, Ousmane Ngom, Oumar Sarr et Abdoulaye Baldé qui ont fait l’objet d’une levée de leur immunité parlementaire en 2013 dans la cadre de la procédure de traque des biens mal acquis qui les visait. Barthélémy Dias est le premier parlementaire qui a vu son immunité parlementaire levée sous le régime en place.

Pour rappel, c’est dans la période allant de 2012 à août 2016 qu’Ousmane Sonko s’est révélé à l’opinion publique sénégalaise. Secrétaire général honoraire du Syndicat Autonome des Agents des Impôts et Domaines, syndicat dont il est d’ailleurs un des membres fondateurs et Premier secrétaire général (avril 2005 – juin 2012), Ousmane Sonko alors que l’espace politique sénégalais était refroidi par le lancement de la campagne de traque des biens mal acquis contre des dignitaires du régime libéral du président Abdoulaye Wade, n’avait pas hésité à occuper l’espace politique.

Après avoir porté sur les fonts baptismaux avec quelques amis le parti politique Pastef/Les patriotes, formation politique qui prône une « nouvelle voie de développement économique et social » pour le Sénégal, il a commencé à multiplier les sorties de dénonciations dehhs « magouilles » et « mafias » organisées au cœur de la République par des responsables du régime en place qui, selon lui, ont mis en place « un vaste système de fraude fiscale ».

Dans sa ligne de mire, on peut citer entre autres l’actuel chef de l’Etat, Macky Sall et son frère cadet Aliou Sall, Frank Timis et l’Assemblée nationale pour ne citer que ceux-là. Des accusations qui ont fini par pousser le gouvernement à initier une procédure qui a abouti à sa radiation de la Fonction publique par décret présidentiel, le 29 août 2016 pour manquement à l’obligation de discrétion professionnelle sans être au préalable auditionné par le Conseil de discipline, comme le prévoient les textes.

DE LA RADIATION A LA…REPRESENTATION

Seulement, après cette sanction décrétée par les autorités et qui a signé la fin de sa carrière comme Inspecteur principal des Impôts et des Domaines au niveau de la Direction Générale des Impôts et Domaines, Ousmane Sonko n’a pas mis du temps à trouver un point de chute. Il s’agit de l’Assemblée nationale. Candidat aux législatives de 2017, il est élu député après avoir recueilli environs 13 891 suffrages.

Profitant de la tribune que lui offre son statut de député, Ousmane Sonko continue de forger son image de farouche opposant du régime en place. Ses prises de position à l’hémicycle sont essentiellement dominées par la question de transparence dans la gestion du pétrole, du fer, du zircon, du foncier…

En janvier 2018, il publie un intitulé « Pétrole et gaz au Sénégal. Chronique d’une spoliation » dans lequel, il revient sur des « malversations dans la gestion des ressources naturelles du pays » opérés selon lui par le président Macky Sall et son entourage. Ce livre sera suivi par un autre consacré à son programme de campagne électorale. Dénommé « Solutions », ce livre qui livre un diagnostic des problèmes sociaux et économiques du Sénégal et des propositions de solution pour y remédier est publié dans la foulée de sa déclaration de candidature à l’élection présidentielle de 2019.

En réaction à cette candidature du leader de Pastef dont la popularité gagne de plus en plus du terrain, un débat sur ses orientations religieuses a été soulevé par certains proches du pouvoir en place. Taxé de « salafiste » qui aurait forcé ses épouses à porter le voile, Ousmane Sonko a été ainsi obligé de rompre le silence lors d’un rassemblement de son parti à la Place de la Nation sise à Colobane. « Ce débat est dangereux et contraire à notre Constitution. On n’interroge aucun autre candidat sur ses pratiques religieuses. Pourquoi le fait-on avec moi ? Oui, je suis musulman, mais je n’ai pas à développer davantage sur ce sujet», s’était-il défendu.

Toujours dans son combat contre le pouvoir en place, le leader de Pastef/Les patriotes a eu à faire plusieurs dénonciations de scandales présumés impliquant des responsables du régime en place dont l’affaire des 94 milliards qui a tenu en haleine le monde politico-judiciaire sénégalais entre le mois d’octobre 2018 et janvier 2021. Révélée au grand jour par Ousmane Sonko qui a décidé par ailleurs de déposer une plainte devant le Procureur de la République et le doyen des juges d’instruction contre Mamour Diallo, directeur des Domaines, Meissa Ndiaye, ancien chef de bureau des domaines de Ngor-Almadies et l’homme d’affaires Seydou Sarr pour escroquerie portant sur les deniers publics, faux, usage de faux, et concussion (94 milliards), cette affaire sera finalement classée sans suite.

Dans une ordonnance de refus d’informer datée du 18 janvier 2021 dernier, le doyen des juges Samba Sall a indiqué qu’Ousmane Sonko ne saurait justifier d’aucun préjudice subi directement par lui qui proviendrait de la commission des infractions en cause. Cette décision faisait suite à celle prise par la Commission d’enquête parlementaire mise en place par le bureau de l’Assemblée nationale pour tirer au clair les accusations du leader de Pastef/Les patriotes et qui a blanchi Mamour Diallo et compagnie. A l’époque, Mamour Diallo avait même annoncé en retour par le billet de ses avocats une plainte pour diffamation contre Ousmane Sonko.

MORT POLITIQUE… PROGRAMMEE

Le «mortal kombat» entre Ousmane Sonko, candidat arrivé entre temps en troisième position à la dernière présidentielle, et le régime en place connaitra divers avatars. Tous furent cependant marqués par une volonté manifeste du camp au pouvoir de museler l’opposant qui prenait de plus en plus du poids dans la sphère politique. Les tentatives furent multiples : l’avant dernière ayant coïncidé il y a tout juste deux mois avec cette menace brandie par le tout nouveau ministre de l’Intérieur Antoine Félix Diome de dissoudre le parti Pastef, en raison d’une campagne internationale de levée de fonds qui s’était révélée fort fructueuse. Le gouvernement arguait alors d’un0 financement occulte par des étrangers, toute chose interdite par le Code électoral et les lois en vigueur. Cette fois, Ousmane Sonko est cité dans une sulfureuse affaire de mœurs qu’il qualifie lui-même de « cabale politique » et qui pourrait à la longue concrétiser la mort politique programmée depuis longtemps du jeune leader de Pastef. Si lui et son camp ne trouvent pas entretemps les stratégies idoines pour contrecarrer les agissements des mains tapies dans l’ombre et qui œuvrent, selon certains esprits, à sa destruction systématique.

Nando Cabral GOMIS

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