Saisi par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, l’Assemblée nationale a enclenché la procédure de levée de l’immunité parlementaire du député Farba Ngom, accusé de blanchiment de capitaux, selon un rapport de la Centif transmis au Pool judiciaire financier (Pjf).
D’ailleurs, la liste des 11 membres de la commission ad-hoc (9 de Pastef, 1 de Takku Wallu et 1 des non-alignés), qui devra statuer sur la question, sera ratifiée, ce vendredi, avant la plénière prévue très prochainement.
Il convient de noter que M. Ngom n’est pas le premier député à être visé par une demande de levée de l’immunité parlementaire dans l’histoire politique récente.
Massata Samb et Mamadou Niang
En décembre 2022, deux parlementaires du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur), dirigé par le guide religieux Serigne Moustapha Sy, ont perdu leur immunité parlementaire suite à une plainte. Ils sont tous deux impliqués dans des violences commises le 1er décembre à l’Assemblée contre une députée. Massata Samb a giflé la parlementaire Amy Ndiaye, tandis que Mamadou Niang lui a donné un coup de pied au ventre lors du vote du budget du ministère de la Justice. La députée était enceinte. Selon Massata Samb, elle avait tenu des « propos irrespectueux » à l’encontre de leur chef religieux.
Ils ont ensuite été jugés et condamnés, à mi-janvier, à une peine de 6 mois de prison ferme pour « coups et blessures volontaires ».
Ousmane Sonko
Lors d’une déclaration de presse à son domicile à la Cité Keur Gorgui, le leader de Pastef avait annoncé son refus de se rendre à la Section de recherches de la Gendarmerie nationale, invoquant son statut de député. C’est ainsi que le ministre de la Justice d’alors a saisi le président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, pour la levée de son immunité parlementaire, ce qui a été fait en procédure accélérée.
Khalifa Sall
La levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall fait partie des procédures ayant le plus attiré l’attention de l’opinion publique. Cité dans l’affaire dite de la Caisse d’avance de la Ville de Dakar et incarcéré depuis début mars 2017, l’immunité du député socialiste a été levée le 25 novembre de la même année. À l’issue d’une séance plénière tumultueuse, 125 députés contre 27 ont voté le rapport d’une commission parlementaire recommandant cette levée. Celle-ci a ouvert la voie à un long feuilleton judiciaire, à l’issue duquel il a été condamné, le 30 mars 2018, à une peine de 5 ans de prison ferme et 5 millions de francs CFA d’amende pour « escroquerie de deniers publics et faux en documents administratifs ». Il a cependant été élargi grâce à une grâce présidentielle, signée le 29 septembre 2019.
Barthélémy Dias
Avant l’ex-édile de Dakar, un de ses plus proches collaborateurs, Barthélémy Dias, a également été victime de cette procédure. En effet, le vendredi 11 novembre 2016, l’Assemblée nationale a levé, lors d’une session sans débat, l’immunité du député-maire de Mermoz-Sacré-Cœur. Les députés de la 12e législature, favorables aux conclusions de la commission ad-hoc dirigée par Moustapha Diakhaté, ont majoritairement (62 voix pour, 14 contre et 4 abstentions) « dépouillé » le maire de Mermoz-Sacré-Cœur, cité dans une affaire de meurtre à l’encontre de Ndiaga Diouf suite à une attaque armée survenue le 22 décembre 2011 dans la mairie de Mermoz-Sacré-Cœur. Prenant la parole avant le vote, Barthélémy Dias a maintenu sa position : « Je vous invite à lever mon immunité parlementaire sans débat », a-t-il lancé à ses collègues.
Il a été condamné, le 16 février 2017, à deux ans de prison, dont six mois fermes, pour « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et « détention illégale d’armes sans autorisation ». Cette peine de prison ayant quasiment été couverte par la durée de sa détention provisoire, de décembre 2011 à mai 2012, Barthélémy Dias a donc été libéré. À l’audience, le procureur avait requis une peine de 10 ans de prison. Cette peine, devenue définitive plus tard, a conduit à sa radiation de la liste des députés de la 15e législature.
Oumar Sarr, Ousmane Ngom et Abdoulaye Baldé…
Le 10 janvier 2013, l’immunité parlementaire de trois députés du Parti démocratique sénégalais (Pds) a été levée à la suite d’une requête du procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Il s’agit d’anciens membres du gouvernement libéral : Oumar Sarr (ancien ministre de l’Urbanisme), Abdoulaye Baldé (ancien ministre des Mines) et Ousmane Ngom (ancien ministre de l’Intérieur). Tous ont été poursuivis dans le cadre de la traque des biens mal acquis.
Moussa Tine et Alcaly Cissé
Arrivé sur le lieu d’évacuation du blessé, à savoir l’hôpital Principal de Dakar, Moussa Tine s’était interrogé sur la présence suspecte du ministre-chef de cabinet du président de la République et avait, dans une intonation dubitative, cherché à établir un lien entre la présence de Papa Samba Mboup et l’agression de Talla Sylla. Se sentant diffamé, le ministre-conseiller avait saisi le procureur de la République d’une plainte en diffamation contre Moussa Tine. Avant même de saisir le parquet du tribunal correctionnel de Dakar, Me Ly et son client avaient saisi directement le bureau de l’Assemblée nationale pour demander la levée de l’immunité de Moussa Tine afin de l’amener devant la juridiction pénale.
Quant à Alcaly Cissé (décédé le 29 septembre 2019 à Djeddah, en Arabie Saoudite), il avait lui-même demandé la levée de son immunité après avoir été accusé d’escroquerie dans une affaire remontant à 1989. « Tout ce dont on m’accuse est faux, et j’ai écrit une lettre pour demander qu’on lève mon immunité », avait-il déclaré, précisant qu’il n’était pas encore député à l’époque. En levant son immunité, ses collègues de la majorité avaient ainsi décidé de le laisser se défendre devant la juridiction pénale des actes dont il était présumé coupable.
Procédure encadrée
Il convient de rappeler que la levée de l’immunité parlementaire d’un député obéit à une procédure bien encadrée. Pour qu’elle soit enclenchée, il faut que le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, saisisse l’Assemblée nationale par lettre, accompagnée d’un document argumenté par le procureur de la République près la Cour d’appel. Le bureau de l’Assemblée se réunit ensuite pour décider de la suite à donner à la requête, pouvant émettre un avis défavorable (refus).
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Si la requête est approuvée, une commission de 11 membres est mise sur pied. Le député visé doit être entendu par cette commission avant qu’une plénière ne décide de son sort. L’article 52 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale prévoit que « la Commission doit entendre le député intéressé, lequel peut choisir, comme défenseur, un de ses collègues ». Lors des débats en plénière, seuls le Président, le Rapporteur de la Commission, le Gouvernement, le député ou son défenseur, ainsi qu’un orateur contre, peuvent prendre la parole.
Après l’étude sur le fond, une nouvelle plénière sera convoquée sur les recommandations de la commission ad-hoc. L’Assemblée peut alors décider qu’il n’y a pas lieu de lever l’immunité parlementaire ou bien décider de l’enlever. Dans ce dernier cas, la levée de l’immunité est automatique, et le député peut faire l’objet de poursuites ou d’arrestation immédiatement. La procédure peut durer jusqu’à 8 jours.
Salla GUEYE – Le Soleil