Propos recueillis par Oumar NDIAYE
Analyste politique et docteur en économie du développe- ment, Dr Gilles Yabi est le fon- dateur et le président de West Africa Citizen Think Tank (Wathi). Depuis plusieurs an- nées, il a beaucoup réfléchi et écrit sur cette question des bases militaires françaises en Afrique et de manière générale sur les partenariats entre le continent africain et les autres parties du monde.
Comment analysez-vous la passe d’arme verbale entre le président français et certains Etats africains sur la fermeture des bases militaires françaises en Afrique ?
Le président Français Emmanuel Macron voulait d’abord s’adresser aux diplomates, aux fonctionnaires français et de manière plus large à l’opinion publique fran- çaise, en essayant de faire croire qu’il n’y avait pas de recul de l’influence française en Afrique sur le terrain militaire. Donc il a mis en avant le fait que c’était la France qui avait décidé de la fermeture de ces bases militaires et non les États concernés.
La réponse du Sénégal et du Tchad dément la position exprimée par le président Français. Lorsqu’on regarde les différents rapports qui ont été faits sur la restructuration de la présence militaire en Afrique depuis une dizaine d’années et un rapport d’information en 2014 par exemple qui avait été réalisé par une commission de l’Assemblée nationale française, ils proposaient le maintien de cette présence avec une diminution des effectifs. Entre-temps, il y a eu tous les développements militaires et politiques au Sahel et la montée d’une contestation de l’influence française dans la région et de cette présence militaire dans beaucoup de pays de la région.
L’idée d’une présence zéro ne faisait pas partie des recommandations notamment faites par l’envoyé spécial du président Macron Jean-Marie Bockel lorsqu’il s’est rendu dans les pays concernés à l’exception du Sénégal. Le calendrier électoral au Sénégal n’avait pas permis cette rencontre et le Premier ministre Ousmane Sonko avait exprimé de manière très claire la volonté de voir cette présence militaire disparaître. Il est clair que les propos du chef de l’État français peuvent s’appliquer à quelques pays comme le Gabon, la Côte d’Ivoire. Je pense qu’en ce qui concerne le Tchad et le Sénégal les propos du président français sur la paternité de cette décision ne correspondent pas simplement à la réalité.
Avec la fermeture de ces bases dans beaucoup de pays africains, croyez-vous que cela va- t-elle créer un vide sécuritaire que les systèmes de sécurité de ces Etats ne peuvent pas combler ?
Je ne crois pas vraiment que les départs des soldats français de ces bases permanentes créeront un vide sécuritaire. Il faut l’examiner pays par pays, contexte sécuritaire par contexte sécuritaire. Mais la réalité, c’est d’abord que les effectifs ne sont pas très importants et qu’il y a déjà eu plusieurs diminutions que ce soit au Sénégal, au Gabon ou même en Côte d’Ivoire.
Les effectifs ne sont pas de nature à représenter une véritable garantie sécuritaire pour les États qui abritent ces bases. Ces forces dites prépositionnées permettent de faciliter l’envoi de forces plus importantes en cas de besoin. Les forces prépositionnés au Sénégal, au Tchad, en Côte d’Ivoire ont servi beaucoup pour les opérations militaires françaises dans le Sahel. On ne peut pas parler de vide sécuritaire en particulier dans les pays qui ne connaissent pas des conflits armés et des si- tuations sécuritaires extrêmement difficiles.
Je pense qu’il faut surtout aussi signaler le fait qu’on n’a pas besoin d’avoir une présence mili- taire permanente d’un acteur extérieur et d’un pays partenaire pour bénéficier de coopération et de soutien militaire en cas de besoin. Cette nuance est importante.
De manière générale peut-on aussi s’attendre à un nouveau de type de relation entre les pays africains et la France à l’aune de la montée des discours souverainistes et de ce qui peut être qualifié de sentiment anti-français ?
L’expression sentiments antifrançais qui est très en vogue notamment dans les médias surtout français, ne représente pas la réalité. Il y a très peu de cas d’attaques ciblées de citoyens, touristes, entrepreneurs français qui vivent dans les capitales notamment ouest africaines.
Il y a par contre une contestation virulente de l’influence française, de la présence militaire française et parfois aussi de ce qui est perçu comme étant une influence économique qui reste assise sur l’influence politique héritée de la colonisation.
Évidemment, nous avons des changements qui sont en cours liés au discours souverainiste. Mais je crois plus profondément que ces changements s’inscrivent dans le cours naturel de l’histoire. C’est normal qu’à partir d’un certain moment, qu’il y ait une nouvelle génération d’Africains qui souhaitent avoir de nouvelles relations avec la France qui ne sont pas nécessairement des relations tendues mais qui soient des relations normales. Il y aura forcément une évolution des relations des pays africains et la France.
Mais je pense que cela va être déterminé à la fois par les changements au niveau des pays africains et en France.
Le Soleil