Une enquête du quotidien La Croix révèle la montée d’une rhétorique hostile à la France au Sénégal, sur fond de changements politiques majeurs dans la région. Si le discours se durcit, notamment du côté du parti au pouvoir, la situation reste très différente de celle des pays voisins du Sahel.
« Le Sénégal n’est plus la chasse gardée des Français », affirme sans détour Oumar Alioune Kane, responsable de la communication du Pastef, le parti au pouvoir. Dans un entretien accordé à La Croix, il dénonce « une relation de paternalisme » et revendique des « relations d’égal à égal ». Plus radical encore, il lance : « On en a marre que l’Occident essaie de nous civiliser ! »
Ce discours n’est pas isolé. Selon un rapport récent de l’association Tournons la page et du Centre de recherches internationales de Sciences Po, cité par La Croix, le rejet de la politique française en Afrique est « massif, presque unanime ». L’étude, basée sur plus de 500 entretiens dans six pays d’Afrique francophone, pointe plusieurs griefs : manque de fiabilité sécuritaire, pillage des ressources, collusion avec les élites corrompues.
Du côté français, on relativise. « Qu’il y ait des incompréhensions, des questions, des critiques, cela fait partie de la vie du monde », confie une source diplomatique française à Dakar au quotidien. « Il y a du populisme partout, y compris ici. Comme nous faisons partie du paysage, nous sommes associés aux critiques. »
Les tensions se sont manifestées concrètement : entre mars 2021 et juin 2023, 39 magasins Auchan ont été vandalisés lors de manifestations pro-Ousmane Sonko, rapporte La Croix. Pourtant, un étudiant proche du Pastef, Mamadou, nuance : « Cela a été instrumentalisé par les médias. Jusqu’à présent, on n’a vu aucun Français se faire immoler… »
Le chercheur d’Amnesty International Ousmane Diallo, interrogé par La Croix, offre une analyse éclairante : « Le discours des putschistes sur la souveraineté, sur le changement de paradigme par rapport à la France a circulé dans la région et suscité, au moins dans un premier temps, un fort engouement à Dakar. Puis, lorsque les Sénégalais ont vu ce que devenait le Mali, le Niger, le Burkina Faso, ils ont mesuré leurs propos. »
Un point de friction particulier émerge autour des droits LGBT. Le Premier ministre Ousmane Sonko a prévenu que ce sujet pourrait devenir un « casus belli ». La source diplomatique française répond : « Il n’y a pas d’imposition de valeurs. Tous les projets ici sont portés par des Sénégalais », tout en admettant que « ces partenaires locaux peuvent eux-mêmes avoir des valeurs différentes de leur population. »
Malgré ces tensions, l’enquête de La Croix souligne que les Français installés au Sénégal ne ressentent pas d’hostilité particulière et se sentent en sécurité, contrairement à la situation dans les pays voisins du Sahel. Une différence notable qui suggère que le Sénégal, malgré une rhétorique parfois agressive, maintient une relation complexe mais stable avec son ancien colonisateur.