De la dissidence à la présidence, en passant par la clandestinité, le Pastef s’apprête à écrire un nouveau chapitre de sa jeune histoire. Dix ans après sa création dans une modeste salle de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, le parti d’Ousmane Sonko fait le pari risqué d’affronter seul les législatives du 17 novembre.
Selon Jeune Afrique (JA), l’annonce a été faite lors d’une réunion qui avait des airs d’oraison funèbre pour la coalition « Diomaye président ». Face aux alliés réunis à l’hôtel King Fahd de Dakar le 21 septembre dernier, le Premier ministre a tranché : « Seule la liste de Pastef allait participer aux élections », relate Charles Ciss, qui dénonce un « procédé antidémocratique et discourtois ».
Un virage stratégique assumé par les cadres du parti. « Après une élection, on n’a plus d’alliés. Tous ceux qui nous ont accompagnés retournent dans leur propre camp ou se fondent dans le parti », explique l’un d’eux à JA. Une position qui marque la volonté d’émancipation du mouvement : « Il est temps de revenir à nos fondamentaux. Nous avons un parti jeune, qui a besoin d’une majorité stable. »
Le parcours de Pastef détonne dans le paysage politique sénégalais. Créé en 2014 par un groupe d’inspecteurs des impôts autour d’Ousmane Sonko, le parti s’est construit sans scission avec les formations existantes. Parmi les architectes de cette ascension fulgurante, Bassirou Diomaye Faye, devenu président de la République, a joué un rôle crucial dans l’élaboration du « Projet », le programme qui a séduit les Sénégalais en mars 2024.
L’histoire récente du parti est marquée par une période sombre. Le 31 juillet 2023, une dissolution par décret présidentiel, une première dans l’histoire récente du Sénégal, contraint le mouvement à la clandestinité. « Cette période-là a été très compliquée, nous devions tenir nos réunions de manière presque clandestine », se remémore Madièye Mbodj, vice-président et conseiller spécial du chef de l’État, interrogé par Jeune Afrique.
La renaissance officielle intervient le 27 mars 2024, quelques jours après la victoire présidentielle, par un décret d’abrogation signé par Macky Sall « dans un souci d’apaisement ». Aujourd’hui fort de près de 10.000 membres, le parti a temporairement gelé les nouvelles adhésions dans l’attente d’un congrès prévu en 2025, selon le magazine panafricain.
L’ambition législative du Pastef surprend par son audace. Dans un système où 105 sièges sur 165 sont pourvus au scrutin majoritaire, le parti qui n’avait obtenu qu’un siège en 2017, puis 26 en 2022, vise désormais la majorité absolue de 83 députés. Ousmane Sonko, désigné tête de liste, mène cette bataille décisive.
Le parti est désormais omniprésent jusque dans les détails du quotidien. Sa devise « jub, jubbal, jubbanti », prônant éthique et droiture, orne les timbres fiscaux, tandis que les visages du président et du Premier ministre s’affichent sur les cahiers d’écoliers.
Cette ascension fulgurante n’est pas sans soulever des questions sur la gestion du pouvoir. Comme le rappelle Jeune Afrique, en septembre, une polémique a éclaté suite aux propos du ministre de la Santé, Ibrahima Sy, évoquant une préférence pour le recrutement de militants du parti. Si Pastef a officiellement pris ses distances avec cette position, un conseiller présidentiel nuance auprès de JA : « Ce sont des choses à faire, pas des choses à dire. […] Peut-on lui reprocher de favoriser un cadre expérimenté de son parti dans ces conditions ? »
Pour Madièye Mbodj, les législatives du 17 novembre représentent « la lutte du système contre l’antisystème ». Un scrutin qui dira si le parti, né dans l’opposition et porté au pouvoir par une vague de changement, peut désormais gouverner seul tout en restant fidèle à ses principes fondateurs.