Si l’élection de Bassirou Diomaye Faye à 44 ans comme plus jeune président de l’histoire du Sénégal en mars 2024 semblait augurer d’un renouveau politique, la réalité est plus nuancée. L’ancien président Macky Sall, qu’on pensait en retrait après douze années à la tête de l’État, fait un retour remarqué sur la scène politique. À 62 ans, il prend la tête de la coalition Takku Wallu Sénégal pour les législatives du 17 novembre.
Un paradoxe tenace s’observe au Sénégal, souligne Jeune Afrique (JA) : « l’électorat se renouvelle, pas les dirigeants ». Dans les états-majors des partis comme sur les listes électorales, les figures dominantes, majoritairement masculines, restent les mêmes depuis des décennies. Une situation d’autant plus frappante que la moitié de la population n’a pas 19 ans, et que trois Sénégalais sur quatre ont moins de 35 ans.
La défaite du camp présidentiel en mars n’aura pas suffi à bousculer les hiérarchies établies. Jeune Afrique rapporte les inquiétudes qui se manifestaient déjà avant le scrutin : « Notre erreur, c’est d’avoir laissé Ousmane Sonko se positionner sur les questions liées à la souveraineté, à notre rapport avec la France, à notre indépendance. Il occupe désormais tout ce terrain, et nous ne parviendrons pas à le récupérer », confiait un membre de l’ancienne majorité.
Le magazine dresse un tableau édifiant des figures historiques qui s’accrochent au pouvoir : Abdoulaye Wade préside toujours le PDS à 98 ans, Moustapha Niasse dirige encore l’AFP à près de 85 ans malgré une promesse de retraite en 2021, et Idrissa Seck, 64 ans, maintient son emprise sur Rewmi malgré trois échecs présidentiels.
« Une fois une certaine maturité atteinte, on va vers le déclin, par la force des choses », confie à JA un candidat aux législatives ayant quitté sa formation. Il ajoute avec amertume : « Ils vont te répéter que tu peux prendre leur place jusqu’à ce que tu sois vieux comme eux. »
La création d’organisations de jeunesse au sein des partis – comme la Convergence des jeunes républicains (APR) ou le Mouvement national des jeunesses socialistes (PS) – ne change pas fondamentalement la donne. Selon un spécialiste cité par le magazine, « les jeunes ont souvent un rôle d’appendice […]. Ils sont instrumentalisés, mais pas représentés de manière équitable au regard de leur poids électoral et de leur engagement politique. »
Quelques figures nouvelles tentent néanmoins d’émerger. Jeune Afrique évoque notamment Anta Babacar Ngom, 40 ans, directrice générale de Sedima, qui a réalisé le meilleur score jamais obtenu par une femme à une présidentielle (0,34%), bien que modeste. Ou encore Pape Djibril Fall, journaliste de 38 ans, qui avait créé la surprise en 2022 en remportant un siège de député comme indépendant.
Ces jeunes leaders tentent désormais de créer une « troisième voie » à travers l’alliance Sàmm Sa Kàddu. « Nous avons tous moins de 50 ans, et nous avons tous refusé d’avoir des postes de sinécure », explique Thierno Bocoum dans les colonnes du magazine. « Le Sénégal est dans une phase de transition, avec une page à fermer et une autre qui s’est ouverte, qui doit être alimentée par une autre génération. »
Le défi est de taille face à l’abstention massive des jeunes. Selon l’Agence nationale de la statistique citée par Jeune Afrique, en mai 2021, seule la moitié des 18-25 ans et à peine 10% des 18-20 ans étaient inscrits sur les listes électorales. Un million d’électeurs potentiels attendent ainsi d’être convaincus, alors que le pays fait face à des défis majeurs : migration irrégulière, pauvreté endémique et chômage massif des jeunes.
Dans ce contexte, la victoire historique de Bassirou Diomaye Faye apparaît moins comme une révolution générationnelle que comme une première brèche dans un système politique encore largement dominé par ses figures historiques. L’avenir dira si cette élection marque véritablement le début d’un renouvellement en profondeur de la classe politique sénégalaise.