ROBERT BOURGI OUVRE LES MALLETTES PRESIDENTIELLES

par pierre Dieme

Beaucoup l’auraient supplié qu’il emporte ses secrets dans sa tombe. Mais Robert Bourgi, qui a le sacré privilège de fréquenter les bonnes et mauvaises personnes, assisté aux scènes irréalistes et inédites entre politiques, vendre son génie de lobbyiste, est le genre à partager des anecdotes. Hommes politiques africains, français et du monde sont passés par lui, le «fils de Jacques Foccart», pour régler leurs «problèmes». Dans «Ils savent que je sais tout : Ma vie en Françafrique», son livre-mémoire, livre-entretien à paraitre aux éditions Max Milo, Robert Bourgi raconte sa vie au journaliste Frédéric Lejeal. Entre les dollars de Blaise Compaoré à Chirac cachés dans des djembés, et ouverts dans la cour de l’Elysée, le milliard de FCFA de Omar Bongo à Abdoulaye Wade pour sa candidature en 2007 par l’intermédiaire de Karim ou encore Wade qui a remis une mallette contenant 1 million de dollars dans le bureau du secrétaire général de l’Elysée, en avril 2002 pour la campagne de Chirac…, la Françafrique a fait ses beaux jours. Il a réservé des «bonnes feuilles» de son livre à Emedia. Radio Bourgi a parlé.

Vous êtes proche du Burkina Faso et votre contact sur place n’est pas n’importe qui : c’est Salif Diallo, l’homme qui a fait Compaoré politiquement.

C’était le confident, le sherpa. Il était plus direct, plus rugueux et moins retors que le Président burkinabè. Durant nos échanges, il sous-entendait sans ambages que s’il pouvait se débarrasser de Gbagbo, il n’hésiterait pas. Il faut dire que la victoire de ce dernier a mis à mal la communauté burkinabè de Côte d’Ivoire, forte de plusieurs millions de ressortissants, notamment dans les plantations de cacao.

Avez-vous répercuté à Villepin ?

Naturellement, c’est même Salif Diallo qui m’y a incité.

Outre son influence sur le Président burkinabè, il fut son émissaire pour le transport de fonds en provenance de Ouaga.

À l’approche de la Présidentielle de 2002 en France, bis repetita donc ! La «chiraquie» m’a redemandé de collecter de l’argent. Le Président burkinabè faisait partie des donateurs assidus même s’il m’avoua que les caisses ne débordaient pas. En novembre 2001, j’ai calé une importante remise de fonds avec Salif Diallo à Ouagadougou où je me suis rendu avant que lui-même ne vienne à Paris. Il était descendu au Sofitel Champs Elysées où je suis allé le chercher. Et là, très gros problème : l’argent n’était pas dans des sacs ou des mallettes, mais dans des djembés ! «Grand frère, le patron a dit qu’il fallait que cela passe inaperçu. Il a eu cette idée, car Villepin adore la musique».

C’était le dimanche 18 novembre, nous nous sommes retrouvés tous les deux devant quatre tambours remplis de dollars : 3 millions au total. J’étais incrédule. Villepin devait le rencontrer en soirée. Nous sommes montés dans une voiture de l’ambassade du Burkina Faso. Salif Diallo est très grand, et les djembés ne rentraient pas tous dans le coffre.

Comment avez-vous procédé ?

Il m’a demandé de prendre ma voiture personnelle, mais comme je venais d’être opéré d’une hernie discale et que je refusais de toucher à cet argent, j’ai demandé à mon fils, Olivier, un solide gaillard, de m’accompagner. Comme d’habitude, tout le monde était avisé. Cette fois, nous sommes rentrés directement dans la cour de l’Elysée. Les gendarmes ne paraissaient absolument pas surpris. Et voici mon fils et Salif Diallo sortant les djembés de la voiture, aidés par Nadine Izard. Imaginez un peu la scène : les gendarmes, les huissiers en habits…

Nous sommes montés jusqu’au bureau de Villepin avec nos djembés pleins à craquer. Il nous a salués tout en posant les questions habituelles sur le montant. Salif Diallo a présenté ses excuses parce qu’il s’agissait de dollars. Le secrétaire général de l’Elysée est ensuite allé chercher Jacques Chirac :

– Monsieur le Président, vos visiteurs sont arrivés. Il a débarqué en chemise cravate, sans veste : – Alors chers amis, comment allez-vous ?

Les quatre djembés étaient debout devant lui. On se serait cru à un concert de Bob Marley. Lorsqu’il a aperçu mon fils, il a eu un moment d’hésitation, croyant qu’il s’agissait d’un journaliste.

C’était la première fois qu’il était embarqué dans vos opérations ?

Oui. Chirac posé les questions d’usage sur ses études, etc. Puis j’ai demandé à Olivier d’attendre dans le bureau de Nadine lzard.

Vous vous retrouvez à quatre dans le bureau du président de la République.

Il n’avait d’yeux que pour les djembés et regardait à peine Salif Diallo. Il lui a tout de même demandé comment se portait son président, Blaise Compaoré. Salif Diallo s’est de nouveau excusé pour la devise. Puis Chirac a paru interrogatif, car ignorant par où l’argent devait sortir. Les djembés avaient été scellés par le fond, il fallait en découper la peau. Il s’est tourné vers moi pour savoir si j’étais outillé pour cela. Je lui ai répondu par la négative.

Heureusement, Nadine Izard a débarqué, une grande paire de ciseaux à la main. Salif Diallo, qui avait une prestance de seigneur, se demandait s’il n’avait pas atterri dans un asile. Jamais je n’oublierai cette scène. Une fois le premier djembé ouvert, il a été retourné et une pluie de dollars est tombé à terre. Que des petites coupures de 5 et 10 dollars. J’entends encore la remarque de Chirac : «Il y va fort Blaise. Il nous a refilé que des petites coupures. Comment va-t-on faire ?»

Sur cette remarque, je lui ai précisé que ma mission était terminée tout comme celle de l’émissaire. Nous avons demandé congé. Nous avons «demandé la route», comme on dit en Afrique.

Bongo, Karim et Wade (…) Combien d’argent liquide le n°1 gabonais donnait-il à l’issue de ses audiences ?

Je l’ignore, mais sa générosité était universelle. Il distribuait toujours ce cash dans des enveloppes krafts. Ce que je sais, en revanche, est qu’il avait ses fiches d’audience bien en main, et ce, depuis la veille. Il savait évidemment qui il allait recevoir et composait donc la somme en conséquence, en compagnie de ses hommes de confiance, à savoir son aide de camp officiel et son aide de camp privé. Bongo ne touchait jamais l’argent. Il prévoyait et faisait préparer la somme.

Je pense, sans trop me tromper, que, sur le plan africain, chaque chef d’Etat passant par Libreville pour demander opportunément une audience, le montant ne descendait pas en dessous de 500 millions francs CFA, soit 800 000 € actuels. Il ne donnait cette somme qu’aux présidents de pays plus ou moins nécessiteux, surtout ceux d’Afrique de l’Ouest.

N’allez pas croire qu’il distribuait de telles sommes à des Paul Biya ou à des Denis Sassou Nguesso qui n’en avaient pas du tout besoin. Il aidait des opposants également. Ce montant pouvait monter lorsque ces mêmes chefs d’Etat étaient en campagne électorale. Je sais pour l’avoir entendu du côté de Bongo, que pour la campagne présidentielle de 2007 d’Abdoulaye Wade, il avait fait parvenir, par l’intermédiaire de Karim Wade, 1 milliard francs CFA (plus de 1,5 million €). Les ministres de tous les pays africains, c’était minimum 100 millions francs CFA, soit 150 000 €. Il me disait tout le temps : «Tu vois Fiston, ils demandent tous des missions auprès de moi, mais je sais pourquoi ils viennent». Pour les visiteurs gabonais, c’était plus modeste. Il ne donnait d’ailleurs pas tout le temps, mais cela ne descendait pas en dessous de 5 ou 10 millions francs CFA.

Wade : le mandat de trop On l’a vu notamment pour l’affaire des otages du Liban, vous entretenez des rapports de proximité avec Abdou Diouf.

Ils remontaient bien avant la libération des otages français, dès notre première rencontre en 1986, lorsque j’officiais au cabinet de Michel Aurillac. J’allais à Dakar dans ce cadre deux à trois fois par mois. Il faut se rappeler que Michel Aurillac avait connu le président Diouf en 1960 à sa sortie de l’École nationale de la France d’outre-mer (Enfom). Il était déjà lié à Léopold Sédar Senghor et présidera, par la suite, une des chambres de la Cour suprême dirigée par Isaac Forster. Il avait une véritable prédilection pour le Sénégal. Avec Abdou Diouf, les entretiens duraient jusqu’à deux heures. Nous abordions toutes les questions d’ordre politique sénégalais ou international. J’ai fait partie, à mon modeste niveau, de ceux qui ont amené ce chef d’Etat, membre de l’Internationale socialiste, à ne pas s’abstenir lors du vote aux Nations Unies sur la Nouvelle-Calédonie. Onu qui, je le rappelle, poussait à un processus de décolonisation. L’abstention le tentait, ce que François Mitterrand et son Premier ministre Jacques Chirac voyaient d’un mauvais œil, Jacques Foccart avait été dépêché à Dakar pour le faire changer d’avis.

Michel Aurillac m’avait également demandé d’intervenir, Bruno Diatta, l’emblématique chef du protocole de la présidence sénégalaise, avait fait retenir l’avion de mon retour sur Paris, le temps de développer mes argumentaires. Finalement, Abdou Diouf a suivi la France. Par la suite, j’ai continué de le côtoyer même lorsque je n’étais plus conseiller, rue Monsieur. Malgré cela, nous n’étions pas des intimes. Je n’étais proche ni de sa famille ni de ses enfants.

Que retenez-vous du personnage ?

Il est à l’image de la confiance que lui a faite Léopold Sédar Senghor. Il avait toutes les qualités : l’intelligence d’esprit, la classe, la culture. Et il était si agréable. Je prenais vraiment plaisir à le voir. Nous sommes voisins à Paris. Il m’arrive de l’apercevoir.

Quels étaient vos rapports avec Abdoulaye Wade, opposant historique à la tête du Parti démocratique sénégalais (Pds) ? Le connaissiez-vous depuis longtemps ?

Avec Abdoulaye Wade, c’était autre chose. Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, il était un ami de mon père. Ils ont fait connaissance à la fin des années 1950. Avocat, il avait un cabinet à Dakar et il entretenait d’excellentes relations avec mon père. Quelques années plus tard, mon jeune frère, Rasseck Bourgi, fera son stage dans son cabinet. Il le considère jusqu’à aujourd’hui comme son maître à penser. Presque un second père. Même si j’ai montré quelquefois quelques divergences envers Abdoulaye Wade et son fils, Karim, j’ai du respect pour cette grande figure. Qui n’en aurait pas ? Aucun Sénégalais en tout cas.

Avez-vous connu Karim Wade jeune ?

Ce serait mentir de dire que je l’ai connu jeune. La première fois que j’ai discuté avec lui, c’était après l’accession de son père au pouvoir, en 2002. Nous déjeunions toujours ensemble lorsqu’il passait à Paris. J’ai eu des avis très tranchés envers lui. Mais les intimes, les familiers, les initiés savent que notre estime reste réciproque. C’est mon «petit» au sens fort du terme. Est arrivé avec lui le temps de servir son pays, surtout après l’alternance improbable à laquelle nous venons d’assister avec l’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye.

Pourquoi soutenir Abdoulaye Wade en 2000 et non le candidat du Parti socialiste ? Par conviction politique, le Pds étant membre de l’Internationale libérale ?

J’ai estimé que le temps d’Abdou Diouf était passé. Vingt ans, c’était beaucoup.

Dans quelle mesure actionnez-vous votre relationnel pour la candidature de Wade à cette Présidentielle ? Êtes-vous proche, par exemple, de son ami Alain Madelin, qui fut à la fois ministre de Jacques Chirac et d’Edouard Balladur ?

Il est évident que j’ai activé mon relationnel pour amener mes amis politiques français à s’intéresser de très près à cette personnalité et à sa candidature. Je leur disais qu’il méritait toute leur attention. Je le savais évidemment soutenu par Alain Madelin, mais je n’ai pas joué avec lui pour faire gagner Wade.

Lors d’un déjeuner à l’Elysée, en septembre 2001, Abdoulaye Wade confirme une aide financière pour la Présidentielle de 2002, en France. Vous avez confirmé cette opération au JDD avant de vous rétracter. Pour quelle raison ?

Le Président Wade a effectivement promis une contribution. Promesse concrétisée par la remise d’1 million de dollars dans le bureau du secrétaire général de l’Elysée, en avril 2002. L’argent était contenu dans une mallette. Pourquoi me suis-je rétracté ? J’avais une grande estime pour Abdoulaye Wade, qui était un ami de ma famille depuis plus de cinquante ans. Après la parution de l’interview du JDD, il m’a appelé de New York où il suivait l’Assemblée générale de l’Onu. Il a eu des mots touchants à l’endroit de mes parents et de la famille Bourgi. J’ai accédé à sa demande de me rétracter. Aujourd’hui, je maintiens qu’il a participé au financement de cette Présidentielle. (…)

Comment voyiez-vous la tentative inédite d’Abdoulaye Wade de rempiler pour un troisième mandat en 2012 ?

Il était sûr et certain de passer dès le premier tour. J’ai fait en sorte de faire recevoir Karim par Nicolas Sarkozy, lequel comme j’ai pu le dire, l’a mis en garde sur l’erreur fatale que cette candidature aurait sur l’image de son père. Mais il n’en démordait pas, persuadé que son père ferait un troisième tour de manège sans anicroches. On connait la suite…

Tentative qui marque votre rupture avec le camp Wade

Nous nous sommes brouillés à cette période, l’année 2011. Je ne cessais de répéter à Karim que son père devait éviter de livrer le combat de trop.

Abdoulaye Wade jouant à un jeu dangereux, vous vous rapprochez de Macky Sall

Dans l’instant où il fut en délicatesse avec le Président Wade. Il s’était retiré dans sa maison, après avoir été démis du perchoir de la présidence de l’Assemblée nationale, et lorsqu’il a commencé à tisser sa toile en très bonne intelligence pour emporter le pouvoir suprême en 2012. Lors d’un déplacement au Sénégal, je me trouvais, comme d’habitude, dans une voiture de la présidence, et suis allé lui rendre visite. Il n’avait plus aucune fonction. Le chauffeur a rapporté cette visite en haut lieu. Abdoulaye Wade m’a passé un savon mémorable le soir même. «De deux choses l’une : soit tu es avec moi, soit tu ne l’es pas !». En conséquence, j’ai pris mes distances. Macky Sall m’avait par ailleurs été présenté par l’excellent Pascal Drouhaud, ex-responsable des relations internationales du Rpr, mais aussi, il faut le savoir, ami personnel et de longue date du futur président sénégalais. Je prenais toujours un grand plaisir à échanger avec lui. (…)

De la même manière qu’Omar Bongo obtient la tête de Jean-Marie Bockel grâce à vous, vous faites remonter les vifs mécontentements d’Abdoulaye Wade envers l’ambassadeur de France à Dakar, l’écrivain Jean-Christophe Ruffin, que vous réussissez à faire rappeler en juin 2010. Comment cela s’est-il déroulé ?

Le plus simplement du monde : Abdoulaye Wade a appelé Radio Bourgi. Je me rendais à l’aéroport pour rejoindre ma femme en Corse. Arrivé à Orly, j’ai reçu un appel enfiévré de sa part :

Mon neveu, comment vas-tu, que fais-tu ?

Tonton, ça va très bien, je vais rejoindre ma famille en Corse.

C’est hors de question ! Tu retournes séance tenante à Paris.

Ruffin a changé de nationalité, il est devenu Sénégalais et l’un de mes opposants. Je ne veux plus le voir. Je ne peux accepter que l’ambassadeur de France joue contre moi. Je veux qu’il dégage !

Alors ça, ce fut une nouvelle affaire Bockel. J’ai annulé mon voyage avant de me ruer chez Claude Guéant. Abdoulaye Wade, ce n’était pas le doyen par la longévité, mais par l’âge. Donc respect. Le secrétaire général de l’Elysée et moi avons tout expliqué au président Sarkozy dans son bureau. Il a eu cette réflexion : «Encore ? Mais bon sang, c’est toujours comme ça !»

J’ai répondu que ça évoluait un peu depuis trente ans : avant on changeait les chefs d’Etat, maintenant les ambassadeurs…

Nommé à ce poste, en août 2007, avec compétence sur la Gambie, Jean Christophe Ruffin avait présidé l’Ong Action contre la faim. Il avait un côté «développeur» et assumait une certaine liberté de ton qui déplaisait profondément au pouvoir sénégalais. Depuis sa prise de fonction, il avait demandé l’ouverture d’un dialogue avec l’opposition. Il critiquait le Président Wade pour ses nombreux déplacements tout comme son projet de statue de la Renaissance africaine, qu’il trouvait dispendieux. Son prédécesseur, André Parant, qui occupait le 2, rue de l’Elysée à cette date, avait eu lui aussi quelques problèmes à Dakar pour avoir critiqué la tentation dynastique du clan Wade. Le départ de Jean-Christophe Ruffin étant acté, le Président Sarkozy m’a demandé qui je voyais pour le remplacer. Traditionnellement, je ne suis pas proche des diplomates, mais, lors de ma dernière visite à Brazzaville, le Président Sassou Nguesso s’était plaint de l’ambassadeur sur place, Nicolas Normand.

«Ah bon ? Même làbas ?»

Je connaissais Nicolas Normand, car, à chacune de mes descentes dans la capitale congolaise, j’allais à la résidence de l’ambassadeur- une sorte de pèlerinage- puisqu’il s’agissait de la case de De Gaulle. En outre, il était le gendre de Roger Fauroux, ex-ministre de François Mitterrand. A la demande de Nicolas Sarkozy, je devais lui annoncer sa nomination à Dakar, concomitamment au départ de Ruffin. Nicolas Normand, qui habite place du Panthéon, à Paris, à proximité de Laurent Fabius, était d’autant plus ravi que le Quai d’Orsay l’avait déjà «fléché» sur Djibouti après Brazzaville. Dakar est un beau poste. (…)

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