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Monsieur le président de la République, pour faire suite à votre élection à la tête de la magistrature suprême et par éthique républicaine et citoyenne, nous vous accompagnerons dans toute initiative de rupture qui ira dans le sens de satisfaire les préoccupations majeures des populations.
Nous vous rappelons d’ailleurs que cette volonté de rupture et de changement de paradigme a toujours été au cœur de notre engagement politique. Donc nous ne pourrons que nous en réjouir.
Notre conduite envers votre gouvernement sera d’approuver avec force et sans équivoque les ruptures consolidantes permettant de hisser les intérêts des populations au-dessus de tout autre mais également de dénoncer sans concession d’éventuelles dérives et d’éventuels non-respects des promesses faites aux populations.
Comme vous pouvez alors l’imaginer, nous serons les sentinelles de cette nouvelle alternance.
Nous pensons qu’il est prématuré de vous juger sur les réformes structurelles dont les résultats prendront du temps à s’installer sauf en apprécier les tenants et aboutissants. Il faudra vous laisser le temps de semer les bonnes graines pour que la récolte soit généreuse pour tous nos compatriotes.
Nous avons tous besoin de nouveau souffle de vie et d’espoir.
Sur les questions liées aux réformes conjoncturelles, aux comportements et aux décisions ponctuelles, il est clair qu’il n’est jamais tôt de recadrer un chauffeur quand il sort de sa ligne de conduite même s’il vient de prendre le volant.
Il y va de l’intérêt de tous les passagers du véhicule Sénégal.
Ce conducteur que vous êtes aujourd’hui, conduit l’espoir et les attentes de tout un peuple. Une gestion de l’État acquise après avoir dénombré des morts et de nombreuses victimes pour diverses raisons non encore élucidées sur la route de la conquête du pouvoir ne peut en aucune manière dévier des rails de la justice, de la transparence et du respect de la parole donnée.
Après vous avoir chaleureusement félicité pour votre accession au pouvoir, nous vous encourageons pour vos marques d’humilité plusieurs fois exprimées face à vos nouvelles charges.
Nous avons entendu de votre part, un discours de rupture systémique dont le Sénégal aura besoin et nous apprécions positivement les profils des membres de votre gouvernement qui, nous l’espérons, vous aideront à atteindre vos objectifs et à respecter vos engagements.
Monsieur le président de la République, nous souhaitons, cependant, vous interpeler sur quelques points afin de mieux encadrer cette nouvelle page de notre histoire politique et institutionnelle.
1- Monsieur le président de la République, nous vous encourageons dans votre volonté de mettre en place une politique de reddition des comptes qui, nous l’espérons, s’éloignera totalement des procédés de règlement de comptes pour être efficace, juste et pédagogique.
Les rapports des organes de contrôles doivent être transmis, sans délai, au procureur de la République. Les Sénégalais doivent connaître la vérité sur toutes les accusations de malversation concernant les deniers publics qui sont leur propriété.
Mettre le coude sur un dossier ne doit plus être une pratique gouvernementale. Nous vous demandons, par conséquent et par la même occasion, de déclassifier les rapports de l’IGE et de permettre aux Sénégalais d’en prendre connaissance.
Nous souhaitons également que les organes de contrôle soient dirigés par des personnes capables de répondre aux exigences de transparence.
Par exemple, il ne doit pas être question qu’un ancien procureur de la République qui a mis le coude sur énormément de dossiers de l’OFNAC puisse continuer à diriger cette structure pendant encore plusieurs années parce que protégé par les textes.
Il faudra une réforme de ces textes avec effet rétroactif pour que l’ancien procureur de la République en l’occurrence Serigne Bassirou Gueye soit démis de ses fonctions et remplacé par une personnalité indépendante, crédible et soucieuse des vertus de la reddition des comptes.
2- Monsieur le président de la République, parlant de justice, nous aurions souhaité que les accusations graves de Monsieur Karim Wade contre de hautes personnalités de notre pays en l’occurrence des juges du Conseil Constitutionnel soient élucidées. Ces accusations de corruption qui ont conduit à une tentative de report de l’élection présidentielle de 2024, ont également créé une situation chaotique qui a abouti à la mort de compatriotes.
Nous espérons que toute la lumière sera faite pour situer les responsabilités.
Il en est de même, concernant M. Karim Wade, sur la nécessité d’élucider les conditions de son départ du Sénégal pour le Qatar.
Quelle forme de collaboration judiciaire peut permettre à un pays d’envoyer son procureur venir chercher un compatriote qui bénéficie d’une grâce présidentielle ?
Nous espérons que toute la lumière sera faite sur cette affaire au nom de la rupture systémique qui devrait exclure toute légalisation tacite d’éventuelles ententes ou accords secrets.
3- Dans une discussion en date du 9 février 2019 sur un plateau de télévision et parlant de votre Projet, vous aviez dit ceci et avec force : « dans l’administration si nous devons choisir un directeur ou un directeur général nous ferons un appel d’offre. Nous mettrons l’accent sur les questions suivantes : Qui est le plus compétent ? Qui est le plus ancien avec une compétence ? Qui est le plus expérimenté ? Qui est le plus vertueux ? On sortira les trois meilleurs dossiers et le Président de la République sera obligé de choisir parmi les 3 »
Votre Premier ministre actuel et leader de parti à l’époque, Monsieur Ousmane Sonko avait aussi tenu le même discours le 31 janvier 2018 dans la même chaîne de télévision en précisant qu’il y aurait « un comité Ad hoc pour faire le tri des candidatures » et que les postes concernés sont « les directeurs, les directeurs généraux, les chefs d’agence etc. »
Monsieur le président de la République, lors de deux conseils des ministres successifs, vous avez nommé des directeurs généraux sans aucun appel à candidatures. Vous avez, par conséquent et par cet acte failli à vos promesses.
Une des promesses majeures qui aurait pu valablement alimenter, en termes pratiques, votre discours inlassable sur une rupture systémique.
Nous espérons que vous vous chargerez de soumettre les postes restants à un appel à candidatures pour mettre la compétence, la rigueur et le mérite au cœur de votre politique de rupture systémique affirmée maintes fois.
4- Monsieur le président de la République, nous vous félicitons pour les mesures d’abrogation de certains décrets de dernière minute pris par votre prédécesseur. Nous considérons que la nouvelle page ouverte par nos compatriotes le 24 Mars dernier devait exclusivement vous être réservée et que des actes réglementaires de votre prédécesseur ne devaient nullement intervenir pour vous engager. C’est une forme d’ingérence inacceptable. Et vous ne l’avez pas accepté.
Monsieur le président de la République, nous sollicitons auprès de vous, de la même manière que vous avez pris la décision d’abroger les derniers décrets du président Macky Sall, que vous preniez l’initiative d’abroger la récente loi d’amnistie conformément aux dispositions de l’article 80 de la constitution, une fois que vous aurez les coudées franches à l’Assemblée nationale.
Cette initiative de mise en place d’une « commission d’indemnisation des victimes des évènements de janvier 2021 à février 2024 » que vous avez annoncée en conseil des ministres et qui est confiée au Premier ministre devrait être une étape envisageable après avoir connu la vérité.
On ne peut pas parler d’indemnisation sans au préalable des responsabilités établis. Qui a fait quoi ? Les crimes et délits ont été commis par qui ?
Les parents des victimes ont le droit de connaître cette vérité. Les sénégalais qui ont beaucoup souffert de cette période sombre de notre histoire veulent également connaître la vérité.
Ceux qui ont commis des crimes ou des délits sont encore parmi nous. Ils doivent être identifiés ainsi que leurs complices.
Laisser certaines pratiques impunies risque d’encourager leurs auteurs à en commettre d’autres quand l’occasion se présentera.
5- Monsieur le président de la République, la question foncière doit être gérée avec beaucoup de responsabilité et de courage.
Votre prédécesseur le Président Macky Sall, présidant la journée nationale de la décentralisation (JND) en décembre 2020 avait dit ceci : « Je peux vous dire, en tant que président de la République, que la question foncière reste le plus gros risque de conflit dans ce pays » et il avait ajouté qu’il recevait « au quotidien 20 à 50 dossiers brûlants portant sur des litiges fonciers. »
Vos décisions tendant à y mettre de l’ordre sont à saluer mais elles doivent prendre en compte le principe d’équité, de transparence, de justice.
Votre Premier ministre et ancien leader de parti avait averti le 14 juin 2020 ceux qui avaient construit sur la corniche en déclarant ceci : « Je lance un message à ceux à qui on a attribué des terrains ici. Je leur demande de ne pas y mettre leurs milliards et qu’ils sachent que quand nous serons élus nous enlèverons tout pour permettre aux Sénégalais d’avoir accès à la plage et au littoral. »
Monsieur le président de la République, je vous annonce que l’hôtel d’où vous avez quitté pour aller faire votre prestation de serment et qui a été pendant plusieurs jours votre quartier général est construit sur cette même corniche sur une superficie de 7600 m2 et bien après la déclaration susvisée. Il a été inauguré le 25 novembre 2023 par votre prédécesseur le Président Macky Sall.
Symboliquement, vous auriez dû vous passer de ce séjour dans cet hôtel au regard des déclarations précédentes sous le sceau du « Projet » que vous partagez avec votre premier ministre et ancien leader de parti.
Tout en vous encourageant dans votre volonté de mettre de l’ordre sur les questions foncières, nous espérons qu’un traitement équitable sera appliqué à tous les dossiers pour permettre aux Sénégalais de bénéficier du foncier et de profiter de la plage.
6- Monsieur le président de la République, nous vous recommandons de finaliser votre déclaration de patrimoine conformément aux dispositions de la constitution en son article 36 dernier alinéa qui dispose : « Le Président de la République nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine déposée au Conseil constitutionnel qui la rend publique.»
La déclaration que vous aviez faite lors de la campagne électorale ne satisfait pas à cette prescription légale et est incomplète. Le bien qui semble être le plus précieux n’a pas été évalué.
« le temps ne m’a pas permis de l’évaluer à dires d’experts pour les besoins de la présente » aviez-vous précisé.
Nous vous prions de l’évaluer et de faire votre déclaration conformément à la loi et les juges constitutionnels se chargeront de la publier.
Cet acte sera un signe important dans votre volonté de vous soumettre à la transparence.
Monsieur le président de la République, nous aurions pu aborder d’autres questions notamment celles liées aux réformes envisagées et à certaines décisions ponctuelles. Nous pensons le faire plus tard, le moment venu, tout en espérant que nos remarques seront prises en compte.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de République, l’expression de mes salutations respectueuses.
Thierno Bocoum
Ancien parlementaire
Président AGIR