Passations de pouvoirs de 1960 à 2024 : Les moments clés de l’histoire du Sénégal

par pierre Dieme

En 64 ans d’indépendance, le Sénégal a connu 4 passations de pouvoirs sans compter celle prévue ce 2 avril. Jusqu’ici toutes ont été pacifiques sans être dénuées d’anecdotes. Retour sur ces évènements qui ont marqué l’histoire du Sénégal.

1960 : La passation de pouvoirs qui n’a pas eu lieu

La première passation de pouvoirs aurait dû intervenir entre Modibo Keita et Mamadou Dia mais elle n’a pas eu lieu à cause des circonstances qui ont conduit à ce changement de leadership. Le 4 avril 1960, le Sénégal et le Soudan (actuel Mali) proclament leur indépendance non pas comme deux Etats souverains mais comme une Fédération formée par les deux pays. Senghor est Président de l’Assemblée fédérale tandis que Modibo Keita est Président du gouvernement et est donc le véritable chef de l’Exécutif. Mamadou Dia cumule les fonctions de Vice-président du gouvernement et de ministre de la Défense. Une Présidentielle est prévue le 27 août 1960 pour désigner le Président de la Fédération mais elle n’aura pas lieu car le Sénégal se retire le 20 août et proclame son indépendance. Le 5 septembre 1960, Senghor est élu président. Toutefois, dans un Sénégal ayant opté pour un régime bicéphale, le pouvoir exécutif est détenu par Mamadou Dia qui succède à Modibo Keita. Les deux hommes ne se rencontrent pas pour procéder à une passation de pouvoirs solennelle. Dès le 21 août, Modibo Keita et ses collaborateurs sont escortés à la gare de Dakar et embarqués dans un train à destination de Bamako.

1980 : Le maitre passe le flambeau au disciple

Tout au long de l’année 1980, des rumeurs ont circulé sur la démission prochaine du Président Senghor. Qu’un chef d’État renonce volontairement à ses fonctions était une situation inédite en Afrique si bien que l’information était accueillie avec des réserves, voire du scepticisme. Finalement, dans la matinée du 31 décembre 1980, Senghor présente sa démission à Kéba Mbaye qui était alors le 1er président de la Cour suprême. Dans la soirée, le président s’adresse à la nation pour une dernière fois : «Sénégalaises, sénégalais (…) je suis venu vous présenter mes vœux et vous faire mes adieux.» L’identité de son successeur n’était un mystère pour personne. Depuis 1976, une loi avait été promulguée pour faire du Premier ministre le dauphin constitutionnel du Président. Le lendemain, soit le 1er janvier 1981, à 11heures précises, Abdou Diouf prête serment au Palais de justice de Dakar. Ensuite, il prend la direction du palais présidentiel où l’attendent le Président Senghor et son épouse. Il est lui-même accompagné de son épouse, de ses enfants et de ses deux parents. Entre les Senghor et les Diouf, les retrouvailles qui sont aussi des adieux sont chaleureuses. Abdou Diouf prend sa première décision en tant que Président : le choix de nommer Habib Thiam Premier ministre. Alors qu’il était venu assister à la cérémonie, Diouf lui fait signe pour qu’il le suive dans son bureau où il lui annonce sa décision. Les photographes présents sur les lieux immortalisent ce moment crucial entre ces deux amis soudainement devenus les deux hommes forts du pays.

2000 : Un appel téléphonique salvateur

En plus de l’alternance par les urnes, le Sénégal inaugure en 2000 la tradition de l’appel téléphonique entre le vainqueur et le vaincu. Au soir du 19 mars, les tendances donnent Wade vainqueur. A présent, la question est de savoir comment Abdou Diouf va réagir face à la fin imminente de sa présidence et du règne sans partage du Parti socialiste au pouvoir depuis 40 ans. Toute la nuit, l’on redoute des tensions, des violences ou des protestations. Le lendemain, un coup de fil suffit à désamorcer la situation. La première tentative de Diouf de joindre Wade est infructueuse. C’est peut-être l’appel manqué le plus important de l’histoire du Sénégal. Ensuite, Diouf charge son secrétaire d’appeler à nouveau Wade en insistant. Il lui dit : «Il faut absolument que je lui parle, et tout de suite.» Finalement, les deux hommes se parlent et échangent des amabilités. Entre temps, Wade rend une visite de courtoisie à la mère de Diouf. Ensuite, les deux hommes se rencontrent pour discuter des modalités de la passation de pouvoirs. Wade transmet à Diouf une liste de chefs d’Etat à inviter et le charge de le représenter au sommet Europe-Afrique au Caire. Le Jour-J, après la prestation de serment de Wade, les familles Diouf et Wade se retrouvent au Palais dans une ambiance conviviale. Les deux hommes procèdent ensuite à la visite du Palais et à la présentation du personnel avant que Diouf ne prenne congé de son hôte. L’avocat devient le maître des lieux. Tout est bien qui finit bien, sauf qu’avec Abdoulaye Wade, il y a toujours de la place pour une dernière pique. «Je dois ma victoire à la seule volonté du peuple et non pas, comme certains, à un “dauphinat” ! Elle n’en est donc que plus savoureuse», confie-t-il juste après à Jeune Afrique.

2012 : Le disciple arrache le pouvoir des mains du maitre

Jusqu’ici la passation de pouvoirs la moins cordiale a eu lieu en 2012. Pas d’embrassades ou des sourires pour les caméras. Juste une poignée de main entre Wade et Macky Sall. Pas de retrouvailles entre familles mais une bise entre les deux épouses. Assis sur le canapé présidentiel, les deux hommes échangent à peine quelques mots tout en gardant leur distance. Pas de visite guidée des lieux mais un moment en privé entre les deux hommes. Enfin, Wade et son épouse quitte le Palais sous les ovations et les huées d’une foule qui s’était amassée aux alentours du palais. La passation de pouvoirs glaciale entre Wade et Sall est probablement due à la rupture entre les deux hommes qui étaient proches à un moment donné et qui se sont par la suite farouchement combattus.

2024 : Le disciple accompagné au Palais par son mentor

On aurait pu s’attendre à un échange tout aussi hostile entre Macky Sall et son jeune successeur, Bassirou Diomaye Faye. Toutefois, la récente visite de courtoisie du Président élu, accompagné de son mentor, a offert des images presque incroyables mais rassurantes. Sans verser dans l’amour feint, les trois hommes ont fait preuve d’une rare élégance qui est venue conforter l’image d’un Sénégal qui transcende les divergences. Ce 2 avril, une autre passation de pouvoirs viendra enrichir l’histoire du Sénégal et conforter sa démocratie. Un chapitre qui se ferme. Un autre qui s’ouvre.

Marly DIALLO

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