En finir avec l’hyperprésidentialisme

par pierre Dieme

Personnalisation du pouvoir, dérive présidentialiste, culte de la fonction… Le modèle senghorien montre ses limites. Il est temps pour le Sénégal de se doter d’un régime original, selon Jean Charles Biagui, enseignant-chercheur en sciences politiques

« Le Sénégal a connu un régime parlementaire en 1960. Les événements de 1962 ont entraîné l’adoption de la Constitution du 7 mars 1963 qui consacre un régime à caractère présidentiel. La Constitution du 22 janvier 2021 s’inscrit dans cette même perspective. Cela dit, si nous observons les faits, c’est-à-dire la réalité politique au Sénégal depuis au moins 1963, nous constatons que nous sommes bien loin d’un régime présidentiel dont l’idéaltype serait le régime présidentiel américain dans lequel il existe une séparation stricte des pouvoirs. Dans le cas du Sénégal, nous sommes depuis 1963 dans un régime présidentialiste. Autrement dit, un régime où l’équilibre des pouvoirs est rompu au profit d’un président de la République hégémonique C’est ce type de régime que certains appellent au Sénégal hyper-présidentialisme ».

Un régime dangereux pour la démocratie

« J’estime qu’il s’agit d’un régime dangereux pour la démocratie. Il explique dans une certaine mesure la personnalisation à outrance du pouvoir. Il donne un rôle central et unique à l’institution du président de la République. Ce dernier ressemble beaucoup à un monarque. Sa marge de manœuvre est incompatible avec un système qui se réclame de la démocratie contemporaine. Il est sollicité même pour baptiser un édifice public comme un stade. Les présidents sénégalais conjuguent beaucoup trop souvent la première personne du singulier. L’exacerbation des tensions dans la perspective des élections présidentielles est aussi liée au type de régime que nous avons. Les acteurs politiques en particulier, les candidats comprennent bien qu’ils auront un immense pouvoir en accédant à la magistrature suprême. Les Sénégalais auraient dû refuser de poursuivre dans cette dynamique lors du référendum constitutionnel de 2001. Malheureusement, ce dernier a consolidé le caractère présidentialiste du régime. Il est impératif de limiter les pouvoirs d’un seul individu si nous voulons arriver à une démocratie substantielle ».

Le choix n’est pas forcément entre un régime parlementaire et un régime présidentiel

« D’un point de vue institutionnel, le Sénégal est malheureusement toujours dans un mimétisme incompréhensible pour un pays qui célèbre souvent avec une grande fierté son indépendance. Il est urgent de prendre des initiatives pour avoir un régime original. Le nom de ce régime importe peu. Le choix n’est pas forcément entre un régime parlementaire et un régime présidentiel. Le plus important de mon point de vue est d’aller vers un équilibre ou un aménagement institutionnel qui tienne compte de l’exigence de la séparation des pouvoirs. Les pouvoirs actuels du président de la République pourraient être partagés entre le gouvernement et l’Assemblée nationale dans le cadre d’une révision constitutionnelle. Je pense à la nomination à certains emplois civils et militaires, à certains postes dans la haute administration, au choix des ambassadeurs… Dans le même ordre d’idées, il faut donner la possibilité à la Justice, à l’Assemblée nationale, aux citoyens de destituer le Président de la République pour des faits graves à travers des mécanismes qui prévoient les possibles cas d’abus. Aucun individu ne devrait être au-dessus des lois ».

Nando Cabral GOMIS

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