Loi d’amnistie: une insulte à la mémoire des victimes

par pierre Dieme

« Au nom de la réconciliation nationale », le président de la République a annoncé hier, lors de l’ouverture du dialogue national, un projet de loi d’amnistie pour les événements politiques survenus entre 2021 à 2024. Plus de 50 personnes tuées lors desdits événements vont donc être enterrées une deuxième fois puisque l’amnistie projetée va effacer totalement les faits survenus lors de ces événements. Ce qui veut dire que les auteurs de ces meurtres ainsi que leurs commanditaires ne seront jamais jugés. Les familles des victimes devront faire un deuil définitif puisqu’aucune enquête ne sera plus faite sur ces homicides et aucune possibilité d’indemnisation ne subsistera si la loi est votée.

C’est le président de la République qui l’a évoquée en premier dans son discours d’ouverture. Après avoir noté que notre pays est confronté depuis quelques temps à une situation inédite, il a annoncé «qu’il faut savoir y mettre un terme à travers le dialogue et le consensus pour l’intérêt supérieur de la Nation…sous peine d’aller vers des lendemains incertains». C’est pourquoi, a expliqué Macky Sall, son souhait c’est que «l’on puisse aller vers une élection apaisée, inclusive et transparente». Pour accompagner cette dynamique et «dans un esprit de réconciliation nationale, je saisirai l’Assemblée nationale d’un projet de loi d’amnistie générale sur les faits se rapportant aux manifestations politiques entre 2021 et 2024’ a-t-il ajouté. Poursuivant, le président de la République a ajouté que « notre pays se trouve à un carrefour important. Mon souhait c’est que nous puissions aller vers une élection apaisée, inclusive et transparente. Je souhaite, au-delà du souci légitime de justice et de redevabilité, que l’amnistie et le pardon, par leurs vertus salutaires pour la Nation, nous aident à surmonter ces moments difficiles, afin que notre cher pays se réconcilie avec lui-même, en remettant toutes ses forces vives autour de l’essentiel : c’est à dire, la sauvegarde de notre unité nationale, toutes sensibilités confondues, et la préservation de l’Etat de droit et de la République. Cela permettra de pacifier l’espace politique, de raffermir davantage notre cohésion nationale et de maintenir le rayonnement démocratique de notre pays ».

Retour sur les événements politiques de 2021 et 2024

Ainsi, dès ce mercredi, un projet de loi d’amnistie sera déposé sur la table de l’Assemblée nationale. Des participants au dialogue se sont aussi exprimés pour donner leur position sur l’amnistie projetée. En attendant de revenir plus amplement sur ces interventions, le Témoin revient sur les faits les plus marquants qui seront pris en compte par ce projet de loi. Des faits qui, si la loi est votée par la majorité des députés, ne pourront plus faire l’objet de poursuites.

En mars 2021, le leader de l’opposition Ousmane Sonko est arrêté puis inculpé pour troubles à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée alors qu’il se rendait au tribunal pour comparaître devant le juge dans une affaire de viol dont il était accusé. Des émeutes ont éclaté pour s’opposer à son arrestation qui ont duré cinq jours. Elles avaient fait quatorze morts suite à des affrontements entre forces de défense et de sécurité et manifestants. Ousmane Sonko a été finalement libéré et placé sous contrôle judiciaire après une garde à vue de quelques jours.

En juin 2022, les villes de Dakar et de Ziguinchor ont été les théâtres de violences. Des jeunes de l’opposition protestaient contre l’interdiction qui leur était faite de se rassembler pour protester contre l’invalidation de la liste nationale des candidats de Yewwi Askan Wi en vue des élections législatives de juillet 2022. Parmi les candidats éliminés, Ousmane Sonko et d’autres poids lourds de la vie politique nationale. Trois personnes avaient perdu la vie lors de ces manifestations.

Un an après cet épisode, en juin 2023, le tribunal de Dakar condamne Ousmane Sonko à une peine ferme de deux ans de prison pour corruption de la jeunesse dans l’affaire de viol l’opposant à une jeune masseuse. Finalement relaxé des faits de viol et menaces de mort, il avait été condamné pour…corruption de la jeunesse. Au prononcé de ce verdict qui pouvait empêcher Ousmane Sonko de participer à l’élection présidentielle de cette année 2024, des manifestations violentes avaient éclaté. Le ministre de l’Intérieur, Félix Antoine Abdoulaye Diom, avait confirmé la mort de 16 personnes. Le bilan finalement retenu faisait état de 29 décès, survenus entre le 1er et le 4 juin 2023 inclus.

Lors du procès l’opposant à la masseuse Adji Sarr, Ousmane Sonko avait préféré se retirer à Ziguinchor, ville dont il est le maire. Le verdict est prononcé en son absence. Après quelques jours passés dans le Sud du pays, il décide de rallier la capitale à travers une caravane dite de la liberté. Sur le chemin du retour, des émeutes éclatent dès sa sortie de Ziguinchor. Un mort est enregistré à Kolda. Son convoi est bloqué à hauteur de Koungheul et Sonko est acheminé à Dakar par des gendarmes qui l’acheminent dans son domicile de Keur Gorgui où il est assigné à résidence. C’est là que, après quelques semaines sous ce régime, il est arrêté pour…le vol du téléphone portable d’une femme gendarme. Ce n’était qu’un prétexte puisqu’il est inculpé ensuite pour divers crimes dont appel à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’État, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste… Son parti Pastef est dissous dans la foulée.

Le samedi 3 février 2024, le chef de l’État fait une adresse à la nation à la veille du début de la campagne électorale pour l’élection présidentielle et annonce le report du scrutin qui était prévu pour le 25 de ce mois. Une décision mal accueillie par de larges secteurs de la population qui le manifestent à travers différentes manifestations violentes. Le bilan est de quatre morts et de nombreux dégâts matériels sont enregistrés.

Plus de 50 morts aux oubliettes

Si la loi est votée, l’amnistie annoncée hier par le chef de l’Etat constituera un deuxième enterrement pour les plus de 50 personnes décédées lors des événements politiques de 2021 à 2024. L’amnistie efface les faits dans la période précitée. Elle met fin aux demandes renouvelées des familles qui n’ont cessé de réclamer des enquêtes pour identifier les auteurs des meurtres des victimes. Mais aussi de possibles indemnisations financières. L’Etat a fait la sourde oreille sur ces deux préoccupations des familles des victimes. La société civile a maintes fois dénoncé ce mutisme de l’Etat. L’amnistie pourrait aussi accélérer le processus de libération des détenus politiques encore en prison. Depuis quelques jours, plus de 500 détenus ont été libérés au nom de la réconciliation politique sur une masse critique de plus de 1300 détenus arrêtés dans le cadre de ces manifestations.

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