Cela fait bien trop longtemps que nous sommes en Etat d’urgence

par admin

Le coronavirus est un révélateur. Il nous montre à quel point nous sommes passés à côté des urgences que ce pays exsangue réclame de toute son âme : des hôpitaux de dernière génération, un système éducatif moderne, de l’ordre dans nos rues…

Sa Rondeur Macky, dans un discours solennel à la Nation ce 23 mars 2020, en annonçant l’état d’urgence décrété pour faire face au Coronavirus, explique dans la foulée aux Sénégalais que l’heure est grave. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais dans ma p’tite tête, ça fait bien longtemps que c’est le cas…

Lorsque des Sénégalais, en 1988, puis en 1989, expriment violemment leur ras-le-bol sur la conduite des affaires, l’heure est déjà grave. Nous aurons deux années successives qui connaîtront l’état d’urgence. Le premier, au lendemain des élections à la transparence contestable, alors que leur idole est en prison, les maîtres de la rue contraignent le gouvernement des socialistes à décréter un état d’exception pour juguler ce qui menait droit au soulèvement populaire. Le second, l’année suivante, pour s’indigner de la manière dont des Sénégalais ont été traités par les forces de l’ordre mauritaniennes.

Tout ça est surtout advenu sur un terreau déjà fertile : les systèmes de santé, éducatif et de sécurité étaient aux abois. La période d’ajustement structurel qui jette des milliers de travailleurs au chômage, s’ajoute aux soubresauts d’un mode de gouvernance propice à la gabegie, la corruption, la concussion, mères de toutes les inégalités. Les Sénégalais s’exaspèrent d’une économie brimée par un parti-Etat vorace, égocentrique et suffisant.

Une majorité de citoyens, dans les villes comme dans le monde rural, décidera le 19 mars 2000, de changer ses gouvernants. Lorsque le Père Wade arrive au pouvoir, nous sommes déjà en état d’urgence.

Moins de douze années après, c’est le même scénario qui s’écrit sous nos yeux. Un pouvoir satisfait de lui-même, des élites égocentriques, corrompues et une Nation en état d’urgence. Le 23 juin 2011 sera un signal fort que le 25 mars 2012 viendra confirmer. Les Sénégalais étaient retournés à l’état d’urgence.

Quand Macky Sall, en ce 23 mars 2020, une année après sa réélection au premier tour, est contraint de proclamer de lui-même l’état d’urgence, c’est bien parce qu’il y a quelque chose qui cloche depuis bien longtemps. Une fois réélu, l’an passé, il change de cap : suppression du poste de Premier ministre, proclamation du fast-track, Dialogue national surréaliste, réduction théâtrale du train des dépenses de l’Etat… Ça a tout de mesures d’urgences. Ses « inaugurations » de grands chantiers exhibés durant la campagne pour glorifier sept années d’émergence ? Dakar Aréna, l’Arène nationale, le TER… Autant d’éléphants blancs, en plus de la forêt de mosquées disséminées dans tout le pays dont l’actuelle désuétude fait peine à voir.

Le coronavirus est un révélateur. Il nous montre à quel point nous sommes passés à côté des urgences que ce pays exsangue réclame de toute son âme : des hôpitaux de dernière génération, un système éducatif moderne, de l’autorité et de l’ordre dans nos rues… Les missions régaliennes de l’Etat.

Aujourd’hui, toutes ces institutions fantoches et tous ces ministères aux appellations exotiques ne servent à rien. C’est la santé publique qui nous préoccupe. Devant l’imminence du péril, nos regards se tournent vers l’étranger. Du côté de la Chine, ou de la France où, à Marseille, un professeur de renom né à …Dakar, soulève le fol espoir d’avoir trouvé l’antidote, la quinine si décriée ces dernières décennies. Tout ça ne nous dit toujours pas pourquoi la recherche est au point mort sous nos cieux.

Si la crise persiste encore quelques mois, et que les frontières ne rouvrent pas, nous en arriverons à l’innommable : des émeutes de la faim… On se demandera alors comment un pays qui a un tel réseau hydrographique, tant de surfaces cultivables et de bras vigoureux, peut mourir de faim. Et la dernière énergie de nos forces de l’ordre servira juste à réprimer nos compatriotes enragés, que la famine aura rendus méconnaissables.

Parce que ça fait bien trop longtemps que nous sommes en état d’urgence.

 

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