Entre pénurie et cherté, le marché au poisson de cette commune de l’Est illustre les difficultés d’approvisionnement en produits halieutiques des régions de l’intérieur, tributaires des zones de pêche côtières
Le marché aux poissons de la commune de Tambacounda est un lieu où convergent chaque matin des femmes à la recherche d’une denrée devenue rare. Tambacounda ne disposant d’aucune ouverture maritime, la région s’approvisionne à partir de Mbour, Dakar, Joal, Kafountine, entre autres points de pêche.
C’est au bout de cinq minutes de route sur une moto Jakarta, allant vers le département de Goudiry, sur la route nationale numéro 1 (le corridor Dakar-Bamako), qu’on arrive au marché au poisson, situé derrière le service de l’élevage. L’odeur qui se dégage aux alentours prouve que nous sommes bel et bien dans un marché au poisson.
Il est constitué d’un bâtiment qui abrite les bureaux de l’administration et d’un grand espace couvert de tôles, soutenu par des poteaux en ciment. C’est l’espace central du marché, là où se vend le poisson sur des tables faites en ciment et carrelées et en état de détérioration avancé.
On aperçoit clairement des tables au carrelage décapé, une image qui contraste allégrement avec l’odeur et l’état du sol sur lequel une eau noirâtre mélangée aux écailles et aux morceaux de poissons coule vers le sable en suivant le sens de la pente. Ce décor est envahi par des centaines, voire des milliers de mouches dont le ronronnement se fait entendre dans l’espace central.
« C’est dans cet état que nous travaillons », lâche Woury Kanté. On aurait pensé que la rareté des poissons sur le marché est consécutive à l’état du marché, mais ce n’est pas le cas. La période et l’éloignement des lieux d’approvisionnement y sont pour une large part. « Je suis un détaillant, ce sont les mareyeurs qui nous livrent soit des paniers, soit des bacs remplis », souligné M. Kanté.
« Mais ces temps-ci, les poissons sont rares », lâche-t-il. Cette affirmation est corroborée par le caractère vide des étales sur le marché où l’on retrouve du poisson. Mais « la quantité est insuffisante pour couvrir la demande », poursuit Woury Kanté.
La plupart des localités de l’intérieur du département, voire de la région se ravitaillent en poissons à partir de ce marché. Sa rareté entraine également une pénurie dans plusieurs autres zones. Sous les tables dont l’état laisse à désirer, on peut apercevoir ces récipients (bacs), de couleurs diverses, quelque peu ternis par un manque d’hygiène que symbolise l’odeur qui se dégage des lieux. Superposés les uns sur les autres, ils restent tristement vides.
Les poissons se raréfient en mer
La période hivernale et la fin de la saison des pluies sont selon certains vendeurs rencontrés sur le marché la période où les poissons se raréfient en mer. De ce fait, disent-t-ils, « il arrive que les pécheurs reviennent sur terre comme ils sont partis en mer », c’est-à-dire sans poissons.
Cette situation se répercute non seulement sur le marché local mais également sur le marché des localités comme Tambacounda qui en dépendent. Voilà ce qui, au-delà de l’éloignement, explique en partie la rareté de ce produit halieutique dans toute cette partie orientale du pays. Il s’y ajoute les activités des bateaux de pêche, qui écument les fonds marins de façon à accentuer la raréfaction de la ressource.
« Nous sommes aussi victimes des bateaux étrangers, qui ont des matériels sophistiqués capables de tout prendre en mer », explique Woury Kanté. Il ajoute qu’avant, il a travaillé dans des pirogues de pêche, rappelant qu’il leur est arrivé d’aller en mer, de rencontrer de « grands bateaux » qui ne leur laissent aucune chance. Ils ne reviennent généralement qu’avec « quelques kilos de poisson ».
Cela explique la rareté du poisson sur le marché national en général et le local en particulier. De ce fait, l’approvisionnement en poissons des zones éloignées des zones de pêche en est affecté, tant en disponibilité qu’en prix. Le poisson, non seulement est rare à Tambacounda, mais il reste extrêmement cher.
Venue faire ses achats pour le repas de midi, munie d’un sac plastique, Fanta Ndiaye l’agite de temps à autres pour faire fuir les mouches. Elle exprime tout son dépit sur la cherté du poisson. « Je suis arrivée avec 5000 francs, mais plus de la moitié de cette somme est utilisé pour n’acheter que ça », dit-elle, montrant quelques poissons de tailles moindres.
La jeune dame, visiblement découragée, finit par lâcher : « Je crois que je vais arrêter de cuisiner du poisson ». Selon elle, le poisson coûte « trop cher » et engloutit une bonne partie de sa dépense quotidienne.
A part quelques tas de poissons de tailles différentes, disposés çà et là sur les tables et sur des étales rudimentaires faites de seaux et de plateaux en bois ou en tôle : des tables de fortune sur lesquelles sont posés des plats contenant du poisson.
Ces dispositifs détenus par des femmes détaillantes, sont installés dans et autour du marché, tentant d’attirer la clientèle chacun à sa façon. Elles se ravitaillent toutes auprès de mareyeurs qui acheminent le poisson depuis les ports de pêche, situés à des centaines de kilomètres de là.
Le poisson hors de prix
« Nous achetons le panier chez les grossistes (mareyeurs) à 67 mille francs. C’est cher pour les petits détaillants que nous sommes », informe Aïssatou Bâ, une jeune mère trouvée sous un grand hangar derrière sa table de fortune, allaitant son bébé au milieu de ses consœurs toutes aussi vendeuses de poissons comme elle.
La jeune dame affirme qu’elle et trois de ses collègues de travail se regroupent pour prendre un panier dont elle se partage ensuite le contenu pour le vendre au détail. Elles restituent le prix d’achat à raison de 16750 francs par personne. Selon Aïssatou Ba, cette vente se fait par tas. Ceux-ci font « 1000 francs ou 2000 francs, voire plus » si ce sont des poisons de petite taille. Selon elle, les gros poissons sont « intouchables » pour les petits détaillants.
Mme Bâ relève que les poisons dits nobles comme le « thiof » et les autres gros poissons sont non seulement rares sur le marché, mais ils sont chers pour la plupart des petits revendeurs qui, selon elles, ne peuvent prendre que des paniers ou des bacs en groupe pour les revendre après avoir payé le mareyeur et gardé « des miettes ».
« C’est impossible pour nous de prendre les gros poissons », dit-elle. Son confrère, Bathi Diop, lui emboite le pas en soulignant qu’une fois le partage effectué, l’écoulement du produit peut prendre deux jours. En plus, poursuit-il, « le bénéfice n’est pas aussi important ».
La vingtaine bien révolue, le jeune homme déplore la cherté du poisson, qui fait que leur bénéfice « ne vaut presque rien ». Même s’il y a des invendus qui finissent par pourrir des fois et que les fournisseurs ne leur laissent rien, « nous payons tout quelles que soient les pertes subies », laisse entendre le jeune poissonnier.
Il ajoute qu’avec la chaleur qui règne dans la région orientale, et une chambre froide qui n’est pas fonctionnelle, il est presque impossible de conserver longtemps des poissons qui ont été pêchés depuis des semaines et transportés très loin vers des zones à forte chaleur.
« L’état du marché mérite qu’on s’y attarde », lance le vice-président du marché au poisson, Pape Ndiaye, vendeur, assis devant sa table, un morceau de tissu en main et l’agitant de temps autre pour faire fuir les mouches qui viennent voleter au-dessus des quelques tas de poissons posés sur sa table au carrelage décapé.
M. Ndiaye, la quarantaine, déplore l’odeur qui se dégage du marché, la saleté dans les toilettes et les environs envahis par les herbes, en plus de l’absence de point d’eau dans le marché. « La saleté dans le marché est due à l’absence d’eau », affirme-t-il. Selon lui, le marché n’est nettoyé que deux fois par semaine, alors que cela doit se faire tous les jours.
« Nous payons des femmes à 2500 francs pour qu’elles assurent le nettoiement par semaine », dit-il. « Chaque jour, personnellement je paie 200 francs pour qu’on me nettoie ma table », poursuit Pape Ndiaye. Pendant que la saison des pluies battait son plein, il était plus difficile d’entrer dans ce marché.
« Nous étions envahis par les asticots, ce qui rendait la venue vers le marché compliquée pour certains », déplore-t-il. Cependant, les conditions de salubrité du marché n’ont rien avoir avec la rareté des poissons. Tambacounda reste dépendante des zones de Joal, Mbour, Dakar, Kafountine, entre autres ports de pêche qui ravitaillent les régions orientales en produits halieutiques.
Cette situation de dépendance a un impact sur l’approvisionnement de la région en poissons, surtout en période d’hivernage tant redouté par les pécheurs, mareyeurs et autres acteurs du secteur de la pêche.