La peur de perdre le pouvoir (Par Pr Moussa Diaw)

par pierre Dieme

Dans la perspective de l’élection présidentielle du 25 février 2024, le paysage politique sénégalais est marqué par l’effervescence à la hauteur des enjeux de cette compétition électorale et des rapports de force qui émergent configurant le schéma de cet espace de confrontation politique. On s’attendait à des débats d’idées autour de programmes, proposés par les candidats à cette fonction suprême. Malheureusement, le spectacle récent au sein de la scène politique ne rassure pas sur la suite du processus électoral pour un climat apaisé, gage de l’organisation d’une élection libre, inclusive et transparente. La désintégration et les nouvelles nominations de l’institution chargée de de l’organisation et la supervision des élections alimentent les contradictions sur les intentions d’instrumentalisation de ces organes et de contrôler leur fonctionnement, au service d’un candidat désigné. A cela s’ajoutent un imbroglio juridique autour de la dissolution du principal parti d’opposition (PASTEF), et surtout de la radiation de son leader du fichier électoral et de son incarcération. De plus, la répression s’abat sur toutes les voix discordantes, proches de cette force politique, y compris dans le paysage médiatique. Ces faits sont loin de réduire la tension, ils sont au contraire symptomatiques de dérives autoritaires aggravant les atteintes aux principes et règles de l’Etat de droit et de la démocratie.

A quelques mois de cette échéance, le pays est confronté à de nombreuses incertitudes liées à la cherté de la vie, à l’émigration clandestine qui a brisé le rêve et la vie de beaucoup de jeunes sans espoir, à des options économiques peu pertinentes, et à un climat politique délétère. Face à cette situation, plutôt que de prendre des initiatives et d’instaurer un dialogue constructif de la part d’un président sortant, la majorité a fait preuve de manque d’imagination politique innovante, en misant sur le bilan alors que les Sénégalais ont besoin de changement d’hommes et de politique. Les dysfonctionnements en matière de gouvernance et l’indifférence affichée par les autorités sur le sort des migrants ont creusé le fossé entre les gouvernants et les citoyens dans leur majorité. La stratégie de dénigrement des opposants n’a pas produit les effets escomptés, et la fin de règne non préparée installe un climat de psychose qui se traduit par un isolement du président sortant et la référence à un discours belliqueux et vindicatif, évoquant en substance la non maîtrise des nerfs et l’impasse politique.

Comment sortir de cette situation de crise ?

Au-delà des critiques ouvertes formulées par le président à l’encontre de certains membres de son gouvernement peu enclins à soutenir et clarifier ses diverses réalisations, une introspection s’impose pour que la paix revienne dans les esprits et les cœurs, car c’est l’avenir du Sénégal qui est en jeu et dépasse les ambitions personnelles des uns et des autres. Dans cette voie, le chef de l’Etat pourrait privilégier la recherche de solution pacifique en proposant de rencontrer tous les leaders de l’opposition et surtout libérer les détenus politiques, afin de faciliter les échanges entre les différents acteurs dans un souci d’apaisement et de réconciliation nationale. Cela suppose que le président passe de la logique de guerre à une logique de paix, ce changement de registre en période de tension constitue une vertu pour un homme d’Etat capable de transcender les divergences pour se hisser au-dessus des contingences politiques ou partisanes au profit de l’intérêt supérieur de la nation.

Il est vrai que le président traverse une situation difficile de fin de pouvoir, avec des implications relatives à sa gestion du pouvoir, et de la distanciation de ses partisans qui semblent être animés par le phénomène de la « transhumance », ressenti comme tel dans les pratiques politiques. Alors, la société civile, qui est un levier important de la démocratie et de l’Etat de droit, remplirait un rôle de facilitateur entre les différentes parties dans ce contexte particulier où son action est salvatrice dans une dynamique de paix sans sous –estimer les contraintes de l’environnement socio-politique. D’autres bonnes volontés pourraient s’y adjoindre à partir du moment où le calendrier électoral est serré, nul doute que le président sortant ne récusera aucune action allant dans le sens de la paix, au regard de la lecture de ses propos tenus dans l’hebdomadaire jeune Afrique. Des consultations préalables s’avèrent nécessaires, compte tenu de la complexité de la situation et des enjeux, mais tout reste possible pour soutenir un président qui en éprouve le besoin d’autant qu’il ne se gêne pas d’évoquer sa situation de gestion solitaire du pouvoir devant une crise politique inédite pour laquelle il aurait besoin de la mobilisation de toutes les ressources afin de quitter le pouvoir sans encombre. Aujourd’hui, le Sénégal, qui a été une vitrine de la démocratie en Afrique, se trouve dans une situation délicate, exigeant un sursaut national pour sortir de cette impasse politico-judiciaire.

Moussa Diaw, professeur émérite de science politique à l’UGB de Saint-Louis.

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