Sénégal : La RADDHO fait le procès du président Macky Sall et exige la libération des « détenus politiques « 

par pierre Dieme

La 77e Session ordinaire de la Commission africaine des Droits de l’homme et des peuples se tient du 20 octobre au 9 novembre 2023 à Arusha, en Tanzanie. La Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (RADDHO) en a profité pour accuser l’État du Sénégal d’interdire ou de réprimer des manifestations de l’opposition et de la société civile. Sadikh Niass, son secrétaire général, exige la libération des « détenus politiques « . Voici l’intégralité de la déclaration.

« Monsieur le Président de la CADHP, honorables commissaires,

Permettez-moi de prendre la parole devant cette illustre assemblée pour une déclaration portant sur la situation des droits humains au Sénégal, plus particulièrement sur deux points qui nous concernent aujourd’hui avec acuité.

Le premier point porte sur la liberté d’opinion, d’expression et de manifestation.

La Constitution sénégalaise en son Article 8 reconnaît le droit à la liberté d’opinion, d’expression et de manifestation. Cependant, malgré cette consécration constitutionnelle, la loi n° 78/02 du 29 janvier 1978 relative à la liberté de réunion donne de larges pouvoirs aux autorités administratives qui en usent très souvent pour interdire les manifestations et les réprimer lorsque les organisateurs bravent les arrêtés d’interdiction. Le motif de « risque de trouble de l’ordre public » a été souvent évoqué pour refuser de manière abusive les demandes de manifestations des partis de l’opposition, de la société civile et des mouvements citoyens.

Par ailleurs, l’article 10 de la constitution protège la liberté d’expression. Ce sont donc des droits incontestables fondés sur une obligation de l’État. Ce n’est, ni plus ni moins, qu’une question de droits et libertés fondamentaux .

Le recours abusif et disproportionné de la force létale par les FDS a été durant deux ans l’objet d’alerte et de dénonciation des organisations de défense des droits humains intervenant au Sénégal.

En mars 2021 la répression de plusieurs manifestations a éclaté un peu partout dans le pays en marge d’un dossier en justice impliquant l’opposant Ousmane Sonko, s’est soldée par la mort de 14 manifestants selon les chiffres officiels.

Plus récemment en 2023 suite à la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko pour « corruption de jeunesse » dans l’affaire l’opposant à la dame Adji Sarr, de violentes manifestations ont éclatés un peu partout dans le pays entrainant la mort de 16 personnes, selon les chiffres avancés par le gouvernement et 23 selon Amnesty International. Toujours en marge de cette vague de manifestations, des restrictions de l’internet ont affecté fortement l’accès et l’usage des plateformes numériques populaires telles que WhatsApp, Twitter et Facebook. Le motif selon les autorités pour justifier les restrictions et parfois la coupure de l’internet mobile était d’empêcher la diffusion de messages de haine ou d’appels à l’insurrection qui sont susceptibles d’envenimer la situation déjà très tendue.

Le second point de ma déclaration porte sur les conditions d’arrestation et de détention.

En ce qui concerne les conditions de détention, il faut signaler que la population carcérale du Sénégal est de 11 547 pour les 37 prisons que compte le pays qui ne dispose que d’une capacité d’accueil de 4 224 places. Avec 60,28 % de condamnés et 39,72 % de prévenus. Ces chiffres renseignent largement sur l’état de surpeuplement des prisons du Sénégal.

La construction de la prison de Sébikotane avec une capacité d’accueil de 400 détenus et le vote par l’Assemblée nationale 29 juin 2020 d’une loi qui consacre le placement sous surveillance électronique comme mode d’aménagement des peines de même que la modification du code de procédure pénale qui introduit l’assignation à résidence avec surveillance électronique comme alternative à la détention provisoire, constituent à coup sûr des avancées, mais ne permettent toujours pas d’améliorer sensiblement la surpopulation carcérale.

Les troubles politiques depuis 2022 et les arrestations multiples de plus de 1000 personnes opérées dans les rangs de l’opposition ou des activistes depuis le mois de juin 2023, pour divers motifs allant de participation à une manifestation interdite, trouble à l’ordre public et destruction de biens publics ou privés sont venus aggraver le taux d’occupation des prisons qui a atteint aujourd’hui des limites jamais égalées dans le passé.

Recommandations

Monsieur le Président, honorables commissaires la RADDHO sollicite votre intervention auprès des autorités sénégalaises pour :

Une application de manière rigoureuse du régime des manifestations qui autorise les citoyens à manifester pacifiquement après information de l’autorité administrative ; l’interdiction d’une manifestation pacifique ne devrait se faire que dans des circonstances exceptionnelles ;

La conception et la mise en œuvre de programmes de formation réguliers pour les forces de l’ordre sur les droits de l’homme, la gestion des foules et les techniques de maintien de l’ordre respectueuses des normes internationales ;

La mise en place des mécanismes efficaces pour enquêter sur les morts survenues lors de la répression des manifestations et garantir la responsabilité des personnes impliquées ;

La poursuite du programme de placement sous contrôle judiciaire et le port de bracelet électronique en vue de résorber de manière sensible, le taux d’occupation des prisons au Sénégal ;

Le relèvement de la capacité d’accueil de la nouvelle prison de Sébikotane et construire de nouvelles prisons dans les régions très peuplées comme Diourbel, Thiès et Kolda ;

Le renforcement des moyens d’action de l’Observateur national des Lieux de Privation de Liberté (ONLPL) pour lui permettre de bien remplir sa mission de prévention de la torture et des mauvais traitements dans les lieux de privation de liberté.

La libération sans condition de toutes les personnes arrêtées et qui n’ont fait qu’exercer leurs libertés de manifestation ou exprimé leurs opinions dans le cadre des évènements survenus au Sénégal depuis 2021, y compris Alioune Sané coordonnateur du mouvement Y’a en marre ainsi que d’autres activistes »

Seneweb

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