L’ultime piège

par pierre Dieme

Remodelé afin de le rendre plus ‘’atteignable’’ pour les candidats à la candidature, le parrainage n’en demeure pas moins décrié et dangereux pour beaucoup d’aspirants à la magistrature suprême

Cinq ans après, revoilà le parrainage présidentiel. Cette épreuve fatidique destinée à réguler le nombre souvent pléthorique de candidatures à l’élection présidentielle au Sénégal. Ce 27 septembre a marqué le début des opérations de collectes de parrains indispensables pour participer au scrutin du 25 février 2024. Comme en 2019, lorsqu’il avait permis de passer de 80 déclarations d’intention de candidature à 5 candidats retenus pour la présidentielle, le parrainage va faire son effet pour réduire le nombre de participants au scrutin de février prochain. De manière juste ou pas, là réside de nombreuses réserves sur ce filtre électoral.

Décrié en 2019, interdit même par la Cour de justice de la Cedeao (communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), suite à un procès contre l’Etat du Sénégal, le parrainage s’est tout de même maintenu dans l’attelage électoral sénégalais. Fort d’un dialogue national en juillet dernier, il a tout de même été modifié, rendu moins contraignant. Alors qu’il exigeait entre 0,8 et 1% du nombre d’électeurs inscrits sur le fichier électoral, désormais, il faudra une liste constituée d’un minimum de 0,6 % et d’un maximum de 0,8% des électeurs du fichier électoral général. Ces chiffres sont représentatifs du minimum de 44 231 électeurs et 58 975 électeurs pour le maximum. Sans oublier qu’une partie de ces électeurs-parrains doit obligatoirement provenir de sept régions au moins à raison de deux mille au moins par région.

Des modifications qui ne convainquent pas

Autre modification apportée à ce filtre électoral, le parrainage par des parlementaires ou par des chefs d’exécutif territoriaux. Ceux qui ont choisi cette voie devront rassembler l’avis favorable d’au moins 13 députés, ou le parrainage d’une liste de 20 % des présidents de conseil départemental et des maires sur l’ensemble du territoire national, soit 120 élus.

Hier, le directeur général des Élections a organisé une séance de remise et d’information sur le modèle de la fiche de collecte des parrainages en format papier et électronique. Une séance organisée à l’intention des candidats à la candidature ou leurs mandataires, avec la précision que ces derniers ‘’doivent se munir de la lettre de désignation dûment signée par le candidat à la candidature”.

A l’issue des deux mois que va durer le délai imparti à ces opérations, un premier enseignement sera tiré de la période de dépôt des parrainages : qui sera réellement candidat ? En effet, une grosse incertitude persiste concernant une figure incontournable de l’élection présidentielle de février 2024 : la participation ou non du leader de l’opposition, Ousmane Sonko, de même que l’option d’un plan B pour son entourage politique dont le parti, Pastef, a subi une dissolution administrative.

Les fiches de parrainage refusés au mandataire d’Ousmane Sonko

Condamné pour ‘’corruption de la jeunesse’’ dans le cadre d’un procès où il était accusé de viols, emprisonné et radié des listes électorales, le maire de Ziguinchor reste malgré tout éligible, selon ses partisans, qui estiment qu’aucune des trois procédures judicaires qui le vise (procès pour viol ; accusation de diffamation contre Mame Mbaye Niang ; et divers accusations d’appel à l’insurrection et de lien à une entreprise terroriste) n’est définitive devant la justice.

C’est en ce sens que le mandataire national et coordonnateur national du parrainage du candidat de la coalition Sonko Président 202 s’est rendu hier à la Direction Générale des Elections pour la séance de remise et d’information des fiches de collecte des parrainages. Toutefois, Ayib Daffé n’a pas été autorisé à retirer les fiches. En effet, dénonce le député, ‘’ils nous ont opposé un refus infondé, un refus illégal et arbitraire de nous remettre des fiches. Un refus qui serait basé sur des instructions reçues de l’autorité de ne pas remettre des fiches au candidat Ousmane Sonko’’.

Pourtant, le mandataire assure qu’un dossier complet avec notamment la notification du mandataire, du coordonnateur national du parrainage et les 14 délégués régionaux et les suppléants. Ainsi, estime Ayib Daffé, le refus n’est ‘’basé sur rien du tout, parce qu’il ne m’a cité aucun article, aucun code, aucune disposition, aucun acte administratif. Donc à notre grand étonnement, c’est un véritable apartheid électoral, un véritable détournement du processus électoral de l’arbitraire et de la forfaiture’’. Le mandataire national du parrainage du candidat de la coalition Sonko Président 2024 annonce un recours.

Ayib Daffé, député Pastef : ‘’un véritable détournement du processus électoral de l’arbitraire et de la forfaiture’’

Si les militants de l’ex Pastef pensent à un plan B pour sécuriser leur participation au scrutin en cas de blocage de la candidature d’Ousmane Sonko, ce dernier devra déposer un dossier de parrainage et se révéler aux yeux de tous. Car, comme précisé par l’arrêté 25 septembre 2023 032005 fixant le nombre d’électeurs et d’élus requis pour le parrainage d’un candidat ainsi que les formats et contenus des fiches de collecte des parrainages en vue de l’élection présidentielle du 24 février 2024, les mandataires venus déposer ‘’doivent se munir de la lettre de désignation dûment signée par le candidat à la candidature”.

A l’exception des candidats de l’ex Pastef, de Taxawu Seneegal, du Parti démocratique sénégalais (PDS) et de la majorité, qui sont assurés, au besoin, de décrocher un parrainage d’élus, les nombreuses autres candidatures sont soumises au stress du parrainage citoyen. Jusqu’ici, plus de 70 candidats à la candidature ont été annoncés. D’abord, une floraison d’anciens premiers ministres : Idrissa Seck, Mahamadou Boun Abdallah Dionne, Souleymane Ndéné Ndiaye, Aminata Touré ‘‘Mimi’’. Viennent ensuite Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, Déthié Fall du Parti républicain pour le progrès (PRP), Pape Djibril Fall, député les Serviteurs, Babacar Diop, maire de Thiès, Aïda Mbodji, Malick Gakou du Grand Parti, Mary Teuw Niane, ancien ministre de l’enseignement supérieur, Thierno Alassane Sall, ancien ministre de l’Energie, Mame Boye Diao, ex directeur de la Caisse de dépôts et Consignations, Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, etc…

Plusieurs candidats dans l’incertitude

Lorsque ce même phénomène de multiples déclarations de candidature s’était présenté en 2019, seuls 27 dossiers avaient été effectivement déposés au Conseil Constitutionnel, dont 5 retenus : Madické Niang, Issa Sall, Macky Sall, Idrissa Seck et Ousmane Sonko. D’où la crainte d’une élimination arbitraire de certaines candidatures.

Si le parrainage des élus ne devrait pas poser trop de problèmes, le parrainage citoyen consiste au fait qu’un électeur ne peut parrainer qu’un candidat. En cas de présentation d’un même parrainage par deux candidats, seul le premier arrivé est pris en compte. De ce fait, la position dans l’ordre de dépôt devient un enjeu déterminant.

Selon l’arrêté du ministère de l’Intérieur, ‘’le surplus de parrains par rapport au maximum fixé, pour chaque type de parrainage, est considéré comme nul et non avenu et n’est pas tenu en compte lors du contrôle.’’ Mais entre les textes et la réalité, les stratégies politiques peuvent s’avérer particulièrement malsaines. D’autant plus que l’opposition politique ne dispose pas du fichier électoral sur lequel l’on peut se référer pour vérifier ce qui a été fait.

Le F24 annonce la saisine de la Cour de Justice de la Cedeao

Aussi, bien qu’ils peuvent se faire parrainer par des élus, certains partis politiques et coalitions se lancent dans la collecte de parrainages pour sécuriser leur dossier et par la même occasion créer d’autres doublons. Pour éviter que ‘’le parrainage ne demeure pas une nébuleuse faisant planer une incertitude totale sur la participation de nombreux candidats’’, les membres de la Plateforme F24 et l’Union sociale et Libérale (USL) ont adressé à la Commission de la CEDEAO et à sa Présidence des correspondances de dénonciation et de demande de sanctions contre les dirigeants de la République du Sénégal pour manquements aux obligations communautaires.

En refusant de retirer cette loi, dont la cour de justice de la Cedeao a ordonné la suppression, les organisations politiques et de la société civile estiment que le Sénégal est en ‘’violation grave des droits humains et maintien d’une législation antidémocratique.’’

En attendant l’issue de cette nouvelle affaire, ces organisations comptent œuvrer pour que le parrainage cesse ‘’d’être une arme létale entre les mains du gouvernement qui s’octroie le pouvoir ultime de sélectionner selon son bon vouloir les admissibles à la conquête du pouvoir.’’ Pour cela, ils comptent se mobiliser pour réclamer la mise à disposition du fichier électoral à tous les candidats dans un délai permettant un contrôle fiable des parrainages, et la mise en place d’un dispositif consensuel permettant une maîtrise et un contrôle du logiciel de contrôle des parrainages par l’ensemble des informaticiens délégués par les candidats.

Lamine Diouf  

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