Sénégal – De la démocratie magnifiée à la démocratie balafrée – Les pères fondateurs de la nation sénégalaise avaient su négocier intelligemment avec l’ancienne métropole jusqu’à l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale en 1960
Après deux alternances qui offrent au Sénégal une petite embellie démocratique dans la grisaille africaine, le pays semble prendre du plomb dans les ailes. Revue d’histoire d’une démocratie magnifiée mais en passe d’être aujourd’hui balafrée. Et cela, pour diverses raisons liées aux travers relatif 0s à la traque systématique de l’opposition, la régression des libertés individuelles et collectives, la posture tendancieuse de Dame justice.
Les pères fondateurs de la nation sénégalaise avaient su négocier intelligemment avec l’ancienne métropole jusqu’à l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale en 1960. Le président Léopold Sédar Senghor (1960-1980), par le truchement de l’article 35 de la Constitution, allait ensuite «offrir» le pouvoir à Abdou Diouf (1980-2000). Des quatre courants (loi N° 78-60 du 28) qui ont mis fin au règne du parti unique (PS) à « l’alternance de l’alternance », en passant par le multipartisme intégral (loi 81-17 du 6 mai 1981) et autre Code consensuel des années 90, le Sénégal va finir par réaliser deux grands tsunamis politiques. D’abord, le 19 mars 2000 avec l’arrivée au pouvoir du très charismatique leader politique, Me Abdoulaye Wade, après 26 ans d’opposition. Ensuite, le 25 mars 2012, quand Macky Sall accèda à la magistrature suprême en renversant le baobab Wade.
Le Sénégal avait ainsi fini de prouver qu’il était possible de passer par les urnes pour changer un régime politique. Le pays était alors considéré comme une petite embellie dans la grisaille d’une Afrique où les coups de force font légion. Les sénégalais bombaient alors le torse devant les grandes démocraties. Certains estimaient même qu’ils n’avaient plus rien à envier à la France, aux Etats-Unis qui disposent pourtant d’une démocratie presque bicentenaire. Pour cause, un pays pauvre très endetté (PPTE) avec une écrasante majorité de la population vivant au dessous du seuil de la pauvreté pouvait se targuer d’avoir un peuple libre, digne, droit dans ses bottes, capable de dire non sans recourir aux armes. Qui plus est, le Sénégal était un havre de paix sociale qui a longtemps servi de refuge à certains opposants de la sous-région persécutés chez eux, un exemple de dialogue islamochrétien. Bref, un modèle de démocratie vanté et jalousé, mais qui, malheureusement, risque de s’effondrer comme un château de cartes. Si l’on n’y prend pas garde..
LA TRAQUE SYSTEMATIQUE DE L’OPPOSITION
Le Sénégal a connu 12 élections présidentielles. Toutefois, c’est seulement lors de la Présidentielle du 26 février 1978 que l’opposition fera sa première participation à ces joutes. C’était avec le Parti démocratique sénégalais (PDS) de Me Abdoulaye Wade considéré alors comme un «parti de contribution» qui mettra pourtant un terme au règne sans partage de l’UPS (ancêtre du PS) de Léopold Sédar Senghor qui avait raflé les élections de 1960, 1963, 1968 et 1973 avec des scores brejnéviens, concoctés souvent par les autorités déconcentrés. Mais, en 1983, Abdou Diouf va faire face à quatre (4) opposants lors de la Présidentielle. Il s’impose avec plus de 83 % des suffrages valablement exprimés devant Abdoulaye Wade, Mamadou Dia, Oumar Wone et Majmouth Diop. Le successeur de Senghor récidive en 1988 mais avec seulement 73% devant Me Wade, Babacar Niang (PLP) et Landing Savané (MRDN). Me Wade passe de 14% à plus de 25%. En 1993, le score de Diouf continue de dégringoler (58 %) alors que l’opposant historique, Me Wade, poursuit son ascension (32%). De 4, le Sénégal enregistre 8 candidats. Du simple au double. C’était le début de la fin de l’ère socialiste qui a régné pendant plus de 40 ans sans partage. Toutefois, Me Abdoulaye Wade, aussi tonitruant fut-il, n’a jamais été empêché de prendre part à une élection présidentielle. A contrario, ce ne furent pas des chefs d’accusation, les uns aussi graves que les autres, qui manquaient. Wade a tout dit. Mais il a aussi tout subi : arrestation arbitraire, brimade, embastillement, etc. Pis, il a même été accusé d’avoir commandité le meurtre d’un juge, vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, assassiné froidement le 15 mai 1993, au lendemain de la publication des résultats des élections législatives. Principal chef de l’opposition d’alors, le Pape du Sopi sera inculpé, tout comme son épouse Viviane Wade, et autre Abdoulaye Faye. Ils seront accusés de complicité d’assassinat et d’atteinte à la sûreté de l’Etat.
On croyait alors que c’était la fin du Parti démocratique sénégalais. Que nenni ! Abdou Diouf a eu la grandeur de permettre à Me Wade de prendre part à l’élection présidentielle de 2000, qui lui sera fatale. Il pouvait pourtant empêcher Wade de se présenter en utilisant la justice, bras armé de tous les régimes au pouvoir en Afrique. Mais, il ne franchira pas le Rubicon. Très bien inspiré, il va reconnaître sa défaite le 20 mars 2000, quitte le palais la tête haute avant d’atterrir au Secrétariat général de l’Organisation internationale de la Francophonie. Son successeur ne fera pas moins que lui. Même s’il va user de subterfuges pour liquider son principal challenger d’alors, Idrissa Seck. L’ancien Premier ministre a été accusé de tous les pêchés d’Israël. Au finish, l’affaire des chantiers de Thiès débouchera sur un non lieu total. En 2012, ce même Me Wade déclenche une campagne contre Macky Sall en brandissant l’affaire de blanchissement d’argent. Mais, face à la pression de la rue, de la société civile et des médias, le Pape du Sopi finit par lâcher prise. La suite est connue de tous.
Toutefois, si Diouf et Wade ont plus ou moins péché sur les libertés et la consolidation de la démocratie, c’est sous Macky Sall que le Sénégal a touché le fond. Présentement, on dénombre plus de 1000 détenus politiques, terme que récuse le gouvernement. Un record absolu qui balafre notre démocratie. Mais le comble de tout, c’est la machine judiciaire qui a été enclenchée contre Ousmane Sonko pour l’empêcher de se présenter à la Présidentielle du 25 février 2024.
QUAND LA JUSTICE FAIT PEUR !
«Dès qu’on possède la force, on cesse d’invoquer la justice», disait Gustave Le Bon (médecin, anthropologue, psychologue et sociologue français). De l’affaire de diffamation contre Mame Mbaye Niang, au viol supposé contre Adji Raby Sarr qui a débouché sur une requalification à une corruption de la jeunesse, en passant par ses 55 jours de résidence surveillée sans aucune base légale, Ousmane Sonko va finir par renforcer son aura, aussi bien au niveau national qu’international. Nous en voulons comme preuve les pétitions et autres sorties des intellectuels d’ici et d’ailleurs pour rappeler les dérives constatées au niveau de la machine judiciaire sénégalaise. Avant l’affaire Sonko, la justice a été souvent tristement utilisée à des fins politiques.
On peut citer l’affaire Ndiaga Diouf tué en 2011 par balle et dont la famille peine toujours à faire le deuil. Elle reste suspendue sur la tête de Barthélémy Toye Dias. Son traitement semble dépendre des postures du maire de Dakar. Douze ans que l’affaire peine à être assortie de l’autorité de la chose jugée. Pour justifier cette lenteur voulue, on sort la fameuse phrase dépourvue de sens : «le temps de la justice n’est pas celui de la politique». Un argument que Khalifa Ababacar Sall va certainement balayer d’un revers de la main. Lui qui a vécu un procès en mode fast track. Il s’est même vu opposer le rabat d’arrêt pour l’empêcher d’être candidat à la Présidentielle de 2019 dont certains le prédisaient vainqueur.
Dans un article paru dans les colonnes de Sud Quotidien, le 17 février 2017, nous avions déjà relevé que d’Idrissa Seck a été traîné dans la boue avant de bénéficier d’un non lieu total. Sans occulter Macky Sall qui a été évincé du Perchoir, par la loi Sada Ndiaye, alors qu’il avait bénéficié d’une légitimité populaire. Les échos des marteaux retentissent encore dans la tête de Talla Sylla. L’agression sauvage et ignoble dont a été victime Alioune Tine, alors secrétaire général de la Raddho, est toujours vivace dans les mémoires. Quid de Karim Wade qui a été exilé au Qatar après un procès jugé inéquitable et une instruction tatillonne ? Aujourd’hui, tout est oublié par des petits arrangements sur le dos de la justice et des Sénégalais. De là à subodorer le fiasco pour le Sénégal qui passe d’une démocratie chantée à une démocratie balafrée, il n’y a qu’un pas que beaucoup ont franchi depuis longtemps.
Abdoulaye THIAM