« Quand le peuple est écrasé par des dirigeants avec la complicité de juges, il appartient à l’armée de restituer au peuple sa liberté. »
Capitaine John Jerry Rawling.
La présente contribution m’a été inspirée par la situation qui prévaut actuellement au Niger, une situation intéressante et captivante à plusieurs égards. Ce pays du Sahel qui occupe le rang peu enviable de deuxième le plus pauvre du monde, selon l’indice de perception humaine, et à très fort taux de natalité qui obère ses efforts de développement, est, aujourd’hui, l’objet de débats au sein de la communauté internationale. Toutes les puissances étrangères, manifestent un très grand intérêt pour ce pays et déploient toutes les formes de stratégies pour marquer leur présence. La vérité est que le Niger présente pour elles, notamment, les pays occidentaux, un enjeu de taille tant du point de vue géopolitique que géostratégique. Et le pays le plus engagé et le plus intéressé est la France, l’ancienne puissance coloniale qui en avait fait sa chasse gardée et qui, présentement, se sentant menacée, déploie toutes sortes de stratégies et d’ingéniosités pour le conserver dans son giron et le mettre hors des sphères d’influence des autres puissances qui s’intéressent de plus en plus à ses anciennes colonies qui constituent son pré carré et dont certains manifestent, si ce n’est déjà, des velléités d’émancipation souverainiste.
L’objet de la présente n’est point de faire des analyses sur ces considérations géopolitiques et géostratégiques, mais plutôt de jeter un regard sur le phénomène des coups d’état en prenant prétexte sur le dernier en date survenu au Niger et précédé de ceux ayant eu cours au Mali et au Burkina Faso. Le coup d’état défini comme la prise du pouvoir par la force est, en principe, condamnable en ce sens qu’il met un terme à la légitimité populaire. Quand il survient, il provoque toute une série de condamnations outrées, sincères ou feintes, de la part de la communauté internationale, notamment, ces esprits puristes qui s’érigent en défenseur de la démocratie et pourfendeurs des putschistes. En cas de coup d’état, la rengaine entonnée est le rétablissement de l’ordre constitutionnel et la réinstallation au pouvoir du chef déchu, alors que souvent et dans beaucoup de cas, le coup d’état survient à un moment ou cet ordre constitutionnel dont on exige la restauration est bafoué depuis longtemps par le chef qui a été démocratiquement élu mais qui, aussitôt après, s’est rapidement mué en dictateur.
Ma réflexion portera sur la nature des coups d’état, c’est o dire sur leur qualification et leurs modes opératoires. Je dénombre trois formes de coups d’état; les coups d’état constitutionnels, les coups d’état militaires et ce que j’appelle les coups d’état populaires que d’aucuns préfèreraient qualifier de révolutions populaires.
LES COUPS D’ETAT CONSTITUTIONNELS.
Ces coups d’état pernicieux et sournois sont le fait des autorités en place qui, pour conserver le pouvoir à tout prix, manipulent les textes qui régissent la vie politique et institutionnelle du pays. Elles usent de toutes les stratagèmes, de toutes les manigances et de tous les subterfuges pour revisiter les textes, notamment, le plus sacré, à savoir la constitution. Pour réussir leurs manœuvres dolosives et se donner bonne conscience, ils mettent à contribution certaines institutions de la république, notamment, la représentation parlementaire, c’est-à-dire l’assemblée nationale et le sénat là où il existe[S1] . Ces institutions sont le plus souvent vassalisées et composées de députés et de sénateurs domestiqués, docile et pusillanimes n’ayant d’autres soucis que celui de la préservation de leurs sinécures. Cette soumission et cette allégeance au pouvoir exécutif s’explique facilement par le seul fait qu’ils sont redevables au chef de cet exécutif de leur statut social, leurs privilèges et leurs situations de rente qu’ils ne voudront jamais perdre, dussent-ils vendre leur amé au diable, brader leur dignité et ravaler toute fierté. C’est pourquoi les Présidents de la république n’ont aucune difficulté à revisiter, à changer ou transformer littéralement certaines dispositions constitutionnelles qui leur paraissent des facteurs dirimants à leur volonté inébranlable de s’éterniser au pouvoir.
C’est avec une certaine désinvolture et une facilité déconcertante que des Présidents de la république font changer des dispositions du code électoral pour se donner tous les moyens légaux d’éliminer des adversaires politiques qui leur paraissent redoutables. La plupart des Chefs d’état africains souffrent de ce tropisme qui consiste à croire qu’ils sont indispensables et irremplaçables, se croyant sortis des cuisses de Jupiter, perdant de vue leur insignifiante et futile dimension humaine. En Afrique de l’ouest, par le tripatouillage et la manipulation éhontée de la constitution qui ne bénéficie d’aucune sacralité de la part des tenants du pouvoir, les mandats à durée déterminée ont vocation à la perpétuité.
Si ce n’est par la voie parlementaire, certains Présidents usent de la voie judiciaire pour modifier les règles du jeu à leur profit et au détriment de leurs potentiels adversaires qui, pour des motifs fallacieux et à travers des accusations farfelues, se verront traduits devant les tribunaux. Dans la plupart de ces pays, la justice étant vassalisée, instrumentalisée voire réifiée avec des juges aux ordres, notamment, ceux occupant des stations stratégiques, il n’est point difficile pour le chef de l’exécutif d’avoir satisfaction sur les orientations qu’il souhaiterait donner à certains dossiers.
La gamme des actes pouvant relever du coup d’état constitutionnel est très large, certains sont d’une grande finesse et d’une subtilité difficilement décelable pour un esprit non averti. Peuvent entrer dans cette catégorie les lois scélérates et liberticides qui empêchent les citoyens d’exprimer librement leurs choix. Le coup d’état constitutionnel pourrait être défini comme l’usage opportuniste, abusif et pervers de la loi pour se maintenir au pouvoir. A tout prendre, les coups d’état constitutionnels sont plus dangereux, plus pernicieux et plus frustrants dans la mesure où ils usent de l’habillage parlementaire ou judiciaire qui leur confère un semblant de légalité. Devant de telles pratiques qui relèvent de la fourberie politique, au Sénégal certains diront du « ndiouth-ndiath », les citoyens sont généralement sans aucun moyen significatif pour mettre un terme à la forfaiture.
LES COUPS D’ETAT MILITAIRES.
Le coup d’état militaire est le fait pour des miliaires, donc de l’armée, de s’emparer du pouvoir par la force des armes dont ils sont les seuls dépositaires. On leur colle couramment l’appellation de putschistes. Le coup d’état miliaire peut se réaliser sans effusion de sang, dans une relative tranquillité, tout comme il peut provoquer des pertes en vies humaines.
Les motivations d’un coup d’état militaire sont diverses et variées; il peut résulter de la volonté et de l’ambition personnelle de quelqu’un estimant que son destin est de présider aux destinées de son pays; il justifie son action par des considérations d’ordre politique et par un discours patriotique spécieux et de mauvais aloi.
Par ailleurs et c’est souvent le cas, le coup d’état résulte d’un constat objectif et réaliste fait soit par la hiérarchie soit par des segments de l’armée sur la déliquescence des institutions de l’état, sur la faillite des élites politiques dont les orientations sont préjudiciables à la république ou sur des dérives dictatoriales qui confisquent les libertés constitutionnelles dont doivent jouir les populations, sur la gestion désinvolte des gouvernants. Des tenants du pouvoir qui, sans se soucier le moins du monde de l’avenir ni des difficultés de leurs populations, se livrent à toutes les formes d’injustice et d’abus avec comme conséquences nuisibles le délitement des principes républicains et la perversion de la pratique politique, toutes choses à même de remettre en cause la tranquillité publique, la paix sociale et l’unité nationale.
Et c’est ainsi que les militaires, après de profondes réflexions, conscients de leur première mission régalienne de veiller à la stabilité du pays, à l’unité nationale et à la défense du peuple, peuvent parvenir à la conclusion d’une nécessaire intervention pour mettre un terme au désordre institutionnel. Les militaires, à l’instar des populations, peuvent constater le dévoiement de certaines institutions de la république aux quelles ont fait jouer illégalement et abusivement des rôles qui ne sont pas les leurs. Et les militaires, contrairement aux civils le plus souvent désemparés, désarmés et impuissants devant les dérives des politiques, peuvent être tentés, parce que disposant de la force de contrainte nécessaire, de s’impliquer pour restaurer les valeurs de la république, notamment, l’état de droit.
Si à travers l’histoire des putschistes ont échoué dans leur politique de redressement de la vie nationale, d’autres, par contre, et ils sont légion, ont pu imprimer à leur pays un sens de marche salutaire qui a pu servir de socle et jalon positif à leur essor. Le capitaine John Jerry Rawling, bien que critiquable à bien des égards, a posé, à travers de nouveaux paradigmes de gouvernance prenant en compte les intérêts du pays et les besoins d’épanouissement des populations, les jalons nécessaires et indispensables pour entamer l’envol du Ghana vers le développement. Au-delà des considérations économiques, la moralisation des pratiques politiques et la restauration des valeurs morales et sociétales positives ont constitué de bonnes prémices. IL ne saurait être question de faire l’apologie du coup d’état miliaire qui, quelles que puissent l’explication ou la justification, est une remise en cause de la volonté populaire initiale.
IL faut reconnaitre et admettre que les miliaires ne sont pas des citoyens à part, même s’il est vrai qu’ils sont régis par un statut spécial, rigide et contraignant, ils n’en sont pas moins des citoyens à part entière soumis aux mêmes devoirs et jouissant des mêmes droits que les autres. Ils vivent les mêmes difficultés et subissent les conséquences néfastes de la mauvaise gestion des gouvernants. La plupart des armées disposent en leur sein de ressources humaines de très grande qualité très au fait de ce qui passe dans le monde, au diapason des innovations technologiques et faisant montre d’une parfaite maitrise des différents enjeux d’un monde, aujourd’hui, multipolaire qui exige des choix de partenariat lucides au mieux des intérêts de leurs pays. A leur maitrise professionnelle, s’ajoutent leur densité intellectuelle et des références docimologiques de très haut niveau dans plusieurs domaines.
LE COUP D’ETAT POPULAIRE OU REVOLUTION.
Quant au coup d’état populaire ou révolution et qu’on pourrait même qualifier de coup d’état civilo-militaire, il s’agit d’un renversement du pouvoir en place suite à des manifestations et des contestations populaires d’une ampleur exceptionnelle et inédite. Ce sont les populations qui, excédées par l’arbitraire, les forfaitures, la gestion clanique et familiale, l’oppression et la répression des tenants du pouvoir, décident, dans un élan de sursaut spontané, d’y mettre un terme en bravant la puissance étatique, transcendant la peur inhibitrice et la crainte rédhibitoire qui les rendaient passifs. Ces manifestations et contestations se présentent sous forme de déferlantes populaires massives et irrésistibles avec la participation de tous les segments de la population. Et devant la dimension, l’ampleur, l’intensité, la durée de la mobilisation des foules, les forces de défense et de sécurité, souvent réalistes et très conscientes des risques de massacres, font le choix d’accompagner la révolte populaire.
Dans ces conditions, le Chef de l’État en place n’a d’autre choix que de céder le pouvoir soit en démissionnant soit en prenant la fuite. On pourrait citer entre autres exemples les cas de Ben Ali de la Tunisie, de Hosni Mubarak de l’Égypte, de Blaise Compaoré du Burkina-Faso. Pendant ces périodes d’incertitudes, d’absence de chef et de vacuité du pouvoir, ce sont les forces de défense et de sécurité, en tant que seules structures organisées qui se voient obligées de se substituer aux gouvernants déchus.
Dans un tel scénario deux cas de figure peuvent se présenter; soit les militaires s’approprient les revendications et les aspirations des populations en apportant les réformes de fonds et les orientations stratégiques nécessaires, soit ils s’inscrivent dans la continuité des modèles de gestion antérieurs démontrant ainsi qu’il y a eu tout juste un remplacement de l’élite civile par une nouvelle élite militaire qui aura tout simplement dévoyé et usurpé la victoire du peuple.
Si sur le principe le coup d’état est doit être réprouvé, sa condamnation ne doit pas être absolue dans la mesure ou il a été démontré que les autorités déchues ont eu des comportements pires et plus dévastateurs. Certains coups d’état pourraient être considérés comme un mal nécessaire pour retrouver la voie de l’orthodoxie et restituer aux populations leurs voix confisquées par des usurpateurs, des prédateurs, des écornifleurs et des minus habens qui ont fait de l’activité politique leur seule raison d’existence. Le Capitaine John Jerry Rawling, ancien président du Ghana ne disait-il pas « Quand le peuple est écrasé par des dirigeants avec la complicité de juges, il appartient à l’armée de restituer au peuple sa liberté ».
On peut, et à juste raison, opposer aux contempteurs et pourfendeurs des coup d’état qui convoquent et évoquent la légalité, les liesses populaires et spontanées qui accueillent les putschistes et qui leur confère une véritable légitimité. Si les populations apportent leurs soutiens aux auteurs de coups d’état c’est, tout simplement, qu’elles ont fait le constat que la légalité dont certains se prévalent a été, depuis belle lurette, dévoyée, bafouée, foulée au pied et jetée aux orties. Et c’est le lieu de citer son Excellence Georges Weah, Président du Libéria qui disait « Pour mettre un terme aux coups d’état militaires, il faut bannir les coups d’état constitutionnels ». Une véritéirréfragable, et c’est aussi simple que ça.
« L’âme et le sens de l’État reposent dans le droit, la justice, l’éthique et la morale ». Marcus CICERON
Dakar le 21 Aout 2023.
Boubacar SADIO
Commissaire divisionnaire de police De classe exceptionnelle à la retraite
[S1]S institutions ont