Après la Libye où ils étaient capturés par des bandes organisées et vendus comme esclaves, c’est au tour de la Tunisie de devenir le nouvel enfer terrestre pour les migrants africains subsahariens, résidents, ou en transit pour atteindre l’Europe
Après la Libye où ils étaient capturés par des bandes organisées et vendus comme esclaves, c’est au tour de la Tunisie de devenir le nouvel enfer terrestre pour les migrants africains subsahariens, résidents, ou en transit pour atteindre l’Europe, via l’Italie.
A la faveur de discours haineux, racistes et xénophobes, qui se nourrissent de la sortie du président tunisien du 21 février 2023, avec la complicité de l’Union européenne qui vient de signer un accord de «partenariat stratégique» avec ce pays de l’Afrique du Nord (après la Libye), pour lutter contre l’émigration dite irrégulière vers l’Europe, tous les abus semblent permis contre les noirs subsahariens, expulsés massivement et de force des villes tunisiennes vers des zones hostiles, aux frontières avec la Libye et l’Algérie, dans le désert. Au risque de leurs vies. Dans une série d’articles, dont voici le premier jet, Sud Quotidien revient sur le vécu «cruel» et «inhumain» des africains subsahariens dans ce pays du Maghreb dont le rôle a été pourtant déterminant dans la création d’instruments panafricains comme l’Organisation de l’union africaine (OUA) en 1963, devenue l’Union africaine (UA).
Des dizaines de personnes à la peau noire abandonnées à elles-mêmes dans le désert. Des jeunes, des femmes et des enfants, assis ou couchés à même le sable, montrant des signes d’épuisement et de lassitude, parce que sans eau ni nourriture. Des voix à peine audibles s’élevant pour demander aide et secours. Des militaires libyens se faufilant entre eux pour leur faire partager quelques gouttes, pardon, bouteilles d’eau et en profiter pour leur poser des questions. Des témoignages et des images diffusées en ligne, dans les réseaux sociaux, ces derniers jours, en provenance de la Tunisie et de ses frontières avec la Libye et l’Algérie et ceux recueillis par des ONG de défense des droits humains sur la situation des migrants noirs d’Afrique subsaharienne (en Tunisie) font froid dans le dos.
Un des pays de départ, d’accueil et surtout de transit de nombreux candidats à l’émigration irrégulière vers l’Europe, via la mer méditerranéenne, la Tunisie est devenue, depuis plusieurs mois, l’enfer pour les migrants africains noirs subsahariens. Le «racisme» jusque-là latent, «les discours de haine et d’intimidation», surfant sur des textes et lois dans ce sens, ont fini par «légitimer» la «chasse» aux migrants (d’Afrique subsaharienne) aussi bien par les Forces de l’ordre que par les populations. En effet, «bien que les normes internationales en matière de droits humains découragent la criminalisation de la migration irrégulière, les lois tunisiennes datant de 1968 et de 2004 criminalisent l’entrée, le séjour et la sortie irréguliers d’étrangers, ainsi que l’organisation ou l’aide à l’entrée ou à la sortie irrégulières, sanctionnées par des peines d’emprisonnement et des amendes. La Tunisie n’a pas de base légale explicite pour la détention administrative des immigrants, mais de nombreuses organisations ont documenté des cas de détention arbitraire de migrants africains. Pour plusieurs nationalités africaines, la Tunisie autorise les séjours de 90 jours sans visa avec tampon d’entrée, mais l’obtention d’une carte de séjour peut se révéler difficile», relève Human Rights Watch. Suscitant pour une mobilisation contre ces groupes vulnérables, avec des comportements violents à leur encontre, dans plusieurs grandes villes du pays, notamment celles côtières, servant de points de départ pour atteindre les côtes italiennes. C’est le cas à Sfax où des dizaines de migrants africains ont été chassés de la ville. Dans plusieurs quartiers de cette grande ville du Centre-Est de la Tunisie, des centaines d’habitants se sont rassemblés dans la nuit de mardi 4 à mercredi 5 juillet, dans les rues, réclamant le départ immédiat de tous les «migrants clandestins». Certains ont bloqué les rues et incendié des pneus pour exprimer leur colère. Dans les quartiers populaires de la ville où habitent les migrants, des violences verbales et physiques éclatent entre les deux parties.
NUIT INHUMAINE
Tout est parti de la mort d’un tunisien âgé d’un peu plus de 41 ans, dans des heurts survenus tard la veille, lundi 3 juillet, avec des migrants originaires d’Afrique subsaharienne. L’homme, né en 1981, a été mortellement poignardé lors d’affrontements entre des habitants d’un quartier de Sfax et des migrants originaires d’Afrique subsaharienne, avait indiqué à l’AFP le porte-parole du Parquet de Sfax, Faouzi Masmoudi. «Trois migrants soupçonnés d’implication dans ce meurtre et qui seraient de nationalité camerounaise, selon les informations préliminaires, ont été arrêtés», avaitt-il ajouté. Une mort qui avait suscité une vague de réactions, souvent aux «relents racistes», appelant à l’expulsion des migrants africains de Sfax, point de départ d’un grand nombre de traversées illégales vers l’Italie, par la mer, et dont les habitants protestent régulièrement contre la présence de migrants en situation irrégulière et réclament leur départ. Sur des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, on peut voir des agents de Police chassant des dizaines de migrants de leurs domiciles, sous les acclamations d’habitants de la ville, avant de les faire monter dans des voitures de la Police. D’autres montraient des migrants à même le sol, les mains sur la tête, entourés par des habitants munis de bâtons qui attendaient l’arrivée de la Police. Sur la page Facebook du groupe local Sayeb Trottoir dédié à la question de l’immigration clandestine, Lazhar Neji, travaillant dans les urgences d’un hôpital de Sfax, a déploré «une nuit inhumaine (…) sanglante qui fait trembler». Selon lui, l’hôpital a accueilli entre 30 et 40 migrants, dont des femmes et des enfants. «Certains ont été jetés de terrasses, d’autres agressés par des sabres», a-t-il affirmé dans l’AFP Plusieurs migrants ont été amenés par la Police sur le site de la Foire de Sfax, dans l’attente d’être transférés ailleurs. D’autres migrants ont été conduits vers une zone proche de la frontière libyenne, sans pouvoir préciser le nombre total de ces migrants expulsés de Sfax. Au même moment, des dizaines d’autres migrants se sont rués vers la gare ferroviaire de Sfax pour prendre des trains vers d’autres villes tunisiennes, a constaté un photographe de l’AFP.
QUAND L’UE FERME LES YEUX
Alors que le sort de ces migrants, refoulés par la Police tunisienne vers les frontières avec la Libye et l’Algérie, en plein désert et à la merci de la canicule et un climat hostile, de la faim et de la soif, irrite toute personne éprise de dignité humaine, l’Union Européenne (UE) et la Tunisie concluent un accord à 105 millions d’euros, le 16 juillet 2023, pour contrer l’immigration vers le vieux continent. Même si, en plus de la question migratoire, le «partenariat stratégique» entre Bruxelles et Tunis comprend «cinq piliers», dont la stabilité macro-économique, avec une aide budgétaire directe de 150 millions d’euros en 2023, alors que la Tunisie, étranglée par une dette de 80% de son PIB, est à court de liquidités à l’origine de régulières pénuries des produits de première nécessité, source de tension sociale. Les chefs de gouvernement italien, Giorgia Meloni, et néerlandais, Mark Rutte, accompagnaient Mme Von Der Leyen, la dirigeante européenne, après une première visite il y a un mois du trio, pendant laquelle ils avaient proposé ce partenariat. La Tunisie étant un principal point de départ, avec la Libye, pour des milliers de migrants qui traversent la Méditerranée centrale vers l’Europe, le protocole d’accord marque «une nouvelle étape importante pour traiter la crise migratoire de façon intégrée», s’est félicitée Meloni, qui a invité le président tunisien Kaïs Saïed à participer, le 23 juillet, à Rome, à un sommet sur les migrations. La Première ministre d’Italie dira que cet accord «peut être considéré comme un modèle pour l’établissement de nouvelles relations avec l’Afrique du Nord». De son côté Rutte a estimé que l’accord permettra de «mieux contrôler l’immigration irrégulière». Evoquant ce dossier devant ses homologues, le président Saïed a appelé à «un accord collectif sur l’immigration inhumaine et sur les opérations de déplacements [forcés] par des réseaux criminels». «Les Tunisiens ont donné à ces immigrés tout ce qui pouvait être offert avec une générosité illimitée», a ajouté M. Saïed, pourtant vivement critiqué pour la manière dont des centaines de migrants ont été arrêtés en Tunisie, puis «déportés», selon les ONG, vers des zones inhospitalières sur les frontières avec Algérie et Libye.
LES MIGRANTS, DES BOUCS EMISSAIRES POUR LE PRESIDENT SAÏED
La Tunisie n’est pas le premier pays à parvenir à un tel «partenariat» dit «stratégique» avec l’Europe qui, dans sa stratégie de barricade, multiplie des initiatives du genre. Ainsi, après la Turquie, pays européen non membre de l’UE dont il est frontalier, qui est en «coopération» avec l’espace Schengen dans ce sens, en février 2017, le gouvernement italien, soutenu par l’Union européenne (UE), a signé un accord avec le gouvernement libyen. Ce protocole d’accord sur la migration a été renouvelé, en 2020, pour trois années supplémentaires. Dès lors, Kaïs Saïed a trouvé en ce combat contre les migrants africains subsahariens une soupape pour contenir les vagues de contestations internes contre son régime, la crise économique et sociale et la vie chère. Source de tensions entre les habitants et les migrants qui ont empiré après un discours, en février 2023, du président Kaïs Saïed, pourfendant l’immigration clandestine, considérée comme une menace démographique pour la Tunisie, plusieurs pays ont entrepris depuis lors le rapatriement de leurs ressortissants, notamment la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Gambie, le Mali…