« La protection des personnes, des biens et des institutions relève de la seule responsabilité régalienne des forces de défense et de sécurité »
Aujourd’hui, plus que jamais, j’ai mal en tant que Sénégalais, parce que mon pays est devenu la risée de tout le monde et fait l’objet de toutes sortes de commentaires malveillants et de railleries sur l’état de notre démocratie. Jadis respectée et citée en exemple, l’exception sénégalaise a perdu son aura d’antan. La vitrine démocratique qui faisait notre fierté et qui nous faisait bomber le torse, a fait plus que se fissurer, se craqueler, elle s’est totalement brisée par la faute de dirigeants qui, préoccupés par la confiscation et la préservation du pouvoir, s’essaient laborieusement à l’autocratie et à la dictature. Et tous les moyens, des plus illégaux aux plus immoraux, sont mis en œuvre pour atteindre leurs objectifs.
Ces derniers jours ont été marqués par de violentes manifestations réprimées tout aussi violemment par les forces de l’ordre. IL ne saurait être question, à mon niveau, de légitimer les actions de violences des manifestants dont certains, il faut oser le reconnaitre pour le dénoncer, ne sont point guidés par des intentions saines, des causes nobles. De même qu’il ne s’agira guère de condamner systématiquement la réplique des forces de sécurité qui exercent naturellement leurs missions régaliennes de maintien de l’ordre public; des interventions qui, quelques fois, certains diront souvent et de manière récurrente, s’exercent à la lisière de la légalité voire en violation totale des droits humains.
Nous sommes en face de deux exigences démocratiques, d’une part, le droit de manifester reconnu et consacré par la constitution, et d’autre part, la nécessité de maintenir l’ordre public. Pour dire que ces deux exigences seront toujours en conflit, en confrontation, chacune voulant imposer sa légitimité sur celle de l’autre. IL s’agit dans le respect strict et rigoureux des lois et règlements et dans la prise en considération des droits humains inaliénables de trouver l’équilibre nécessaire, la mesure juste pour éviter autant que possible les situations que nous vivons présentement. IL est universellement admis que l’exercice et la protection des droits de l’homme nécessite l’existence d’une force publique; mais que cette force ne doit pas être utilisée au profit de ceux à qui elle a été confiée mais au bénéfice de l’intérêt général.
Comme j’ai eu à le dire, on ne saurait dédouaner certains actes de violences, notamment, ceux exercés sur les forces de l’ordre et contre des biens aussi bien privés que publics, sous le prétexte qu’on manifeste sa colère. Le choix de la forme de lutte adoptée par les manifestants détermine obligatoirement la forme et les moyens de riposte des forces de sécurité. Il s’agit pour les manifestants d’assumer aussi l’orientation qu’ils donnent à leurs actions; la violence n’a jamais été la meilleure option, mais elle peut s’imposer comme la dernière solution, comme l’ultime recours en situation de faiblesse manifeste. Pour les forces de l’ordre, il s’agit d’exercer une mission régalienne de maintien de l’ordre public nécessaire à la préservation de la paix civile. Le maintien de l’ordre, compte tenu de sa complexité est encadré pour éviter un usage abusif et disproportionné de la violence légitime dont les forces de sécurité peuvent se prévaloir. Ainsi donc, les forces de l’ordre ont le droit voire l’obligation de se défendre, mais dans les limites légales d’un usage proportionné aux attaques qu’elles peuvent subir. Dès lors, toute la difficulté réside dans la proportionnalité des moyens en œuvre par rapport au respect des droits humains.
Dans les sociétés démocratiques la manifestation est consacrée et considérée comme la forme la plus appropriée pour permettre aux citoyens d’exprimer leurs opinions; aussi, les gouvernants veillent-ils à ce qu’il n’y ait pas de graves blessures infligées aux manifestants et que ne soit enregistré le moindre décès. Pour atteindre cet objectif, trois principes sont adoptés;
-l’utilisation d’armes non létales;
-la définition de tactiques spécifiques;
-la formation et l’équipement adéquat des personnels chargés de leur mise en œuvre.
Malheureusement, au Sénégal, on dénombre de plus en plus de morts dans les manifestations avec le constat macabre que la plupart sont tués par des balles réelles dont l’usage est spécifiquement normé. Ce phénomène, à cette échelle, a été constaté depuis les événements de mars 2021 ou l’on a dénombré quatorze morts. Pour expliquer la situation qui semblait inédit et qui avait pris tout le monde de court et suscité l’émoi, trois ministres de la république avaient cru devoir, avec une légèreté déconcertante et un manque total de sens des responsabilités, trouver des responsables tout désignés. Pour la ministre des affaires étrangères qui s’est encore illustrée ces jours-ci, c’étaient des forces étrangères qui avaient semé les troubles; pour le loufoque ministre de la justice de l’époque, c’étaient des lutteurs découvres, et pour le ministre de l’Intérieur c’étaient des forces occultes. Des affidés du régime, dans leur basse besogne de manipulation, avaient pointé du doigt les rebelles de la Casamance. Ces déclarations hasardeuses, à l’emporte pièces, sont indignes de la part d’autorités qui devraient garder leur sang-froid, leur calme et une sérénité rassurante.
Ces propos qui semblent démontrer une réelle vulnérabilité de notre pays qui serait ainsi à la merci de n’importe quel envahisseur sont insultants pour nos forces de défense et de sécurité ; ces dernières seraient constituées de flemmards et de pantouflards qui ignorent tout de ce qui se passe à nos frontières. Seulement, lors d’une interview accordée à des journalistes, un commandant, porte-parole de l’armée a totalement rejeté ces allégations fantaisistes et a déclaré que les forces de défense et de sécurité n’avaient en aucun moment décelé la présence de forces négatives sur le territoire national. Nos forces de défense et de sécurité jouent un rôle majeur dans la défense de notre territoire et dans la préservation de la stabilité de nos institutions; dès lors, il y a lieu de pas chercher à les fragiliser et à les démoraliser. Malheureusement, beaucoup de nos ministres n’ont aucun sens de l’état; ils occupent des postes de responsabilités et exercent de hautes fonctions par le jeu relations subjectives, de copinage et d’appartenance partisane.
Au cours d’une conférence de presse, le ministre des forces armées, en l’occurrence, le sieur Sidiki Kaba, entouré de quelques-uns de ses collègues, avait annoncé la mise en place d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur tout ce qui s’était passé afin, disait-il, de situer les responsabilités, d’identifier les coupables ou qu’ils soient et prendre, éventuellement, les sanctions qui s’imposent. En réalité, cette sortie du gouvernement n’avait qu’un seul objectif, calmer les esprits, en effet, la pression tant au niveau national qu’international était telle qu’il fallait réagir pour faire baisser la tension. Quant au Président de la république, réagissant aux évènements, il avait déclaré avoir compris les jeunes ; c’est ainsi qu’il leur avait soumis nombre de projets générateurs d’emplois et de revenus. Mais aussitôt après, le ton a littéralement changé, devenant dur et comminatoire. IL n’a eu de cesse de seriner que ce qui s’était passé ne se répètera plus, parce que toutes les dispositions ont été prises à cet effet.
Les récentes manifestations ont montré et démontré à suffisance que les autorités et particulièrement, le Chef de l’État, ont fait fausse route dans leur interprétation et n’ont pas su évaluer la situation avec l’objectivité et le recul nécessaires. Au sortir des malheureux évènements de mars 2021, le renforcement en ressources humaines et en équipements a été considéré comme seule mesure suffisante pour empêcher une reproduction des faits. Ces manifestations d’une rare violence ont mis à rude épreuve les forces de l’ordre qui ont réagi à la mesure de leurs moyens. Malheureusement, il a été un fait d’une gravité exceptionnelle; il s’agit de la présence sur les champs d’actions de nervis, ces hordes de hors la loi, de voyous, de véritables sicaires recrutés par des responsables de la coalition présidentielle. Plus scandaleux et plus effroyable, c’est le cheminement de ces bandits à coté et aux coté des forces de sécurité qui s’en accommodaient sans gêne particulière et qui semblaient leur apporter un soutien en leur facilitant la commission des exactions et ce, à bord de véhicules pick- up flambant neuf, non immatriculés, de couleur blanche circulant librement, sans entrave, sans aucun contrôle, en maitres absolus de la voie publique.
Des images illustratives réelles, avérées et authentifiées sont à disposition pour confirmer nos propos. Ces comportements, à défaut de dire qu’ils s’apparentent à de la collusion, de la connivence ou de la complicité, semblent traduire une coopération condamnable entre des délinquants et des agents d’application de la loi. Le point de départ ainsi que les aires de stationnements de ces véhicules ont été parfaitement localisés et certains es occupants clairement identifiés. L’évaluation financière de la flotte ne laisse planer aucun doute sur les capacités financières des organisateurs de des expéditions punitives à l’encontre des manifestants.
Si l’APR en tant que structure politique, en tant que parti, n’a pas recruté de nervis comme la déclaré un de ses hauts responsables, il a été établi que, avec de solides éléments probants à l’appui, que des responsables du part clairement identifiés ont procédé aux recrutements de nervis. Des informations seraient disponibles sur les lieux, de recrutements, de rassemblements, de restaurations et sur le montant des cachets proposés en fonction de la nature de la mission. Certains responsables, en voulant se justifier, ont commis la maladresse de reconnaitre implicitement la présence des nervis qu’ils ont, subtilement, qualifiés de citoyens volontaires qui ont décidé d’assurer leur propre sécurité nonobstant la présence des forces de l’ordre qui, dès lors; ne semblaient plus être investies de leur confiance.
La présence de plus en plus récurrente, visible et incontestable des nervis aux cotés des forces de l’ordre seules chargées de la mission régalienne d’assurer la protection des personnes, des biens et des institutions, entame fortement leur crédibilité et l’indice de confiance que leur attribue le peuple. La sécurité intérieure de notre pays est du ressort, à titre principal, de la Gendarmerie et de la Police; et pour l’accomplissement de leurs missions régaliennes, des moyens en ressources humaines et en équipements ont été mis à leur disposition. Elles seules doivent intervenir pour maintenir ou rétablir l’ordre public dans les conditions définies par les lois et règlements de la république. Aussi ne doivent-elles pas tolérer encore moins accepter l’intrusion d’éléments civils extérieures sous quelque prétexte que ce soit.
Les devises respectives des forces de défense et de sécurité sont, pour l’armée nationale « On nous tue, on ne nous déshonore pas »; pour la Gendarmerie « Honneur et patrie »; pour la Police « Dans l’honneur au service de la loi ». Comme il est très aisé de le constater, non seulement elles sont des structures à vocation nationale ainsi que cela apparait dans leurs dénominations mais elles ont pour référence axiologique commune l’honneur. C’est pourquoi, je sollicite des forces de défense et de sécurité, au nom de cet honneur, cette valeur cardinale inamissible qu’elles portent constamment en bandoulière et qu’elles se transmettent de générations en générations, de promotions en promotions et de classes en classes, qu’elles prennent conscience de leurs responsabilités constitutionnelles et assument avec la plus totale et stricte rigueur leurs missions régaliennes de défense de la nation, de protection des personnes, des biens et des institutions de la république. Ce sont des responsabilités exclusives qui ne doivent tolérer l’immixtion, l’intrusion ou l’intervention d’éléments étrangers. IL n’est plus question d’admettre, au risque de provoquer une réaction fulgurante du peuple, d’accepter ou de voir des nervis aux cotés de nos forces de l’ordre, fut-il sur instructions de politiciens véreux, inconscients et irresponsables, uniquement guidés par la pérennisation de leur pouvoir pour continuer à jouir de privilèges indument acquis.
Les nervis sont nuisibles pour et dans la société, leur éradication doit constituer un impératif d’ordre public. Ils doivent et peuvent être identifiés, arrêtes et poursuivis devant les tribunaux, de même que leurs commanditaires.
Plus jamais de nervis, de sbires, de sicaires et de séides dans les opérations de maintien et de rétablissement de l’ordre public; c’est une exigence du peuple qui s’en remet totalement aux forces de défense et de sécurité toujours investies de sa confiance.
La rencontre entre le Président de la république et les maires de certaines localités, un ramassis d’écornifleurs, de pleurnichards et d’incompétents, a été tristement été marquée par un florilège de d’éloges et de dithyrambes à l’endroit du maitre de céans qui a été élevé au rang de messie, d’un deus ex machina dont dépendait le sort de tout une nation. Les discours, spécieux à souhait, étaient empreints d’arrogance, de suffisance, de condescendance, de mépris, de dédain et d’une désinvolture qui est le trait de caractère principal de l’hôte du jour.
L’appel à la constitution de comités d’autodéfense lancé par les différents intervenants à finir de convaincre que la perspective d’une guerre civile doit être envisagée sérieusement d’autant que les forces de défense et de sécurité ne semblent plus bénéficier de la confiance des autorités de l’État quant à leurs capacités de maintenir et rétablir l’ordre public sur l’ensemble du territoire national. Pour dire que les nervis ont encore de très beaux jours devant eux en ce sens qu’ils seront mis à contribution jusqu’à l’élection présidentielle du 25 février 2024 à laquelle ne doit pas participer le Président Macky Sall dont les propos du jour semblent traduire un nauséabond relent d’abjuration et de parjure.
Comme je n’ai eu, n’ai et n’aurai jamais de cesse de le seriner, parce qu’exprimant mes convictions profondes, tout individu qui renie sa parole ne fait que ravaler ses propres vomissures et s’identifier à une exécrable vermine; et si le renégat, en plus s’adonne au « ndiouth-ndiath », c’est-à-dire à la fourberie, il n’est qu’une ignoble, abject, détestable et haïssable crapule indigne de respect, d’égard et de considération.
IL est bon et nécessaire de rappeler, pour que nul n’en ignore, que les forces de défense et de sécurité ont prêté un serment d’allégeance à la Constitution de la République du Sénégal et non à un individu, quel qu’il soit.
DAKAR le 02 Juillet 2023. Boubacar SADIO
Commissaire divisionnaire de police à la retraite