Être du bon côté de l’histoire

par pierre Dieme

 Le monde a changé mais l’Occident semble ne pas s’en apercevoir. Ils pensent toujours exercer un contrôle sur nous autres. Ils veulent recueillir de force notre coopération au nom de ce qu’ils croient bons pour l’humanité

Les Occidentaux croient toujours que leur pensée doit dominer le monde. Leur manichéisme atavique se manifeste encore une fois dans le conflit russo-ukrainien : « Si vous ne supportez pas ceux que nous supportons, vous êtes forcément contre nous ». C’est ainsi que tous ceux qui n’auront pas voté la résolution onusienne condamnant l’invasion russe de l’Ukraine, tous ceux qui ne qualifieraient pas d‘agression l’occupation russe, seraient des ennemis de l’Occident toute puissante.

Pourtant il y a quelques années de cela, Mandela avait fait la leçon à un journaliste américain prétentieux, qui l’avait apostrophé et lui reprochait des amitiés coupables avec le truculent leader libyen Mammouar Kadhafi. Mandela lui avait répondu sur un ton cinglant, qu’il avait le libre-choix de ses amitiés et que les ennemis des Etats-Unis n’étaient pas forcément les ennemis de l’Afrique du Sud. Il lui rappela en substance que la Libye était une amie de longue date et qu’elle avait soutenu l’ANC pendant la dure épreuve de l’apartheid. Ce qui n’était pas le cas des USA. Cela avait douché l’atmosphère !

C’est cette même histoire qui se répète : pour l’Occident, la Russie doit être l’ennemie de tous à partir du moment elle est déclarée ennemie de l’Occident. Pourtant le monde a changé mais l’Occident semble ne pas s’en apercevoir. Il se réfugie et se complait dans son déni. En son sein déjà, beaucoup de transformations ont eu lieu : les USA ont décidé de se recroqueviller sur eux-mêmes depuis la présidence d’Obama ; les Anglais de Theresa May et de Boris Johnson sont sortis bruyamment de la communauté européenne ; et la sacro sainte alliance entre la France et l’Allemagne bat de l’aile depuis que Merkel a raccroché. Ailleurs aussi, le monde a changé : l’Inde a ravi à son ancien colonisateur, le Royaume Uni, la 5e place du classement mondial des puissances économiques.

Les crises nombreuses ont favorisé le repli dans des régimes autoritaires, Lula est revenu au pouvoir au Brésil et les pays d’Amérique du sud et d’Afrique ne se sentent pas concernés par cette « guerre européenne » et ont décidé de ne pas choisir un camp.

Malgré ces changements, pour l’Occident, un colonisé restera toujours un colonisé, figé dans son statut éternel. Ils pensent toujours exercer un contrôle sur nous autres. Ils ne comprennent pas que nous refusions de choisir un camp, le leur. Ils ne comprennent pas que nous n’empruntions pas le chemin qu’ils nous indiquent. Ils ne comprennent pas que l’Afrique du Sud fasse des manoeuvres militaires au large de ses côtes avec la Russie quand eux, allègrement, peuvent les faire en leur sein sans explications d’aucune sorte. Ils ne comprennent pas que le ministre des Affaires étrangères russe Serguei Lavrov, soit bien accueilli en Inde et en Afrique, des pays qu’ils ont colonisés. Ils ne comprennent pas que des États africains ne fassent pas de la Russie un monstre. Ne menacent-ils pas de sanctionner désormais toutes les personnes qui feraient la propagande de la Russie ? Comme dirait un ministre indien : « l’Europe pense que ses problèmes doivent concerner le monde et que ceux du monde ne la concernent pas ». Ils veulent recueillir de force notre compassion et notre coopération au nom de ce qu’ils croient bons pour l’humanité. Oui, ils pensent être « du bon coté de l’histoire ». Ils veulent nous entrainer par force, dans cette rhétorique politique d’« être du bon coté de l’histoire » si chère aux démocrates américains. Ce qu’ils ne disent pas, c’est que ce sont eux qui déterminent le bon coté de l’histoire. Les droits de l’homme n’ont apparemment pas la même valeur au Tchad et en Ukraine, comme ils n’ont pas la même valeur en Palestine et en Ukraine. Pour l’un, on condamnera fermement l’invasion, et on voudra que toutes les voix du monde se joignent à vous et pour l’autre on détournera la tête, et on fermera les yeux.

La récente visite de Biden à Kiev, pour marquer le choix fort des Occidentaux dans cette guerre russo-ukrainienne, en cette date d’anniversaire de l’invasion russe, a démontré l’impuissance européenne sur son propre sol. Les Etats-Unis restent la locomotive dans l’effort de soutien militaire à l’Ukraine et la lutte contre la Russie. Du haut de sa tribune à Varsovie en Pologne, Biden a annoncé plus de crédits de guerre pour l’Ukraine. N’eut été le cuisant échec et la débandade en Afghanistan, il aurait du mal à résister à l’idée d’envoyer des troupes dans le Donbass. Les anciens pays du rideau de fer, pourtant affranchis par l’union européenne, se refugient en masse sous l’aile protectrice de l’OTAN. La défense européenne tant voulue par la France n’a jamais pu se faire. L’Europe est devenue une seconde zone. La guerre se passe chez elle et elle n’a pas les moyens d’être un acteur majeur dans son déroulement. Les véhicules de combat Bradley américains sont ceux qu’attendent l’Ukraine pour lancer sa contre-offensive.

Pendant que l’Europe perd de son pouvoir et donc de son influence, la Chine, l’Inde et dans une moindre mesure la Turquie gagnent du terrain. Elles ont de plus en plus leur mot à dire. L’Afrique, quant à elle se sait courtisée et donc elle fait la belle. Elle multiplie déjà ses sources d’approvisionnement et de coopération. La Chine, l’Inde et la Turquie sont devenues ses principaux partenaires économiques. Par ailleurs, sur le plan militaire elle se rebiffe. Le Mali et le Burkina ont emboité le pas à la République centrafricaine et ont demandé à la France de se désengager de leurs territoires. Nul doute que cette tendance à ne plus être la chasse gardée de l’Occident s’accélèrera de plus en plus. Le temps de ceux qui vivent dans l’opulence des dépouilles de leurs victimes est compté. Macron pourra toujours convoquer le roi perse Xerxès et bombarder la Russie coupable d’avoir dessillé nos yeux sur l’impuissance du maitre. L’Histoire se poursuivra inéluctablement.

C. Tidiane Sow est coach en Communication politique.

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