Pape Alé Niang, un destin de Bobby Sands ?

par pierre Dieme

Devant la détermination du patron de Dakar Matin d’aller jusqu’au bout de sa diète afin de protester contre sa détention arbitraire, le pire est à redouter. En réalité, Macky Sall voit à travers le journaliste Ousmane Sonko ; l’homme qui hante ses nuits

Le 05 mai 1981 mourait, au terme de souffrances indicibles, à la prison de Maze, à Belfast, le détenu nationaliste nord-irlandais Bobby Sands. Il avait 27 ans. Ce membre de l’IRA (Armée républicaine irlandaise), élu député pendant qu’il purgeait une peine de 14 ans de prison pour lutte armée, avait entamé une grève de la faim deux mois plus tôt pour exiger, en sa faveur et celle de ses codétenus, le statut de prisonniers politiques. Il est mort défiguré par la faim, sourd et aveugle au terme de 66 jours de grève de la faim. Au 54ème jour de sa diète, déjà, il ne pesait plus que 44 kilogrammes et, pour éviter que ses os ne transpercent son corps, on l’avait enveloppé d’une épaisse couverture.

Malgré les appels à l’assouplissement du monde entier, notamment du Pape, la Première ministre britannique de l’époque, Margaret Thatcher, surnommée la Dame de fer ou Iron Lady, était demeurée inflexible, refusant de considérer Bobby Sands et ses camarades comme des prisonniers politiques et ne voyant en eux que des « terroristes ».

A la mort de Sands, d’autres de ses compagnons de détention ont pris le relais les uns à la suite des autres, refusant de s’alimenter jusqu’à ce que mort s’ensuivit. Ainsi, neuf autres militants de l’Ira, dont John McDonnell et Martin Hurson, ont succombé à la faim après Bobby Sands. Cette grève de la faim en série, fortement médiatisée, avait ému le monde entier admiratif devant le courage de ces jeunes gens qui avaient accepté de consentir le sacrifice suprême, dans des conditions extrêmement douloureuses, pour le triomphe de leur cause.

Pour la petite histoire, Margaret Thatcher, cette Dame de fer extrêmement dure et sans pitié qui reconvertît au forceps le secteur de la sidérurgie britannique au prix de milliers de licenciements et d’autant de drames familiaux, qui déclara la guerre à l’Argentine pour reprendre l’archipel des Malouines (Falklands pour les Britanniques) avec là aussi des centaines de soldats tués de part et d’autre — rien que le bombardement du Général Belgrano, le navire amiral de la flotte argentine par la Royal Navy avait fait quelque 800 morts —, cette dame au cœur de pierre, donc, fut pourtant celle là même que l’on vit pleurer à chaude larmes lorsque son fils, pilote de course, se perdit dans le désert du Sahara en participant au rallye Paris-Dakar !

La tragique histoire de Bobby Sands, qui m’avait beaucoup ému à l’époque, m’est revenue à l’esprit lorsque j’ai appris que notre confrère Pape Alé Niang est dans un état critique après avoir observé une grève de la faim durant plus de trois semaines en tout. Une grève il est vraie interrompue lorsqu’il avait obtenu une liberté provisoire durant une semaine à peine. Devant l’obstination et la détermination du patron du site « Dakar Matin » d’aller jusqu’au bout de sa diète destinée à protester contre sa détention arbitraire, le pire est à redouter. Surtout qu’en face, le président de la République, faisant montre de la même intransigeance que l’alors Première ministre britannique Margaret Thatcher reste lui aussi sourd à tout appel, autiste et n’entend pas faire preuve de la moindre magnanimité. Un véritable « lion sourd » (Gainde gu tëx) comme disent les Ouolofs ! Sa haine dans cette affaire est d’autant plus grande qu’en réalité, à travers Pape Alé Niang, il voit Ousmane Sonko, c’est-à-dire l’homme qui hante ses nuits ! Et sans doute aussi ses jours. Un homme avec qui il a engagé un Mortal Kombat qui se terminera par la mort de l’un ou de l’autre, si ce n’est des deux au profit d’un troisième larron comme nous le soutenions il y a quelques mois dans ces mêmes colonnes.

Sous ce rapport, le « crime » de Pape Alé Niang mais aussi des 21 autres personnes, majoritairement des jeunes gens (parmi lesquelles une pauvre mère de famille !) qui croupissent actuellement en prison c’est évidemment d’avoir choisi le mauvais camp, celui de l’actuel opposant numéro 1 au pouvoir en place. Pour des faits bénins — voire carrément en l’absence de faits ! —, ils ont été jetés en prison sous des qualifications volontairement corsées et aggravées (on a même parlé de terrorisme !), pour les briser et dissuader quiconque voudrait s’engager plus avant pour le compte du leader de Pastef. Autrement dit, ils sont des otages du régime qui nous gouverne depuis 2012 et qui veut visiblement jouer les prolongations en 2024.

Un « lion qui dort » qui plus est sourd !

C’est évidemment pourquoi le cas de notre confrère n’est pas simple. Beaucoup de journalistes, prenant prétexte de la proximité de Pape Alé Niang avec Ousmane Sonko, refusent de se mobiliser en sa faveur même si, de mon point de vue, et fort heureusement, la majorité de la profession est ulcérée par cette détention arbitraire qui, par-delà la personne du patron de « Dakar Matin », vise une certaine forme de pratique du journalisme dans notre pays. C’est-à-dire celle-là même qui refuse de faire du griotisme, de s’agenouiller, de lécher les pouvoirs publics. Celle-là qui fait dans l’investigation et débusque les gros cafards que le régime veut cacher dans ses placards. A ceux-là gare, l’arsenal répressif et les lois liberticides genre diffusion de fausses nouvelles, violation du secret-défense et autres sont ressortis comme une épée de Damoclès susceptible de s’abattre sur la tête de tout journaliste mal-pensant. C’est pourquoi, le combat pour la libération de Pape Alé Niang est bien le nôtre. Il faut se mobiliser sans toutefois se faire beaucoup d’illusions quant aux chances de succès de ce combat car Macky Sall n’est ni Abdou Diouf, ni Abdoulaye Wade, autrement dit des présidents à qui l’on pouvait parler. Intraitable, il ira jusqu’au bout. Nous avons parlé plus haut de « lion sourd ». En réalité, cette surdité n’est que partielle car le Président est sensible aux arguments des courtisans qui viennent lui tenir à peu près ce langage : « Ô César, toi l’Illustrissime et le Brillantissime, toi le Puissantissime qui tutoie le Ciel, toi le maître de l’Univers et des Horloges, Toi qui as fait passer ce fichu pays de l’Indigence à l’Emergence, toi sous le magistère duquel nos Lions ont gagné la Can et sous le règne le Sénégal va devenir un Emirat pétrolier et Gazier, Ô Majesté, écrase donc cette vermine qui veut ternir l’éclat de ton règne ! » Pour son malheur, PAN fait partie de cette vermine. A ces mots, nul doute que notre Roi de la forêt a réfréné une envie de dire à Pape Alé Niang, comme dans la fable « Le Lion et le Moucheron » de La Fontaine : « Va t’en chétif insecte, excrément de la terre ! »

Car la raison du plus fort a toujours été la meilleure, surtout dans nos démocraties tropicales où la religion du Prince est celle de ses juges qui emprisonnent et libèrent selon son bon plaisir. Pape Alé Niang doit donc rester fort et tenir pour le salut et l’honneur de la profession. Jusqu’au sacrifice suprême que fit Bobby Sands ?

Ndlr : Ce sont sans doute aussi les mêmes courtisans qui ont dû convaincre notre César que le carnage gravissime débusqué par la Cour des comptes à propos de l’argent de la Force Covid…ne méritait pas plus qu’une phrase dans son discours de fin d’année !

Mamadou Oumar Ndiaye 

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