Sorties sur le 3e mandat et contre la Cour des comptes: Ismaila Madior Fall ou l’inquiétante déchéance d’une sommité du droit

par pierre Dieme

Le rapport de la Cour des comptes sur la gestion du Fonds Force Covid-19 n’a pas fait que révéler les détournements abjects, malversations et autres fautes de gestion faits par les autorités du régime en place au nom de la pandémie. Il a également mis à nu la propension des dirigeants du pouvoir actuel à violer les institutions de la République.

Epinglé avec son Dage par ledit rapport, le beau-frère du président de la République et non moins ministre d’alors du Développement communautaire, de l’Equité sociale et territoriale, Mansour Faye, a fait une sortie dans l’un des journaux les plus lus du pays pour s’attaquer aux magistrats de la Cour des comptes. « La question que je me pose est sur quoi se fondent sur ls vérificateurs pour accuser d’honnêtes citoyens de surfacturations ou de malversations »,  Il va plus loin en accusant des magistrats de la Cour des comptes d’avoir des casquettes politiques et se cachent derrière des institutions pour atteindre leurs buts. Avant d’assurer que « cette peine perdue ». Comme s’il était au dessus de la loi.

Il est d’ailleurs conforté dans cette position par le Garde des Sceaux, Ismaila Madior Fall.

« Mansour Faye comme les autres ministres épinglés ne seront traînés devant aucun procureur. Ils ne sont justiciables que devant la haute Cour de justice et il faut l’approbation du président de la république », a affirmé le ministre de la Justice qui était l’invité de l’émission « Point de Vue ».

À écouter Ismaila Madior Fall, la Cour des comptes n’a pas respecté les procédures dans le cas d’espèce.  « Malgré tout le respect que nous devons à la Cour des Comptes, il nous faut quand même formuler des observations. Ce que prévoit la loi organique sur la Cour des comptes, s’il y a faute de gestion, le président de la Cour doit les déférer devant la chambre de discipline financière de ladite Cour. S’il s’agit de délit ou crimes économiques, il saisit le ministre de la Justice, point. Et il appartient au Garde des Sceaux de voir le mode de traitement des dossiers des affaires le plus approprié au regard de la loi », dt-il

Avant d’ajouter: « on n’est pas obligé d’ouvrir une information judiciaire. Je saisirai le Procureur pour non pas ouvrir des informations judiciaires, mais pour utiliser d’autres modes alternatifs comme l’enquête préliminaire confiée à la police judiciaire, demander aux incriminés de produire les pièces justificatives qui leur manquaient ou de justifier les surfacturations. L’information judiciaire nous enferme, nous sommes en train de voir l’ensemble des faits incriminés et il faut souligner que la Cour des comptes n’a pas pour rôle de qualifier des infractions, délits ou crimes économiques ».

Ce que dit l’Article 6 de la Loi organique portant statut des Magistrats de la Cour des comptes

Dans un pays où les Institutions sont respectées et protégées par le régime présidentiel, l’attitude du Garde des Sceaux, ministre de la Justice aurait été autre, après la sortie du ministre Mansour Faye, jetant le discrédit sur les magistrats de la Cour des comptes.

L’Article 6 de la Loi organique portant statut des Magistrats de la Cour des comptes protège ses magistrats et ordonne à l’Etat de poursuivre en justice leurs diffamateurs.

« Les magistrats de la Cour sont, conformément aux dispositions du Code pénal et des autres lois en vigueur, protégés contre les menaces, attaques, outrages, injures ou diffamations dont ils peuvent être l’objet dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. La réparation du préjudice direct qui en résulterait incombe à l’Etat qui se trouve alors subrogé dans les droits et actions de la victime contre le ou les auteurs du dommage », dispose ladite loi.

Le Coordonnateur du Forum Civil, Birahim Seck prend d’ailleurs le contrepied de Ismaila Madior Fall en invoquant l’Article 12 alinéa 7 de la loi de 2012 sur la Cour des comptes. « Face au dilatoire continu du Gouvernement, nous invitons aussi le Procureur Général auprès de la Cour des Comptes d’user de l’article 12 alinéa 7 de la loi de 2012 sur le CC en communiquant directement avec les autorités judiciaires par notes du Parquet », a-t-il posté sur son compte Twitter

Le fondateur de l’organisation AfricaJom Center va dans le même sens que le coordonnateur de la filiale sénégalaise de Transparency International. Alioune Tine qualifie la sortie de Ismaila Madior Fall d’absurde.

Ismaila Madior Fall, la déchéance d’une sommité du droit

Qui aurait pu imaginer que l’un des rédacteurs de la Constitution du Sénégal s’attaquerait à une Institution comme la Cour des comptes, une juridiction chargée de fouiller la gestion des finances publiques ? Avant 2012, c’était impensable. Mais nous sommes en 2022 et beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. Ismaila Madior Fall a rejoint le gouvernement. Mieux, il a rejoint l’Alliance pour la république (parti au pouvoir). Il a d’ailleurs essuyé deux revers tonitruants lors des élections Locales de janvier 2022 et Législatives du 31 juillet 2022 dans son fief de Rufisque.

Le garde des Sceaux, ministre de la Justice a enchaîné les sorties malheureuses depuis son entrée en politique. Sur la question du 3e mandat, Ismaila Madior Fall est revenu sur son interprétation de l’Article 27 de la Constitution. À la veille de la Présidentielle de 2019, il a été interpellé sur la question d’une probable 3e candidature de Macky Sall en 2024. Il avait alors répété 3 fois la disposition dudit Article qui stipule : « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Avant d’ajouter en commentaire que cet article n’avait pas besoin d’être interprété tant la lettre est claire et limpide.

Cependant, répondant au Professeur Mary Teuw Niane sur la question, Ismaila Madior Fall écrivait: « Pourquoi et en quoi devrait-on systématiquement qualifier, pour ne pas dire taxer, les partisans d’une troisième candidature de laudateurs ? (…) La question est banale et ouverte. Et chacun a la liberté de dire : je suis pour ou je suis contre. L’histoire politique de l’humanité en général et de l’Afrique en particulier montre l’existence d’arguments pour et d’arguments contre la limitation des mandats présidentiels ».

Il ajoutait dans son texte: « D’abord, la parole donnée, quoi que très importante, n’est pas le seul étalon de mesure de l’éthique d’un individu ? Ensuite, dire que le non-respect de la parole donnée a été fatal à tous les régimes au Sénégal est une contre-vérité ».

Entre le Ismaila Madior Fall d’avant 2012 et d’aujourd’hui, il y a un énorme fossé dans lequel bon nombre de Sénégalais se sont perdus. Quand un intellectuel trouve autant d’aisance à renier sa parole en public. Quand il il va jusqu’à faire du reniement de la parole un principe de la démocratie. Quand celui qui a inspiré et rédigé la charte fondamentale de la Nation se retourne contre les Institutions de cette même nation, il devient urgent de le bannir des sphères de décision de la République.

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