A 9h34 ce samedi 31 décembre, à l’âge de 95 ans, le pape émérite Benoît XVI est décédé au monastère Mater Ecclesiae où il résidait depuis sa renonciation en 2013. Depuis quelques jours son état de santé s’était déterioré.
La dernière fois que la mort d’un ancien pape ne signifiait pas la fin d’un pontificat, c’était en 1417. Benoît XVI, né Joseph Ratzinger, est décédé samedi 31 décembre 2022 à 9h34 au Vatican, près de 10 ans après sa renonciation, qu’il avait annoncée par surprise le 11 février 2013 avec la lecture d’une courte déclaration en latin devant des cardinaux ébahis. Jamais, au cours de deux millénaires d’histoire de l’Église, un pape n’avait quitté la chaire parce qu’il ne se sentait pas physiquement apte à supporter le poids de la papauté. D’ailleurs, dans une réponse donnée au journaliste Peter Seewald dans le livre-entretien «Lumière du monde» publié trois ans plus tôt, il avait quelque peu anticipé: «Lorsqu’un Pape arrive à la claire prise de conscience qu’il n’est plus capable physiquement, mentalement et spirituellement de mener à bien la tâche qui lui est confiée, alors il a le droit et dans certaines circonstances même le devoir de démissionner». Bien que l’épilogue de son règne ait été antérieur à la fin de sa vie, ce qui constitue un précédent historique d’une énorme importance, il serait peu généreux de ne retenir Benoît XVI que pour cela.
Né en 1927, fils de gendarme, dans une famille simple et très catholique de Bavière, Joseph Ratzinger a été une figure majeure de l’Eglise du siècle dernier. Ordonné prêtre avec son frère Georg en 1951, il devient docteur en théologie deux ans plus tard et, en 1957, il est autorisé à enseigner la théologie dogmatique. Il est professeur à Freising, Bonn, Münster, Tübingen et enfin Regensburg. Avec lui, disparaît le dernier des souverains pontifes personnellement impliqués dans les travaux du Concile Vatican II. Très jeune et déjà théologien estimé, Joseph Ratzinger avait suivi de près l’assemblée en tant qu’expert du cardinal Frings de Cologne, proche de l’aile réformiste. Il était parmi ceux qui ont fortement critiqué les projets préparatoires préparés par la Curie romaine, balayés ensuite par la décision des évêques. Pour le jeune théologien, les textes «doivent donner des réponses aux questions les plus pressantes et doivent le faire, dans la mesure du possible, non pas en jugeant et en condamnant, mais en utilisant la langue maternelle». Joseph Ratzinger exalte la réforme liturgique à venir et les raisons de son inévitabilité providentielle. Il affirme que pour redécouvrir la vraie nature de la liturgie, il fallait «briser le mur du latin».
Mais le futur Benoît XVI a aussi été le témoin direct de la crise postconciliaire, de la contestation dans les universités et les facultés de théologie. Il assiste à la remise en cause de vérités essentielles de la foi et à des expérimentations sauvages dans le domaine liturgique. 1966, un an à peine après la fin du Concile, il disait voir l’avancée d’un «christianisme au rabais».
En 1977, à 50 ans, Paul VI le nomme archevêque de Munich et le crée cardinal quelques semaines plus tard. Jean-Paul II lui a confié en novembre 1981 la direction de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. C’est le début d’une collaboration étroite entre le pape polonais et le théologien bavarois, destinée à ne se dissoudre qu’avec la mort de Karol Wojtyla, qui a refusé jusqu’au bout la démission de Ratzinger, ne voulant pas se priver de ses qualités. C’est au cours de ces années que l’ancien Saint-Office met les points sur les «i» dans de nombreux domaines: il freine la théologie de la libération, qui utilise l’analyse marxiste, et prend position face à l’émergence de problèmes éthiques majeurs. L’œuvre la plus importante est certainement le nouveau Catéchisme de l’Église catholique, un travail qui a duré six ans et qui a vu le jour en 1992.
Après la mort de Jean Paul II, le conclave de 2005 a appelé pour lui succéder en moins de 24 heures un homme déjà âgé – 78 ans – universellement estimé et respecté, même par ses adversaires. Depuis la loggia de la basilique Saint-Pierre, Benoît XVI se présente comme «un humble ouvrier dans la vigne du Seigneur». Etranger à tout protagonisme, il dit n’avoir «aucun agenda», mais veut «écouter, avec toute l’Eglise, la parole et la volonté du Seigneur».
Auschwitz et Regensburg
Plutôt réservé, il ne renonce pas à voyager: son pontificat est itinérant, comme celui de son prédécesseur. Sa visite à Auschwitz en mai 2006 en est l’un des moments les plus émouvants. Ce jour-là, le pape allemand déclare: «dans un endroit comme celui-ci, les mots manquent, seul un silence stupéfiant peut subsister – un silence qui est un cri intérieur adressé à Dieu: « pourquoi as-tu pu tolérer tout cela ? »». 2006 est aussi l’année de l’affaire de Ratisbonne, où un vieux passage sur Mahomet, que le souverain pontife cite sans se l’approprier dans l’université où il fut professeur, est instrumentalisée et déclenche des protestations dans le monde islamique. Par la suite, le Pape multipliera les signes d’attention envers les musulmans. Benoît XVI affronte des parcours difficiles ; il est confronté à la sécularisation galopante des sociétés déchristianisées et aux dissensions au sein de l’Église. Le 16 avril 2008, il est aux Etats unis, célèbre son 81è anniversaire à la Maison Blanche en compagnie du président George Bush Jr, et quelques jours plus tard, le 20 avril, il prie à Ground Zero avec les familles des victimes du 11 septembre 2001.
L’encyclique sur l’amour de Dieu
Si, comme préfet de l’ancien Saint-Office, il a souvent été qualifié de «panzerkardinal», lorsqu’il devient pape, il parle constamment de la «joie d’être chrétien» et consacre sa première encyclique «Deus caritas est», à l’amour de Dieu. «Au début de la vie chrétienne», écrit-il, «il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne». Il trouve également le temps d’écrire un livre sur Jésus de Nazareth, un ouvrage unique publié en trois tomes. Parmi les décisions à retenir, citons le Motu proprio libéralisant le missel romain préconciliaire et l’institution d’un Ordinariat pour permettre aux communautés anglicanes de revenir à la communion avec Rome. En janvier 2009, Benoît XVI décide de révoquer l’excommunication des quatre évêques ordonnés illicitement par Mgr Marcel Lefebvre, parmi lesquels Richard Williamson, un négationniste des chambres à gaz. La polémique éclate dans le monde juif. Le Pape écrit alors aux évêques du monde entier et en assume l’entière responsabilité.
La réponse aux scandales
Les dernières années sont marquées par la résurgence du scandale de la pédophilie et par Vatileaks, la fuite de documents soustraits au bureau du Pape et publiés dans un livre. Benoît XVI s’attaque avec détermination et fermeté au problème de la «saleté» dans l’Église. Il introduit des règles très strictes contre les abus sur les mineurs, demandant à la Curie et aux évêques de changer de mentalité. Il va jusqu’à dire que la persécution la plus grave pour l’Église ne vient pas de ses ennemis extérieurs, mais du péché commis de l’intérieur. Il mène également une importante réforme, dans le domaine économique, avec la mise en place d’une réglementation contre le blanchiment au Vatican.
Une Église libérée de l’argent et du pouvoir
Face aux scandales et au carriérisme ecclésiastique, le Pape allemand continue à lancer des appels à la conversion, à la pénitence et à l’humilité. Lors de son dernier voyage en Allemagne en septembre 2011, il appelle l’Église à être moins mondaine: «Les exemples historiques montrent que le témoignage missionnaire d’une Église « démondanisée » émerge plus clairement. Libérée des charges et des privilèges matériels et politiques, l’Église peut mieux se consacrer, et de manière vraiment chrétienne, au monde entier. Elle peut être réellement ouverte au monde… ».
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