Deuxième institution de la République, la vie de l’Assemblée nationale sous le magistère du président Macky Sall semble rythmée de scandales. Après les affaires liées au trafic de faux billets, aux passeports diplomatiques et aux impôts impayés, la représentation parlementaire est de nouveau secouée par une affaire de falsification de son règlement intérieur.
L’Assemblée nationale du Sénégal est-elle devenue une institution à scandales sous le magistère du président Macky Sall ? En tout cas, depuis quelques temps, des affaires scabreuses impliquant des membres de l’hémicycle voire directement cette deuxième institution de la République ne cessent d’alimenter l’actualité. Dernière en date, l’affaire de falsification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale distribué aux députés de la quatorzième législature. En effet, dans une lettre adressée au président de l’Assemblée nationale, Amadou Mame Diop le 11 novembre dernier, l’honorable député Mamadou Lamine Diallo a demandé le retrait du règlement intérieur au motif que ce texte « intitulé règlement intérieur édition juillet 2021, est au mieux faux, au pire falsifié et manipulé. » En effet, à en croire le 7ème vice-président de l’Assemblée nationale, dans cette version mise à jour de ce document de base du travail parlementaire, certaines dispositions de la loi 2019-14 du 28 octobre 2019 supprimées avec l’abrogation du Poste de Premier ministre ont été, en violation de l’article 121, réintégrées en catimini sans faire l’objet d’adoption par l’Assemblée nationale.
Les articles concernés par cette falsification sont entre autres 5, 60, 61, 90, 97, 98 et 99 dudit règlement intérieur. S’exprimant le jeudi 17 novembre dernier lors de l’examen du projet de loi de finance 2023, le président du mouvement Tekki, membre du groupe parlementaire « Libertés, démocratie et changement » est revenu à la charge en annonçant une « plainte contre X pour faux et usage de faux ». Auparavant, c’est l’ancien président du groupe parlementaire des libéraux sous le régime du président Wade qui est monté au créneau pour dénoncer également ce faux règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Dans un petit message partagé sur son compte Facebook, le 16 novembre dernier, Doudou Wade s’interrogeait pour savoir si « Les députés auront le courage de retirer et mettre sous scellés le faux règlement intérieur ???? »
Il faut dire que ce n’est pas une première que cette deuxième institution de la République soit directement ou indirectement impliquée dans une affaire de faux. Le 20 novembre 2019, le député du parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (Apr), Seydina Fall alias Bougazelli avait été arrêté par un détachement de la Section de Recherches de la gendarmerie pour trafic présumé de faux billets de banque aux abords de l’Assemblée nationale après plusieurs jours de filature. Toujours dans cette liste des scandales impliquant directement ou indirectement l’institution parlementaire, on peut citer également, l’affaire de trafic de passeports diplomatiques sur la base de faux mariages, dans laquelle deux députés membres du parti au pouvoir ont été reconnus coupables et condamnés par la justice. A ces scandales impliquant des membres de l’Assemblée nationale, il faut également ajouter celui des « impôts de 2,7 milliards impayés de l’Assemblée nationale ». Révélée par le leader de Pastef, Ousmane Sonko, au cours d’un panel « Les samedis de l’Économie », cette affaire avait embrasé toute la République à l’époque au point que l’actuel Premier ministre, Amadou Ba, qui était au moment des faits ministre de l’Économie, des Finances et du Plan fût obligé d’enclencher une procédure de radiation de la fonction publique à l’encontre de Sonko. Élu député à l’issue des élections législatives de 2017, Ousmane Sonko reviendra à la charge sur cette polémique relative à l’impôt des députés pour déclarer encore lors d’une émission sur une télévision privée « que le député sénégalais paie 1.500 FCFA d’impôts », faveur qu’il n’a pas manqué d’ailleurs de dénoncer avec force. Interpellé sur cette question, son collègue député du groupe de l’opposition, Mamadou Diop Decroix, a indiqué pour sa part qu’il « est manifeste que comparé au système d’imposition appliqué aux salariés, le système d’imposition appliqué aux députés induit une différenciation très nette en faveur du député et qui permet donc de dire que le député ne paie pas le juste impôt même s’il paie bel et bien un impôt».
Quand la présidence de la République « tripatouille» à l’Assemblée !
Aussi surprenante que cela puisse paraitre, l’Assemblée nationale n’est pas la seule institution de la République à être impliquée dans une affaire de faux sous le magistère de l’actuel chef de l’Etat. Le 09 juillet 2020, la présidence de la République à travers son portail internet s’était elle aussi prêtée à ce jeu de faux et usage de faux à travers la falsification de l’article 60 de la Constitution du 22 janvier 2001. Dans ce faux article 60 de la Constitution, il est indiqué : « Tout député qui démissionne de son parti ou en est exclu en cours de législature est automatiquement déchu de son mandat. Les députés démissionnaires ou exclus de leur parti sont remplacés dans les conditions déterminées par une loi organique ». Cette publication de l’article falsifié 60 de la Constitution du 22 janvier 2001 intervenait en pleine crise alimentée par des attaques répétées du député Moustapha Cisse Lo, par ailleurs premier vice-président de l’Assemblée nationale contre ses camarades et autres alliés. Ainsi, pour se donner les moyens de le dépouiller non seulement de son poste de vice-président de l’Assemblée nationale mais aussi de député, il a été procédé à la publication de ce faux article de 60 de la Constitution du 22 janvier 2001 dont la bonne version stipule que : « Tout député́ qui démissionne de son parti en cours de législature est automatiquement déchu de son mandat. Il est remplacé́ dans les conditions déterminées par une loi organique ». Cette manipulation tendancieuse de la Constitution avait poussé l’ancien Premier ministre du premier gouvernement de Macky Sall à monter au créneau. « Nous tenons à attirer l’attention des citoyens sur le fait que les dispositions constitutionnelles relative à l’article 60 de la Constitution mises en ligne sur le site officiel de la Présidence de la République sont différentes de la version officielle. Il s’agit d’une fraude à la Constitution. Cela est bien évidemment contraire à la loi », avait lancé Abdou Mbaye dans un texte. Cependant, malgré la gravité d’une telle situation, aucune mesure conservatoire n’a été prise par l’autorité pour situer les responsabilités dans cette manipulation tendancieuse de la charge fondamentale.
ALIOUNE SOUARE, ANCIEN DEPUTE, SPECIALISTE DU DROIT PARLEMENTAIRE
« L’impact d’un faux règlement intérieur peut affecter considérablement la légalité des travaux en cours ».