Crise d’une communication menaçante

par pierre Dieme

Du Procureur de la République au ministre porte-parole du gouvernement, en passant par le ministre de la Communication, les contenus des discours et sorties sont les mêmes ou presque dans l’affaire Pape Alé Niang : menaces et manipulation

Alors que la Coordination des associations de la presse (CAP), à travers la plateforme mise en place pour la libération de Pape Alé Niang, ainsi que le collectif constitué pour la cause continuent de dérouler leur plan d’actions, avec entre autres la marche nationale prévue ce vendredi 18 novembre, le gouvernement ne semble pas disposé à lâcher du lest dans cette affaire. Au contraire, depuis l’arrestation du journaliste directeur de publication de DakarMatin, le dimanche 6 novembre dernier, les autorités, dans leur communication sur la crise née de cette affaire, ont opté clairement pour la menace, la manipulation aux fins d’une division des professionnels des médias sur cette affaire… Or l’urgence est ailleurs, notamment le terrain du combat pour le développement économique du Sénégal sur lequel elles sont attendues.

Entre menaces et manipulation aux fins d’une division des professionnels des médias, les gouvernants semblent établir leur communication de crise sur l’emprisonnement du journaliste directeur de publication de DakarMatin, arrêté le dimanche 6 novembre dernier.

Du Procureur de la République au ministre porte-parole du gouvernement, en passant par le ministre de la Communication, les contenus des discours et sorties sont les mêmes ou presque : menaces et manipulation… En atteste, le ministre du Commerce, de la Consommation et des PME, Abdou Karim Fofana, par ailleurs porte-parole du gouvernement, après avoir soutenu que le journaliste a fait preuve «d’irresponsabilité», lundi dernier sur ITV, dans l’émission Toc Toc, a remis ça sur TV5 Monde Afrique avant-hier, mercredi 16 novembre 2022. «Accuser des personnes à tort, diffuser de fausses nouvelles et des documents classés secret défense, cela ne se fait pas.

Dans la profession du journaliste, c’est ce qu’on appelle « démarquer l’information »», a déclaré Abdou Karim Fofana sur le plateau de la télévision francophone. Le porte-parole du gouvernement d’ajouter qu’il est inconcevable, dans une République, de prendre un document officiel, classé secret défense, de le mettre sur la place publique ou encore tenter de saper le moral des troupes militaires. «Il faut savoir que dans une République, tout ne se fait pas. Le plus important, c’est de préserver notre République contre la désinformation. Nous serions irresponsables, en tant que dirigeants, si nous laissions faire la diffusion de fausses nouvelles, l’accusation à tort de personnes», a défendu le ministre du Commerce devant la journaliste française, considérant que «la presse sénégalaise n’est pas en danger, c’est plutôt un monde de désinformation où nous nous trouvons…» Selon lui, «il y a des droits et des devoirs de journaliste bien encadrés».

Abdou Karim fofana et Moussa Bocar Thiam enfilent la même robe…

Avant lui, c’est son collègue Me Moussa Bocar Thiam qui s’est livré à cet exercice. Invité de l’émission «Grand jury» sur la RFM, dimanche dernier, le ministre de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique a usé d’un ton menaçant, en répondant à une question sur l’arrestation de Pape Alé Niang. «Nous allons revenir à l’ordre, ne pas autoriser qu’un journaliste ou qu’un consortium de journalistes puissent violer délibérément les secrets défenses qui peuvent nuire à la stabilité de notre pays, à l’honorabilité de nos Forces de défense et de sécurité. Nous devons tous y veiller et il appartient à l’État de prendre ses responsabilités et il le fera.

Quelles qu’en soient les conséquences… Un journaliste ne peut pas tout dire, tout révéler, quitte à nuire aux intérêts supérieurs de la Nation. C’est intolérable et inadmissible ! Cet intérêt public à informer disparaît, dès lors qu’il y a un intérêt public qui appartient à l’État du Sénégal à travers la stabilité du pays», a-t-il dit.

Le lendemain, lundi matin, à l’occasion d’une visite effectuée au siège de l’Union des radios communautaires du Sénégal Moussa Bocar Thiam a joué la carte de la division des professionnels des médias, en se prononçant sur la marche programmée pour la libération du journaliste, ce vendredi. Indiquant que l’infraction commise par Pape Alé Niang ne concerne pas tout le secteur de la presse, encore moins la corporation. «Par rapport à l’affaire Pape Alé Niang, beaucoup d’acteurs le soutiennent par principe. Parce que c’est un membre de la corporation qui est en difficulté à partir avec la justice. Mais l’infraction commise par un membre de la corporation, cette difficulté là, n’est pas celle de l’ensemble du corps ou de la corporation, c’est un citoyen comme tout autre citoyen. Il a commis une infraction de droit commun. Et donc, c’est une question qui le concerne, mais ça ne concerne pas du tout l’ensemble des journalistes. Je veux rappeler à mes camarades journalistes avec qui je partage le secteur, que ce n’est pas le combat de tout journaliste qui est le combat des journalistes. Parce que pendant des années, on a tous constaté les dérives de langage dont il a fait preuve», a jugé le ministre de la Communication.

… celle du procureur de la République

Déjà le lundi 7 novembre, au lendemain de l’arrestation du journaliste, le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance hors classe de Dakar a publié un communiqué sur les raison de cette interpellation. «Il a été constaté depuis un certain temps des attaques répétées, non fondées et inacceptables dirigées contre les Forces de défense et de sécurité. Les dernières en date qui portent manifestement atteinte à l’autorité de ces institutions républicaines visent des officiers généraux dans le but évident de les délégitimer et de fragiliser la cohésion et la discipline collective indispensables au bon fonctionnement et à l’efficacité de ces corps habillés de l’Etat.

Ces actes qui distillent par ailleurs un doute pernicieux, sapent le moral des troupes et désignent les Forces de sécurité comme des cibles majeures à l’attention de tous ceux qui souhaitent s’en prendre à l’autorité de l’Etat, constituent des menaces pour l’ordre public et sont susceptibles de caractériser des atteintes à la défense nationale, outre la diffusion de fausses nouvelles et la divulgation de secret-défense. C’est pour cette raison que j’ai demandé au commissaire chargé de la Sureté urbaine, dans le respect des exigences de la liberté de presse et des instruments internationaux garantissant les libertés fondamentales, d’ouvrir immédiatement une enquête sur ces faits constatés et de me rendre compte de l’évolution de la procédure, laquelle enquête devant être conduite avec toute la rigueur nécessaire, au vu de la gravité des faits», renseigne le document du Maître des poursuite

Détourner les négalais des urgences sur lesquels le gouvernement est attendu

Une sortie qualifiée de «malvenue» par les défenseurs des droits humains. Surtout que l’urgence est ailleurs. Les autorités sont attendues sur les questions de l’émergence, de la lutte contre la pauvreté endémique et qui continue de gagner du terrain, de la résorption des risques de crises alimentaires qui touchent plusieurs départements pourtant à fortes potentialités agricoles du pays. Bref, celles du développement économique pour extirper le Sénégal du groupe peu honorable des pays pauvres très endettés (PPTE). Aussi, «le véritable débat, ici, c’est la question de la transparence en démocratie».

Une transparence qui «ne peut souffrir des domaines interdits, le mensonge, le mystère, le secret, la discrétion, tous les artifices qui dissimulent la vérité». Mieux, «au nom de la transparence, le droit à l’information tend à devenir un droit absolu. Les images qui restent dans l’ombre, les paroles qui se disent sous le sceau de la confidence, deviennent suspectes.» Ce qui fait de cette transparence, en plus d’être un «droit», une «exigence morale», une «pierre angulaire sur laquelle repose notre société qui prône la démocratie. Il faut le reconnaitre, les notions de transparence et de secret renvoient aux droits fondamentaux qui gouvernent notre société», a réagi Jean Denis Ndour, 2ème vice-président de la Ligue sénégalaise des droits humains (Lsdh), interrogé par Sud Quotidien. Précisant que la confidentialité implique l’interdiction de divulguer à des tiers ou personnes non autorisées des informations à caractère confidentiel. Contrairement au secret, l’obligation de confidentialité n’est pas sanctionnée en tant que telle.

Violation de la charte de Munich, des déclarations de l’Unesco et de l’Union africaine sur le journalisme

Une analyse qui épouse la Charte des droits et devoirs des journalistes, la Charte de Munich qui, dans son préambule, dit que «La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public, prime sur toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics». C’est aussi à se demander ce que font les autorités sénégalaises de la définition du journalisme d’investigation de l’UNESCO, dont notre pays est membre ? «Le journalisme d’investigation implique d’exposer au public des affaires dissimulées de manière délibérée par une personne en position de pouvoir ou cachées accidentellement car elles étaient noyées dans une masse de faits et de circonstances qui en obscurcissaient la compréhension. Il nécessite d’utiliser des sources et des documents confidentiels ou publics», fait savoir l’UNESCO. De même, le Sénégal, dont le chef de l’Etat, Macky Sall, assure la Présidence de l’Union Africaine (UA) ne viole-t-il pas délibérément les principes de cette organisation continentale, avec cette arrestation et placement sous mandat de dépôt du journaliste Pape Alé Niang ?

 Dans la Déclaration des principes sur la liberté d’expression de l’Union Africaine, il est écrit, en son article Premier : «La liberté d’expression et d’information, y compris le droit de chercher, de recevoir et de communiquer des informations et idées de toute sorte, oralement, par écrit ou par impression, sous forme artistique ou sous toute autre forme de communication, y compris à travers les frontières, est un droit fondamental et inaliénable […].» Un pays (le Sénégal) dont les autorités foulent au pied tous ces principes auxquels il est pourtant partie prenante peut-il trouver à redire sur son rang de 73e place sur 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse établi en 2022 par l’ONG Reporters sans frontières (RSF) 

You may also like

Web TV

Articles récentes

@2024 – tous droit réserver.