Me Doudou Ndoye : « les décisions du ministre de l’intérieur et du conseil constitutionnel sont illégales »

par pierre Dieme

Alors que Yewwi askan wi vient d’accepter d’aller aux Législatives du 31 juillet avec sa liste de suppléants, Me Doudou Ndoye, lui, plaide pour un report d’un an des élections. L’avocat estime que par une « loi d’urgence », le Président Macky Sall peut proroger le mandat des députés d’un an et, ainsi, permettre à tous de participer et, en même temps, réviser quelques dispositions du Code électoral et du Conseil constitutionnel. Ce serait, selon lui, « l’une des plus grandes œuvres que le prési- dent Macky Sall aura accomplie ». L’ancien ministre de la Justice, qui est convaincu que les décisions des « 7 Sages » sont « illé- gales », répond aux « Questions directes » de Alassane Samba Diop. A suivre sur iTv ce dimanche, à 14h.

Le Conseil Constitutionnel a invalidé la liste Bby et Yewwi, en tant que juriste, quelle analyse en faites- vous ?
J’ai entendu presque toutes les pensées, toutes les préoccupations des Sénégalais à ce sujet. J’ai étudié et réétudié la question sur tous les angles juridiques possibles. Et, de mon point de vue, à mon très humble avis, les décisions qui ont été prises, aussi bien par Monsieur le ministre de l’Intérieur que par Messieurs les membres du Conseil constitutionnels, sont illégales.

Pourquoi ?
Elles violent totalement le code électoral. Et au-delà du Code électoral, ce sont des décisions qui sont profondément contraires à notre Constitution. Cela fait deux éléments : la légalité anormale et l’anti- constitutionnalité. La légalité, c’est au regard des partis politiques et la constitutionnalité, à l’égard du peuple sénégalais. Pourquoi je dis illégales, comme vient de le dire aussi le Professeur Ibrahima Fall. Mais moi, je m’explique davantage. Le code électoral est là, je l’ai avec moi, il parle des candidatures aux élections de députés, autant qu’il parle des autres élections. Pour ce qui concerne des élections des députes, le Code électoral nous parle d’une liste.

Je prends l’article L. 149 qui dit que pour pouvoir valablement présenter une liste de candidats, un électeur ne peut parrainer qu’une liste de candidats, l’Article 153 sur le scrutin proportionnel, insiste sur une liste nationale, l’Article 154, en vue de pourvoir aux vacances qui pourraient se produire chaque liste de candidats à la proportionnelle, chaque liste de candidats à la majoritaire, le code électoral ne parle de liste au pluriel. Tout le code électoral, pour les élections de députés, évoque une liste, donc chaque parti, chaque coalition de partis présente une liste.

Et la particularité de cette lecture est que l’article L 154 dit que chaque liste de candidats au scrutin de représentation proportionnelle ou majoritaire comprend des candidats suppléants. Le suppléant vient monter dans les rangs pour faire remplacer quelqu’un, si c’est son tour en cas de vacance d’un siège de député. Donc, le suppléant est dans la liste, le titulaire est dans la liste. C’est comme un match de football, on fait une liste de 23 joueurs, les 11 sont sur le terrain, les 5 suivants sont sur le banc, les restes sont encore un peu plus loin sur le banc. Et l’entraîneur chaque fois qu’il y a un joueur blessé, où un joueur qui ne lui convient plus, il prend un suppléant il le fait monter. Donc, le suppléant est sur la liste, on ne peut pas dire qu’il y a une liste de suppléants et une liste de titulaires, ce n’est pas possible. Donc, il est impossible de prendre une liste de la diviser par deux et de dire : « Là, c’est la liste des titulaires, je n’en veux plus, là c’est la liste des suppléants qui la rem- place. » C’est absolument faux, c’est absolument illégal.

Donc, l’interprétation du Conseil constitutionnel n’est pas bonne ?
Elle est illégale. Si sur une liste, tel parti a gagné trois sièges de député, alors que la liste nationale com- prend 60, il reste 57 qui ne sont pas élus. Les trois qui sont élus, s’il y en a un qui meurt, qui le remplace ? Le quatrième ? Le cinquième ? jusqu’au 60e. Après, ce sont les suppléants qui arrivent et vous voulez que ces suppléants-là soient une liste qui remplace tout le monde. Mais, c’est impossible ! C’est illégal ! Je me demande com- ment on a pu faire ce jugement ? Le ministre de l’Intérieur peut faire des décisions relatives, mais pas le Conseil constitutionnel.

Mais au Conseil, il y a quand même des hommes d’expérience…
Mais écoutez, je ne veux pas juger des per- sonnes, cela me dérangerait beaucoup parce qu’au Sénégal, nous nous connaissons tous, nous sommes tous apparentés, soit par le sang, soit par l’amitié, soit par la profession. Je suis dérangé de parler des individus, mais je préfère voir le Conseil Constitutionnel comme une globalité, comme
une Institution. C’est l’institution qui a jugé et l’institution a mal jugé, l’institution a mal décidé, l’institution n’a pas appliqué le Code électoral comme il se doit. Elle nous a mis en place quelque chose d’anormal, impossible.

Aujourd’hui, quelle est la solution alors ?
Avant d’arriver à la solution, je veux parler de l’autre maladie. La maladie constitutionnelle. Le plus grave problème, c’est ça. Parce que, ce problème- là de la légalité du Code électoral, en fait, touche directement les partis politiques. Parce que, c’est eux qui ont déposé des lis- tes et qui espèrent avoir des sièges de député. Donc, on peut dire que les partis sont dérangés, mais la Constitution n’est pas les partis politiques.

La Constitution, c’est le peuple sénégalais souverain.
La Constitution dit, et c’est là où je demande votre attention, l’article 4 parlant d’abord du rôle des partis politiques et ensuite d’une faveur qu’on accorde à vous et à moi quand on veut être candidat indépendant, c’est une faveur. Mais le rôle des partis politiques n’est pas une faveur. La Constitution fait du rôle des partis politiques un grand devoir. Je vous lis l’article 4 : « Les partis poli- tiques et coalitions de partis politiques concourent à l’expression du suffrage dans les conditions fixées par la Constitution et par la Loi ». Ils œuvrent à la formation des citoyens. On met à la charge des partis poli- tiques le devoir de former les citoyens à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques. Mais ça, c’est une obligation permanente, ce n’est pas un seul jour, tant que le parti politique existe, c’est ça son rôle, qu’il le fasse ou qu’il ne le fasse pas, c’est son rôle, il doit le faire.

Mais on constate sur le terrain que les partis ne le font pas ?
Mais tant pis ! La Constitution dit : les partis politiques et coalitions de partis politiques. Et je me suis expliqué sur cette question de coalition dans un livre que j’ai écrit après la Constitution de 2001 de Abdoulaye Wade. C’est lui qui nous a fait voter ça au référendum. Et je l’avais dénoncé en disant bientôt, on va avoir des partis de région, des partis de village, des partis d’étudiants, des partis de chômeurs. Pourquoi ? En vue de participer à des coalitions où on peut prendre des choses. J’ai été présent à des coalitions…

Vous plaidez pour un report ?
Dans le passé, sous le gouvernement du président Abdou Diouf et celui de Abdoulaye Wade, à plusieurs reprises, les mandats de députés avaient été prorogés par une loi. On dis- ait que c’est la sécheresse, on disait que l’économie était fatiguée. On ne voulait pas faire trop de dépenses pour des élections. Je me demande encore si cela n’a pas été fait sous la présidence actuelle. Ils ont prorogé des élections de députés plusieurs fois.

Qu’est-ce qui empêche le président de la République de prendre une loi en procédure d’urgence, de la soumettre à l’Assemblée nationale ? Personne ne dira non. Les députés qui sont sortis qui ne vont pas rentrer seront fort heureux de rester encore un an aux conditions que vous connaissez. Les députés de l’opposition à qui on dit non vous ne serez pas candidats seront fort heureux à continuer de défendre le peuple. Une loi votée en procédure d’urgence, compte tenu, premièrement, de la situation économique d’aujourd’hui plus difficile que celle d’avant qui justifiait les prorogations.

Deuxièmement, la grave crise politique qui va s’installer dans le pays. Je dis bien de la crise poli- tique grave qui va s’ins- taller dans le pays qu’ils aillent ou non aux élections. Ce qui vient de se passer va créer au Sénégal une crise poli- tique grave et permanente. Au moment, où on a besoin de paix, de solidarité nationale et de concorde pour lutter contre tout ce que vous savez et qui est mal pour notre pays. Qui est-ce que ça coûterait au président de la République de prendre une loi d’urgence et de proroger d’un an le mandat des députés ? Après, tout le monde se tait et au cours de cette prorogation, il y a un mot ou trois mots du Code électoral qu’il faut changer, une ligne ou trois lignes et puis un peu de modification du mode de choix des membres du Conseil constitutionnel et leurs missions.

On pourra aller vers des élections libres et le Conseil constitutionnel ne pourra pas changer ça ou ne pourra pas s’y opposer. Parce qu’il ne gouverne pas le pays. C’est l’Assemblée nationale qui est la voix souveraine du peuple. Regardez ce qui se passe aux USA. La Cour suprê- me ne vient-elle pas de décider que le droit à l’avortement est fini ? On le laisse aux Etats locaux et la Louisiane a commencé par dire interdiction. Mais le président Joe Biden qui voit que cette décision de la Cour suprême heurte la sensibilité de tous les Américains, bien que ce soit une décision de la Cour suprême, a dit que je vais saisir le Congrès qui va voter une loi pour enlever ça. Parce que le Congrès est souverain.

C’est le Congrès qui est le peuple américain. La Cour suprême contrôle par rapport à ce qui se passe dans la Constitution des USA. C’est l’Assemblée nationale qui est le peuple sénégalais et qui est souveraine. Et donc, ses lois vont au-dessus de tout. Elle peut voter une loi et elle sera légale, elle sera constitutionnelle pour dire rester mes chers amis un an. Pendant cette année, on se voit, on discute et on arrange les choses.

Ce serait, pour moi, l’une des plus grandes œuvres aujourd’hui que le président Macky Sall aura accomplie s’il fait ça. Parce qu’il ramène cette grande paix dans notre pays. Ce n’est pas que des gens aillent aux élections. Des per- sonnes peuvent aller à des élections par calcul et c’est normal, c’est politique. Par calcul qui peut se terminer très mal ou qui peut se terminer bien. Dans tous les cas, ça se terminera très mal. Terminer très mal ou ter- miner à peu près assez bien. Alors que si ces solutions que j’ai préconisées sont adoptées, il n’y a rien de mal. Tout le monde est heureux et, ensemble, opposition et partis au gouvernement, quelques autorités juridiques (judiciaires et constitutionnelles) qui sont indépendantes et qui cherchent unique- ment à plaire au peuple et en ce moment, on peut reconstruire tout
doucement notre avenir.

Est-ce que c’est possible que des bonnes volontés fassent un travail de rapprochement, de paix ?
Je ne le vois pas. Parce que, par rapport à ce que je viens de dire, ce n’est pas une question de parti politique. C’est une question de volonté populaire. Derrière tel et tel leader politique, est- ce que vous savez tout ce qu’il y a derrière ? Nous ne sommes plus en 1960. J’ai vécu cette époque où il n’y avait pas de télévision. J’étais dans la politique alors j’a- vais 16 ans. Je jetais des pierres dans les rues de Dakar.

Donc, j’ai vécu la politique depuis 1960. J’ai tout vécu. Il faut donc que le président de la République exprime lui-même le respect qu’il a pour son peuple et qu’il rende au peuple sa souveraineté. Laissons au peuple un an et que les gens viennent tous être candidats et que le peuple choisisse librement les personnes qu’il a aimées voir.

Donc, la solution est entre les mains du Président…
Entre ses seules mains. Maintenant, toute autre solution est un pis-aller. Et, notez bien, vous direz : « Me Doudou Ndoye nous l’avait dit »

.Entretien réalisé par Alassane Samba DIOP

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