Le philosophe El Hadji Hamidou Kassé sort à nouveau du bois. Après la tribune intitulé «Au nom de la République et de la Démocratie» dont il a été co-signataire, l’ancien chargé de la communication du Président de la République, s’est confié à Sud Quotidien dans une interview exclusive où il avertit d’emblée que «ce sera très dangereux pour le Sénégal de tomber dans l’anarcho-démocratie».
Monsieur le ministre, l’opposition sous la bannière de Yewwi projette une manifestation aujourd’hui, sur l’étendue du territoire avec ou sans autorisation. Or, au moment où nous mettions sous presse, la plupart des demandes ont été interdites par l’autorité administrative. Avez-vous des craintes?
Des craintes d’affrontement, oui. Mais, je pense que les responsables de Yewwi seront visités par la voix de la retenue, de la mesure et de lucidité. Quel État responsable accepte d’être défié en permanence? Faisons, tout de même, confiance à la raison.
L’escalade verbale a atteint un niveau de plus en plus inquiétant entre les acteurs politiques en perspective des Législatives du 31 juillet. Qu’est-ce qu’il faut pour baisser la tension ?
Il faut respecter les règles du jeu. C’est la seule solution en cette veille d’élection. N’oublions pas que le Sénégal a traversé des périodes de tension à chaque veille d’élections. Nous avons à chaque fois franchi le cap même si les uns ou les autres ont maintenu fermes leurs positions. Nous savons tous que le système électoral Sénégal est transparent. Nous pouvons contester tel ou tel aspect et nous inscrire dans une perspective de dialogue post électoral pour envisager, le cas échéant, des consensus autour de tel ou tel aspect de notre loi électorale.
Des membres de la société civile mais aussi certains membres de votre parti appellent à des élections inclusives. A cet effet, d’aucuns parlent d’une décision politique pour sauver la situation ? Êtes-vous de cet avis ?
Les élections sont bien inclusives. La loi électorale impose deux dispositions contraignantes pour la participation aux élections : la parité et le parrainage. Toutes les listes qui ont respecté ces dispositions sont validées. C’est très clair. De deux choses l’une. Ou on accepte les règles du jeu et donc le cadre légal de validation des listes, ou on tord le cou aux institutions et mécanismes impersonnels de validation des listes, donc on recourt à la manœuvre politique et en ce moment on n’a plus besoin de cadre légal pour l’organisation des élections. Ce serait très dangereux pour ce pays de tomber dans l’anarcho-démocratie. Et tous ceux qui soutiennent qu’il faut faire primer, dans le cas d’espèce, une solution politique ou ils n’ont pas conscience du risque qu’ils font courir à notre pays ou ils le font dans le but manifeste d’installer la chienlit pour des objectifs inavoués.
Des leaders de l’opposition étaient en prison pour participation à une manifestation non autorisée. D’autres ont été simplement empêchés de sortir de chez eux. Finalement est ce que ce n’est pas l’Etat qui trouble l’ordre public ?
La puissance publique détient sans doute des informations que vous et moi n’avons pas, surtout dans un contexte où des acteurs du champ politique appellent ouvertement à la violence contre leurs adversaires. Un État, s’il est vraiment responsable, anticipe et prend les dispositions pour la sécurité des citoyens, qu’ils soient du pouvoir ou de l’opposition. Je suis profondément attaché à la liberté. Mais la liberté, c’est la «nécessité comprise», comme le dit un éminent penseur politique. En d’autres termes, le respect des règles convenues est un aspect de la liberté. Autrement, c’est un état de guerre généralisée. Ce sont ainsi les tenants du scénario du chaos qui sont des fauteurs de trouble. J’en appelle à la responsabilité de la partie de l’opposition qui pense la politique comme un système de violence. Après tout, on sait que ce n’est pas le chaos qui a eu raison du pouvoir socialiste et celui libéral. Je pense et je souhaite que la raison l’emportera sur l’impulsion négative.
Des insulteurs publics et autres supposés influenceurs ou féministes traitent le chef de l’Etat de tous les noms d’oiseaux. D’autres également chargent des leaders de l’opposition. Souvent ce sont leurs parents qui sont insultés dans les réseaux sociaux. Qu’est-ce qu’il faut pour arrêter tout ça ?
L’injure publique est devenue hélas un aspect d’une nouvelle culture politique qui repose sur la désignation d’un camp du mal et prône la violence pour dénouer les adversités politiques. Observez ce qui se passe dans le monde entier et vous verrez que ce sont là des manières de voir et de faire de l’extrême-droite. Aujourd’hui encore, les insurgés du Capitol sont sous le coup d’une inculpation du fait des appels à la violence d’un leader (Donald Trump, Ndlr). Que faire? Ce serait simple de n’entrevoir que la logique du camp contre camp. Il faut, à mon avis, que les acteurs politiques fassent le deuil du discours systématiquement guerrier, car la politique ce n’est pas la guerre. Ensuite, il faut que l’espace public soit animé par des débats programmatiques, des débats d’orientation, des débats socialement utiles et non par des bravades médiatiquement vendables. Nous mettons en œuvre depuis 2012 des politiques publiques dont les performances sont incontestables. Nous aimerions bien que le l’opposition nous affronte sur ce terrain et présente une alternative au peuple sénégalais.
Effectivement, nous n’avons plus de discours programmatiques dans les sorties de nos hommes politiques. Comment en est-on arrivé à ce stade de débat au ras de pâquerettes ?
Je viens de vous le dire. Nous assistons à l’émergence de discours crypto personnels qui n’ont que faire du débat politique. La démarche de certains groupes est de surfer sur la misère de ceux qui n’ont rien, d’exacerber les frustrations et les peurs, de réveiller les pulsions les plus violentes en chacun de nous et de pousser à des sentiments de détestation entre les uns et les autres. C’est la base même de la violence dans un contexte où la crise du référentiel marxiste qui, avec le référentiel libéral, structurait le débat politique, nous installe dans ce que le philosophe Alain Badiou appelle la «désorientation générale». Ça, c’est de façon générale. Dans notre pays, il serait souhaitable que le rapport entre le pouvoir et l’opposition soit animé par des débats contradictoires sur les orientations. Les droits démocratiques de manifester et de s’exprimer doivent s’exercer dans la limite des formes convenues de l’idéal républicain, c’est-à-dire le respect de la règle commune, la résolution des contradictions par la voie pacifique et la quête de consensus par la conversation. A l’intérieur d’un même pays, nous devons aborder nos divergences sous l’angle de contradiction au sein du peuple et reposer leur résolution sur les lois et règlements en vigueur, mais aussi sur la conversation.
Monsieur le ministre, nous ne savons toujours pas si le Chef de l’état sera candidat pour un 3ème mandat. Comment le Sénégal en est-il arrivé là après la tentative de Me Abdoulaye Wade ?
Écoutez, ce qui importe, encore une fois, c’est la règle fondamentale qui régit notre lien social communautaire. Je rappelle que tous les Sénégalais sont absolument libres d’être candidats à une élection pourvue de remplir toutes les conditions requises. C’est limpide. Le Président lui-même a dit qu’il respecte la Constitution du Sénégal et qu’au moment opportun, il se prononcera. Nous n’accepterons pas que l’épouvantail d’une question qui ne se pose pas encore soit le prétexte de déploiement d’un scénario du chaos qui expose notre pays au risque de déstabilisation.
Abdoulaye THIAM