La liberté de réunion est une liberté fondamentale garantie par l’article 8 de la Constitution. L’article 14 de la loi n°7802 du 29 janvier 1978 relative aux réunions dispose que l’autorité administrative peut interdire une manifestation publique que si deux conditions cumulatives sont réunies : 1) d’une part, Qu’il existe une menace réelle de troubles à l’ordre public ; 2) d’autre part, Que l’autorité ne dispose pas de forces de sécurité nécessaires pour protéger les personnes et les biens. Les 2 conditions sont à la fois nécessaires et cumulatives.
La loi est claire, nette et précise : le seul motif de trouble à l’ordre public est insuffisant pour justifier l’interdiction d’une réunion publique. Le motif lié à un risque de trouble à l’ordre public doit obligatoirement être couplé à un autre motif : l’indisponibilité ou l’insuffisance des forces de sécurité. En effet,depuis 2011, une abondante jurisprudence de la Cour suprême frappe de nullité tout arrêté du Préfet qui, interdit un rassemblement pacifique, invoquant le risque d’atteinte à la libre circulation des biens et des personnes, le risque de trouble à l’ordre public ou d’atteinte à la sécurité et à la tranquillité publique, sans justifier l’indisponibilité ou l’insuffisance des forces de sécurité pour y remédier.
1). Dans l’arrêt n°35 du 13 octobre 2011, Alioune TINE, Président de la Rencontre Africaine des Droits de l’Homme (RADDHO), C/ Etat du Sénégal, la Cour suprême a annulé l’arrêté n° 3284 du 23 décembre 2010 du Préfet du Département de Dakar interdisant le rassemblement pacifique prévu le 24 décembre 2010 à la Place de l’Obélisque, au motif « que le Préfet pour interdire le rassemblement pacifique s’est borné à invoquer la difficulté de l’encadrement sécuritaire ».
2). Dans l’arrêt n°37 du 09 juin 2016, Amnesty International Sénégal c/ Etat du Sénégal, la Cour suprême a annulé l’arrêté n° 196/P/D/DK du 29 avril 2015, du Préfet du Département de Dakar qui interdisait le rassemblement pacifique, d’Amnesty international Sénégal, qui devait se tenir devant les locaux de l’ambassade de la République du Congo pour réclamer la libération de jeunes militants arrêtés dans ce pays. Les termes de l’arrêt de la Chambre administrative de la Cour suprême sont clairs « Encourt l’annulation, l’arrêté du préfet qui, pour interdire un rassemblement pacifique, invoque uniquement le risque d’atteinte à la libre circulation des personnes et des biens et le risque d’atteinte à la sécurité, sans justifier l’indisponibilité ou l’insuffisance des forces de sécurité pour y remédier. »
3). Dans l’arrêt n°41 du 28 juin 2018, Eglise du Christianisme Céleste « Paroisse Jehovah Elyon » contre Etat du Sénégal, la Cour suprême a annulé l’arrêté n°27/P/D/DK du Préfet du Département de Dakar, qui ordonnait la fermeture de la « Paroisse Jéhovah Elyon », invoquant des risques permanents de troubles à l’ordre public, et d’affrontements entre communautés religieuses. La chambre administrative de la Cour suprême a balayé le motif de trouble à l’ordre public, précisant que la liberté de culte doit être protégée au besoin, avec le concours des forces de sécurité.
4). Dans l’arrêt n° 19 du 23 mai 2019, Assane Ba, Birane Barry et Djiby Ndiaye c/ Etat du Sénégal, la Cour suprême a annulé l’arrêté n°0305 P/D/C du 31 août 2018 du Préfet du Département de Dakar portant interdiction du sit-in devant les locaux du ministère de l’Intérieur, au motif que le Préfet, s’est borné à invoquer les menaces de trouble à l’ordre public, sans justifier une insuffisance des forces de sécurité nécessaires pour le maintien de l’ordre.
Avec ces 4 arrêts (une jurisprudence constante), la chambre administrative de la Cour suprême fait prévaloir la primauté des libertés publiques fondamentales garanties par les articles 8 et 10 de la Charte suprême. La Cour suprême exige que l’autorité administrative concilie les mesures nécessaires pour le maintien de l’ordre avec le respect de la liberté de réunion garantie par la Constitution. Avant de prendre une mesure grave portant atteinte au droit de rassemblement pacifique qui sont des libertés publiques garanties par la Constitution, « le préfet a l’obligation de spécifier le risque allégué, l’indisponibilité des forces de sécurité et l’absence de mesures alternatives à l’interdiction, la seule référence au trouble à l’ordre public étant imprécis et inadéquat ».
Cette jurisprudence de la cour suprême a été confortée récemment par la Cour de Justice de la CEDEAO. Saisie par la Ligue sénégalaise des droits de l’homme et par Amnesty International Sénégal, la Cour de Justice de la CEDEAO, dans son arrêt en date du 31 mars 2022 a ordonné l’abrogation de l’arrêté ministériel n°7580 du 20 juillet 2011, dit « arrêté Ousmane N’GOM », qui interdisait les « manifestations au centre-ville de Dakar, dans le périmètre compris entre l’avenue El Hadj Malick Sy et le Cap Manuel ». Non seulement les citoyens sénégalais ont le droit de manifester, mais mieux, aucun périmètre (aucun espace du territoire) ne leur est interdit pour l’exercice de cette liberté fondamentale (l’arrêté Ousmane NGOM est neutralisé).
Au Sénégal, depuis 2001, les réunions publiques sont soumises au régime de la déclaration préalable. La déclaration préalable permet à l’autorité administrative (le Préfet) de mettre en place un dispositif pour encadrer la manifestation et faire en sorte qu’elle se déroule dans les meilleures conditions. Avec le régime de la déclaration préalable, le Préfet il n’appartient pas au Préfet d’autoriser une manifestation. Pour une raison simple : le principe de l’autorisation est déjà acté par la Constitution. De fait, le Préfet est juste tenu informé par les organisateurs de l’exercice du droit à la liberté de réunion (date, objet, horaires et itinéraires).
Les modalités d’exercice de cette liberté fondamentale sont définies par la Constitution et par l’article 14 de la loi n°7802 du 29 janvier 1978 relative aux réunions. L’autorité administrative (le Préfet) est liée et ne peut agir que dans le cadre des dispositions prévues par la loi.
L’article 14 de la loi n°7802 du 29 janvier 1978 est extrêmement clair : le Préfet peut interdire une manifestation s’il existe une menace réelle de trouble à l’ordre public, et à condition qu’il ne dispose pas de forces de sécurité nécessaire pour s’y opposer.
Antoine DIOM le sait mieux que quiconque : le Préfet du Département de Dakar n’a aucune base légale pour empêcher la manifestation publique du 17 juin 2022.
Afin que nul n’en ignore, le dernier alinéa de l’article 14 de la loi n°7802 du 29 janvier 1978 dispose que « l’arrêté d’interdiction d’une réunion publique doit être motivé ».
La déclaration préalable de YEWWI ayant été enregistrée le 10 juin 2022, par les services du Préfet du Département de Dakar ; au plus tard, le mardi 14 juin, soit 72 heures avant la tenue de la manifestation du 17 juin 2022 (délai raisonnable), le Préfet doit notifier aux signataires de ladite déclaration soit les modalités d’encadrement de la manifestation ou soit motiver l’interdiction de la réunion pour insuffisance des forces de sécurité.
Il est évident que la thèse de l’insuffisance des forces de sécurité ne saurait prospérer, vu le déploiement massif et démesuré de forces de sécurité à chaque fois que des manifestations publiques sont interdites.
Le Préfet du Département de Dakar doit cesser ses manœuvres dilatoires qui consistent de manière récurrente, à attendre au dernier moment, le jour J (jour de la manifestation publique) pour publier son arrêté d’encadrement (le Préfet n’autorise pas, il encadre le rassemblement) ou d’interdiction. Car, Il s’agit d’un acte illégal, d’une extrême gravité qui viole de manière flagrante la loi qui vise , dans l’hypothèse d’une interdiction, à priver les organisateurs de la possibilité d’user des dispositions de l’article 85 de loi de 2017 sur la Cour suprême pour introduire une requête (référé liberté), afin de faire suspendre l’arrêté d’interdiction et d’enjoindre le Préfet de lever tout obstacle à la tenue de la manifestation déclarée.
Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr