Malgré les efforts consentis par l’Etat et ses partenaires, le problème de l’état civil et sa fiabilité se pose avec acuité au Sénégal
Malgré les efforts consentis par l’Etat et ses partenaires, le problème de l’état civil et sa fiabilité se pose avec acuité au Sénégal. Chaque année, des milliers d’enfants, et en particulier des élèves surtout candidats à différents examens et concours notamment l’Entrée en Sixième (6e) et le Certificat de fin d’études élémentaires (CFEE), le Brevet de fin d’études moyennes (BFEM) et même le Baccalauréat ratent leurs épreuves/tests, faute d’extrait/bulletin de naissance ou du fait de faux numéros. Entre non déclaration des enfants à la naissance, à cause de négligence ou ignorance de parents de l’importance de la pièce d’état civil qui est un droit et de l’éloignement (zone rurale) des centres d’enregistrement etc. et récurrence du faux, le mal est profond et le Sénégal continue de s’y embourber depuis l’indépendance. En plus du point de la situation à l’intérieur du pays (Matam, Saint-Louis et Sédhiou), des acteurs posent la problématique et le diagnostic.
«Nous avons effectivement des réalités qui sont les problèmes d’extrait. Ces réalités-là, nous les enregistrons ici parce qu’on a pas mal d’élèves que nous recevons à l’école et qui ne sont pas déclarés. Généralement, qu’est-ce qui se passe ? A l’arrivée, au moment de faire l’Entrée en 6e, ces élèves ont des problèmes pour passer leur examen. Généralement, l’autorité nous dit qu’il faut qu’ils se présentent. Donc ils se présentent comme ça. Mais, en réalité, tant que ces enfants n’ont pas de papier, il n’y a pas de légalité. Ils ne sont pas dans la légalité.» Ce témoignage de Cheikh Dieylani Diop, adjoint au directeur de l’école élémentaire de Yeumbeul 2, en pleine banlieue de Dakar, est une réalité partout au Sénégal où des milliers d’enfants, parmi lesquels des élèves, continuent de faire les frais de leur non déclaration à la naissance. S’ils ne bénéficient pas tout simplement de faux documents d’état civil quand leurs parents s’acquittent de ce devoir.
LA DECLARATION DE L’ENFANT A LA NAISSANCE : UN DROIT INALIENABLE
Pourtant, rappelle l’enseignant, insistant sur cette erreur de beaucoup de parents que se paye souvent cher, la déclaration de l’enfant «fait partie même des droits inaliénables de l’enfant. L’enfant doit être déclaré. Mais, malheureusement, ce qui est généralement à l’origine de ça, c’est qu’en fait, ils nous disent : «waaw bugoon naako def» (je voulais le faire), mais finalement je n’ai pas eu le temps»… Mais, en réalité, on a constaté que le problème c’est qu’en fait, ils ne sont pas instruits. Généralement, une bonne partie est née en campagne. Et des fois, ils te disent : «je n’ai pas les moyens». C’est parce qu’en fait ils ne sont pas aussi bien sensibilisés ou bien ils n’accordent pas d’importance à cela. Maintenant, c’est au moment où l’élève s’apprête à passer son Entrée en 6e qu’il se rende compte : «ah je devais avoir ce papier-là».
DES AUDIENCES FORAINES AU SECOURS DES CANDIDATS SANS EXTRAIT/BULLETIN DE NAISSANCE
Pour permettre aux candidats au CFEE et à l’Entrée en 6e, non déclarés à la naissance, de passer leurs examens, des audiences foraines sont organisées par le tribunal. «Et c’est par la tenue de cela qu’on parvient à régler cette situation. En principe, c’est le principal problème. Mais, il est arrivé des années où effectivement on a demandé de laisser ces élèves passer l’Entrée en 6e, parce que c’est un droit, sans extrait de naissance. En fait, l’erreur ne leur incombe pas. Un enfant qui a été inscrit depuis le CI, à l’école, qui a passé 6 ans dans son cycle, à l’arrivée, on lui dit : «vous ne pouvez pas passer l’examen», franchement c’est frustrant et ça peut briser l’enfant pour toute la vie. Heureusement, certains ont pu avoir leurs extraits entretemps grâce aux audiences foraines. Mais ceux qui n’ont pas pu avoir de papiers, effectivement, cette situation va les rattraper soit au moment du BFEM où du Baccalauréat.»
QUAND LE DROIT A L’EDUCATION PRIME SUR LE DROIT A LA RECONNAISSANCE, A LA DECLARATION
Néanmoins, l’école joue sa partition, en demandant un extrait ou bulletin de naissance au moment de l’inscription, même si ce n’est plus une obligation pour l’admission en classe. Et durant tout le cycle scolaire, la situation est rappelée aux parents, qui n’en font pas souvent une priorité. «Nous, en début d’année, on parlait de l’exigence du bulletin ou de l’extrait de naissance, pour l’inscription de l’enfant au CI. De telle sorte qu’on pourrait palier à cette situation-là. Mais, si on nous dit : «il faut prendre cet enfant parce qu’il a droit à l’éducation», alors qu’en réalité il n’avait pas été déclaré, on court derrière. Nous sommes des fois très mal à l’aise parce que quand on doit dire à l’enfant : «tu ne peux pas passer l’examen» ou bien «tu vas avoir des problèmes», c’est vraiment avec un pincement au cœur qu’on le dit. Mais on essaie, en tout cas, de s’y faire avec l’appui des audiences foraines», explique M. Diop.
«MEME S’ILS NE RATENT PAS LEURS EXAMENS ET CONCOURS, FAUTE DE D’ACTE DE NAISSANCE, LA TRAJECTOIRE SCOLAIRE S’EN TROUVE PERTURBEE»
Plus l’élève progresse dans ses études, plus la situation se complexifie, perturbant sa trajectoire scolaire, confie Mbaye Dièye, principal du Collège de Keur Massar 1. «Chaque année des milliers d’élèves, surtout candidats, ne ratent pas leurs examens et concours faute de posséder un acte de naissance. Cependant, la trajectoire scolaire s’en trouve perturbée». Et le Principal de relever, en effet, que «l’on a constaté, et cela depuis plusieurs années, que des élèves de l’enseignement élémentaire avaient des difficultés à se présenter au concours de l’Entrée en Sixième (6e) parce que n’étant pas déclarés à leur naissance.
Acculés à compléter le dossier de candidature de leurs rejetons, certains parents d’élèves, avec la complicité de démarcheurs, réussissaient à obtenir un extrait de naissance dont le numéro est fictif. Le problème n’est pas résolu pour autant. Une fois que l’élève se retrouve au collège, ce dernier, en classe de Troisième, devra présenter l’extrait d’un acte de naissance datant d’au moins quatre ans, sous peine de s’exclure de la candidature au BFEM. Afin de pallier les difficultés liées au manque de pièces d’état civil, les autorités scolaires et académiques ont autorisé l’inscription au concours de l’Entrée en Sixième, sous réserve de l’extrait de naissance. Les chefs d’établissement des collègues mettent la pression sur les parents d’élèves afin de les obliger à demander un jugement d’autorisation d’inscription de naissance, en demandant périodiquement aux élèves de renouveler leurs extraits de naissance. Cela permet de recenser tous les élèves non-inscrits aux registres d’état civil. Aujourd’hui, tout un programme de sensibilisation est mis en branle par les autorités et la société civil, visant à résorber le gap d’élèves non-inscrits à l’état civil», révèle M. Dièye.
TEMOIGNAGES DE VICTIMES… DE L’ÉTAT CIVIL
THIERNO NDIAYE, ÉLÈVE «Une fois en Terminale, l’Office du Baccalauréat a rejeté mon dossier pour motif que ça ne coïncide pas avec mon CFEE»
«J’ai raté mon Baccalauréat par la faute d’extrait de naissance. Mon père est décédé alors que ma mère étais enceinte de moi. Après ma naissance, elle ne m’a pas déclaré. J’ai passé le CFEE sans extrait. En classe de 4ème, mon frère a entamé les démarches pour me trouver un extrait, avant que je n’arrive en 3ème ; mais c’était la croix et la bannière parce qu’il n’arrivait plus à trouver le certificat de décès de mon défunt papa. J’ai eu mon jugement alors que je préparais mon BFEM. Le problème est qu’une fois en Terminale, l’Office du Baccalauréat a rejeté mon dossier pour motif que ça ne coïncide pas avec mon CFEE. J’ai tout fait pour régler le problème, en vain. J’ai attendu la session octobre pour redéposer ; mais, encore une fois, on a rejeté mon dossier. Cette année, je n’ai même pas étudié ; pour moi, ça n’a pas de sens d’aller à l’école si c’est pour ne pas faire l’examen au final. Actuellement, mon CFEE et mon BFEM ne sont plus valables. J’ai un extrait autre que celui avec lequel j’ai eu mon BFEM.»
HAWA MAMOUDOU DIALLO, ETUDIANTE «Je pars à la mairie pour chercher un extrait et là on me dit que le numéro appartient à un autre garçon…»
«Je n’ai pas été déclaré au pays, puisque suis née au Gabon. À mes 6 ans, au moment d’entrer à l’école, puisqu’on était de retour au pays, mon père m’a cherché un extrait de naissance avec le qu’elle j’ai fait tout mon cursus scolaire et universitaire. Comme mon père détenait la photocopie de mon extrait, à chaque fois j’avais besoin d’un extrait, il amenait ce dernier (au centre d’état civil) et on me produisait un nouveau. J’ai eu ma Licence avec cet extrait et je n’ai jamais eu de problème avec, jusqu’au moment de faire mon Master. Je pars à la mairie pour chercher un extrait et là on me dit que le numéro appartient à un autre garçon. Après ça, on m’a expliqué les procédures pour régler le problème. Mais, une fois au tribunal, le juge a annulé mon extrait parce que c’est un faut. Toutes mes années de sacrifice, de dur labeur pour réussir s’évaporent, en un claquement de doigts. Mon monde s’est écroulé. Je suis dépressive. Je crois en Dieu, je me remets à Lui ; mais c’est trop dur à supporter. Au moment où je vous parle, je suis entrain de voir comment régler la situation. Mais, je sens que c’est impossible. Je demande de l’aide de (toute personne) qui pourra m’aider à récupérer mon identité, mes diplômes».
Seynabou BA