Quand la vie commune n’est plus possible, il ne reste aux époux qu’à se séparer. Mais de la parole à l’acte, le chemin peut être très long, surtout quand les deux conjoints n’ont pas une même vision des choses. A cela viennent aussi s’ajouter souvent des considérations coutumières et religieuses, qui indexent toujours la responsabilité de la femme dans l’échec de cette aventure à deux. Cet article a été réalisé avec le soutien d’Africa women’s journalism project (Awjp) et de la Fondation Ford en Afrique de l’Ouest, en partenariat avec l’International center for journalists (Icfj).
Huit ans après, Maty se demande encore ce qui n’a pas marché. Comment son mariage de conte de fée a pu basculer, aussi vite, vers une vie de violence et de souffrance. Après avoir vécu aux Etats-Unis, c’est avec fierté que Maty est revenue dans le pays de ses parents. Son rêve de travailler au développement de l’Afrique venait de se réaliser avec le contrat décroché dans une Ong. «Une copine à moi m’a présenté un homme. J’avais toujours eu envie de me marier et de fonder une famille. Et très vite, c’est devenu sérieux et on s’est mariés. Ma mère n’était pas trop d’accord, elle pensait que c’était précipité», dit-elle.
Le mariage est célébré, mais il n’aura fallu que quelques mois pour que Maty découvre le côté sombre de l’homme avec lequel elle avait choisi de faire sa vie. «Juste après le mariage, on était chez sa sœur à Keur Massar et il y a eu un incident avec sa fille. Il a réagi de façon disproportionnée. Je n’ai rien compris, mais ma belle-sœur m’a pris à part pour me mettre en garde. Elle m’a raconté que mon mari battait violement la mère de sa fille», souffle la dame encore désabusée. Des pensées plein la tête, Maty décide d’attaquer le problème de front. Elle évoque le sujet avec son mari, en insistant bien sur le fait que jamais elle ne serait «une femme battue». Mais cette initiative est perçue comme «une bravade» par son mari qui ne cherchera plus, dès lors, qu’à la «mater».
Commence alors un long cycle de violence très extrême. Battue, cognée, rien ne sera épargné à Maty. Loin de ses parents, elle cherche refuge auprès de sa tante. Mais surprise, cette dernière la ramène tout simplement dans son ménage en l’incitant à être endurante. C’est après avoir été battue toute une nuit et séquestrée par son mari, que Maty finit par s’échapper avec le soutien d’une sage-femme du quartier. Mais, son calvaire est loin d’être fini. En effet, quand elle décide d’aller voir l’oncle qui l’avait donnée en mariage pour obtenir le divorce, ce dernier s’y opposa catégoriquement. Maty découvre même que la fille de cet oncle vit également les mêmes tortures depuis dix ans. Et que son père a toujours refusé qu’elle divorce, jusqu’au jour où le mari violent a battu la fille et que son père a appelé au secours.
L’histoire de Maty est loin d’être anecdotique. Comme elle, des milliers de femmes subissent des sévices et violences dans leur couple. Mais quand elles décident de mettre un terme à cette vie commune, les époux arrivent encore à obtenir le soutien de la société. Trop souvent en effet, les familles sont les premières alliées de ces hommes. Père, mère ou oncle, refusent toute idée de divorce en agitant ce fameux principe du «mougne», autrement dit l’endurance, qui est une vertu attendue de l’épouse. Parler de ce qui lui est arrivé est toujours aussi difficile pour Maty. «Si la société vous met au ban parce qu’elle vous violente, mais en plus elle vous interdit de vous plaindre de ces violences, elle vous sur-victimise», estime la psychologue clinicienne, Khaira Thiam. Selon Mme Thiam, les séquelles peuvent être dramatiques. «Il y a tout le panel des séquelles psychologiques qui vont du psycho-trauma qui va, lui, ouvrir la voie à toutes les formes de décompensation psychiques, des troubles anxio-depressifs jusqu’à l’éclosion de troubles dépressifs de type schizophrénique que l’on ne sait pas encore traiter.»
Sentiment d’échec
«Naitre femme est déjà une mise en échec de son existence parce qu’on est déconsidérée, nos désirs, envies et projets n’existent pas et sont soumis à l’existence de l’autre, le masculin», relève Khaira Thiam. Ce sentiment, Mariama et Fatou le connaissent bien. Quand Mariama a voulu divorcer de son cousin, c’est toute sa famille qui s’est dressée contre ce souhait. «Ça m’a pris deux ans pour obtenir le divorce. Mes parents me disaient que ça allait dissoudre la famille et que je devais penser à mes enfants. Mais j’avais subi trop de maltraitances, je ne pouvais plus continuer.
Aujourd’hui encore, certains membres de ma famille m’en veulent», raconte-t-elle. Le divorce contentieux nécessite une saisine du Tribunal. Un acte encore très mal perçu par la société et la famille sénégalaise. Intenter cette procédure a donc demandé beaucoup de volonté à Mariama. «On me disait que si j’amenais mon mari au Tribunal, c’est une histoire qu’on raconterait à mes enfants et ce serait un déshonneur pour eux», se souvient-elle. Très sensible à ces arguments, Mariama a tout de même fini par se résoudre à déposer une demande au Tribunal. 16 ans durant, Fatou a vécu un mariage à distance, son conjoint étant un émigré. Mais quand elle découvre qu’en plus du défaut d’entretien, son mari a une autre épouse et des enfants à son insu, elle décide de divorcer. Mais c’est sans compter avec les convictions de sa mère, conservatrice, qui refuse que sa fille sorte de ce mariage, rejoignant de ce fait l’époux. Ce dernier également, refuse absolument d’accorder le divorce, de prononcer ces mots qui, selon la religion musulmane, libèrent la femme des liens du mariage : «Je te répudie.» Pourtant, cette religion permet bel et bien à une femme de demander le divorce à son conjoint. «Si les motifs du divorce sont avérés et que le mari refuse de libérer sa femme par chantage, le juge peut prononcer le divorce qui est alors tout à fait valable aux yeux de l’islam», explique l’imam Matar Ndiaye. Comme dans tous les grands moments de sa vie, la femme qui souhaite divorcer, subit également le regard et le jugement de la société qui considère que l’échec de toute union est avant tout celui de la femme.
Par Mame Woury THIOUBOU