Presque deux mois après la mise en circulation du Train express régional (ter), les chauffeurs de taxis et de clandos se disent rudement concurrencés. Les gares de Dakar et de Rufisque gagnent en affluence, là où les conducteurs établis à Place de l’indépendance et à Sandaga, perdent de la clientèle. Après les travailleurs qui ont décidé de renoncer à leur véhicule et de prendre le train pour aller au travail, Le Quotidien publie aujourd’hui la deuxième série de reportages sur les «impactés du Ter».
C’est par vagues que les usagers du Ter sortent de la gare de Dakar. Ils sont suffisamment nombreux pour obliger les automobilistes à ralentir. Par dizaines, ils dépassent Demba et Dupont pour vaquer à leurs occupations. Maty Ndiaye descend à peine du train. Classeur entre les mains et petit sac sous le bras, elle attend un taxi pour «une course rapide pour le Palais de justice». «Je prenais les taxis-boko matin et soir. J’avoue que je trouve plus de confort et de repos avec le train qu’avec les clandos. Ce ne sont pas que des transporteurs de métier d’ailleurs. On voyait même des particuliers, des salariés au niveau des ronds-points qui en profitaient pour faire recette avant d’aller au boulot», précise la résidente de Rufisque. En effet, quelques mois auparavant, à la Place de l’indépendance ou à Sandaga, c’était essentiellement à bord de taxis collectifs communément appelés «taxis-boko» que les premiers travailleurs du matin, surtout ceux qui habitent la banlieue, ralliaient le centre-ville. L’endroit n’est pas déserté, mais l’affluence est moindre.
Posté à quelques mètres du Crédit agricole, Mamadou Dieng se frotte les mains, plus pour les réchauffer que parce que les affaires sont sur de bons rails. «Je suis là depuis 5h 30. Il est presque 9h et je peine toujours à avoir 4 clients pour Teungueth. Je suis parfois obligé de rajouter une autre destination comme Keur Massar ou de partir avec moins de passagers…» Mamadou n’a pas fini de dresser le tableau peu reluisant de sa journée, qu’un autre chauffeur s’approche de lui pour négocier un client. «Tu peux me donner un client de Keur Massar pour que je puisse partir ?». La requête formulée d’un air taquin, sera rejetée avec beaucoup de sympathie et les deux, en riant, iront chercher meilleure fortune de l’autre côté de la rue. Ils sont nombreux, les conducteurs et rabatteurs, à sillonner cette zone à la recherche de clients à destination essentiellement de la banlieue dakaroise. Les voitures, elles, sont garées quelques rues plus loin. C’est comme ça que cela marche ici. On crie les destinations, on repère le client et on le conduit au véhicule.
“Pa coxeur’’ (C’est ainsi qu’il se présente) est rabatteur depuis bientôt une douzaine d’années. Il est chargé de ramener des clients aux chauffeurs, moyennant commission ou “mandat”. Chaque passant est pour lui un potentiel passager, à qui il faut rappeler qu’il est encore possible de rallier Keur Massar, Zac Mbao, Petit Mbao ou Rufisque en voiture. Ce quadragénaire explique la rareté de la clientèle par la mise en circulation du train : «Depuis ce matin, on n’a rempli qu’une seule voiture. Si nous avions par exemple 3 clients, dites-vous que le Ter a pris les 2. Il suffit de regarder autour de vous. Avant, cette place grouillait de clients. Les chauffeurs gagnent moins et nous aussi.» Il se veut toutefois optimiste. «Le Sénégalais aime la nouveauté. La donne pourrait donc changer avec le temps», conclut-il.
Les zones éloignées des gares font de la résistance.
Pape Mbengue, un autre rabatteur, préfère relativiser. «C’est surtout une question de choix. Je comprends les clients et chacun n’a que ce qui lui est prédestiné. Pour la zone que je maîtrise le mieux, il y a certes une baisse de fréquentation, mais elle est mineure. Avec ceux qui habitent vers Bayakh, la Sedima, le rond-point Hlm de Rufisque ou la sortie 10 du péage, il n’y a pas grand changement», explique-t-il. La proximité des usagers avec les gares du Ter y est donc pour beaucoup. Fatimata Dia habite Petit Mbao et travaille au Port de Dakar. Elle voit le train comme «une option supplémentaire» : «Ce matin, j’ai essayé de prendre un taxi-boko. Il a mis du temps à se remplir et je me suis rabattue sur le Ter, même si la gare de Keur Mbaye Fall est un peu loin. J’alterne les deux selon les circonstances. Là, je préfère rentrer en voiture.» Le constat est sensiblement le même à Sandaga. Les clients ne se bousculent pas. «Dakar-Teungueth est presque mort. On parvient toujours à avoir quelque chose mais c’est beaucoup plus compliqué», lâche d’emblée Aly Diop. Il dit toutefois comprendre la situation. «Travailler toute la journée et affronter ensuite les embouteillages jusqu’à Guédiawaye, Mbao ou Rufisque, n’est évident pour personne. Beaucoup trouvent leur compte avec le Ter et moi, en tant que taximan, je me concentre plus sur les courses à l’intérieur de la ville ou loin des gares du Ter», explique-t-il ainsi son réajustement.
Près de deux mois après la mise en circulation du Ter, les taximen et autres particuliers qui assuraient la liaison Dakar-Rufisque, notent une baisse d’affluence et de recettes. Les usagers, eux, sont plutôt ravis de disposer de plusieurs options pour leurs déplacements.
Par Abdou Rahim KA