Les femmes « Gp3 vivent le supplice

par admin

«GP», diminutif de «Gratuité partielle», est un métier jadis pratiqué par les épouses des agents d’Air France ou d’Air Afrique. Ces dernières profitaient de la réduction qui leur était faite sur les prix des billets d’avion pour transporter des colis moyennant de l’argent. Ce qui constitue un véritable business! Depuis, ce métier compte dans ses rangs de nombreux adeptes composés essentiellement de femmes. Ces dernières sont aujourd’hui freinées par la pandémie du nouveau coronavirus. Depuis la fermeture des frontières, les femmes «GP» vivent amèrement la suspension des navettes entre le Sénégal et le reste du monde.

Avec leurs franchises bagages, les GP essaient de réaliser un retour sur investissement. Ils font payer au kilo les colis que remettent des particuliers. Un business florissant exercé surtout par des femmes qui font la navette entre le Sénégal et le reste du monde. Mais il a fallu que le nouveau coronavirus fasse son apparition pour que toute l’activité s’écroule comme un château de cartes. La pandémie du Covid-19 est venue bouleverser ce secteur très fructueux. Avec la multiplication des cas importés au Sénégal, les autorités ont fermé, en mars dernier, les frontières aériennes. Une mesure qui a entraîné de facto la cessation de l’activité des «GP». Ces dernières, considérées comme des postières de l’informel, cachent mal leur désolation à cause de l’énorme manque à gagner qu’elles ont subi. Bloquées à Dakar ou dans un pays étranger, elles ne savent plus à quel saint se vouer. C’est le cas de M. K résidant à Yoff et qui faisait la navette entre Dakar, Paris, Montpellier et Genève.

Estimant que les femmes «GP» contribuent beaucoup dans l’économie sénégalaise, elle indique qu’à chacun de ses voyages, la «Gp» met 130 000 Fcfa dans les caisses de l’Etat. Si les pionnières ont profité de la position de leurs maris ou de leurs proches dans certaines compagnies aériennes (comme Air France ou Air Afrique) pour se lancer dans l’activité avec la gratuité des billets d’avion, la donne a changé aujourd’hui. De nos jours, souligne notre interlocutrice, les Gp achètent les billets comme tout passager normal. «C’estjuste par rapport aux kilos transportés que nous parvenons à faire la différence. Dès qu’on entre dans une agence de voyage, on demande la carte de fidélité. Au fur et à mesure que nous voyageons, nous parvenons à avoir la carte Gold. Et avec cette carte, les agences nous offrent 20 à 23 kg supplémentaires en bagages. C’est ce surplus que nous monnayons avec nos clients pour avoir un peu d’argent», explique t-elle.

Agée d’une cinquantaine d’années, M. K, qui exerce ce métier depuis plusieurs années, juge considérable l’impact du Covid19 dans le secteur et dans les sous-secteurs tels que les services d’emballages et de livraison qui dépendaient essentiellement des Gp. «Nous ne pouvons pas bouger et nous sommes des femmes qui contribuaient énormément dans nos familles. Nous avons des enfants qui étudient à l’étranger et c’est nous qui payons leurs scolarités. Certaines d’entre nous sont veuves ou divorcées. C’est avec ce business qu’elles subviennent aux besoins de leurs familles», informe-t-elle avant d’ajouter : «Les dégâts collatéraux de cette maladie affectent aussi de nombreuses femmes sénégalaises vivant à l’étranger et qui dépendaient des GP. Nous convoyions les marchandises de nombreuses commerçantes en France évoluant dans la vente de produits halieutiques, de prêts-à-porter, entre autres».

Poursuivant, M. K affirme qu’elle est actuellement bloquée à Dakar alors qu’elle avait déjà un plan de retour. «Je suis arrivée à Dakar et j’ai eu le temps de prendre un billet et malheureusement, la mesure est tombée. Les compagnies ne remboursent pas de liquidités. Il a fallu que j’appelle mes clients pour leur redonner leurs colis, car je ne pouvais pas les garder chez moi. C’est une perte énorme. Il faudrait que nos autorités sachent que nous contribuons énormément à cette économie. Nous voyageons au minimum 4 fois dans le mois. Chaque semaine, nous dépensons au minimum 400 000 FCFA pour les billets, quand on fait le calcul c’est 1,6 million Fcfa le mois pour l’achat de billets d’avion dont 500 000 FCFA de taxes tirées globalement et qui vont entrer dans les caisses de l’Etat. Si on calcule le nombre de GP, cela fait beaucoup d’argent», rumine-t-elle. Avec son travail, M. K parvenait à régler tous ses problèmes. «Mais tel un couperet, le coronavirus nous a stoppés dans notre élan. Et c’est trop difficile. Nous sommes coincés et nous espérons que les frontières vont se rouvrir rapidement afin que nous puissions continuer notre travail. Certains d’entre nous ont des problèmes pour payer le loyer ou la scolarité de leurs enfants», indique-t-elle.

«POUR QUELQU’UN QUI VOYAGEAIT 4 FOIS DANS LE MOIS, S’IL RESTE 2 MOIS DANS LE PAYS, C’EST LA CATASTROPHE»

Aby Bâ qui fait la navette entre le Sénégal et la France affiche son désarroi. «Personne n’a vu venir cette maladie», se lamente la dame actuellement bloquée à Paris. «J’ai subi des pertes énormes à cause du coronavirus. Si quelqu’un qui faisait des voyages Dakar-Paris, 4 fois dans le mois, reste 2 mois sans travailler, il est évident que cela va être très dur financièrement. J’ai subi une énorme perte, car j’avais déjà pris les colis des clients que je devais convoyer vers le Sénégal. D’ailleurs, les bagages sont toujours à la maison», soupire-telle avant de demander aux autorités de leur venir en aide, car financièrement cela ne va plus. «La plupart d’entre nous n’ont pas d’activités parallèles. Et si on reste sans travailler, c’est la catastrophe», dit-elle. Agée d’une trentaine d’années et dans le métier depuis 5 ans, Fa Diallo fait la navette entre la Chine et le Sénégal. Elle s’apprêtait à aller en Chine au moment de la fermeture des frontières. «Depuis plusieurs mois, je n’ai pas voyagé, car comme vous le savez, la maladie est apparue en Chine en décembre.

Avec le Covid-19, nous n’avons plus la possibilité d’aller ou de venir. Nous sommes bloquées. Le plus désolant, c’est que j’avais acheté trois billets départ Dakar-Chine et Chine-Paris. Je devais partir le 19 mars et j’avais même déjà pris les bagages des clients. Finalement, j’ai appelé les clients pour leur rendre leurs bagages parce qu’on ne sait pas quand l’activité va reprendre», affirme-t-elle. Une incertitude parmi tant d’autres qui laisse de nombreux Sénégalais dans la perplexité. Pour l’heure, cette situation inédite dans le monde affecte profondément le secteur des GP. L’arrêt brutal de leurs activités les a pratiquement plongées dans la précarité. Il en est de même pour leurs différents collaborateurs, notamment les livreurs, les commerçants de produits halieutiques, les taximen, les tailleurs et autres épiciers qui subissent de plein fouet les effets de cette crise sanitaire.

ALIOUNE GAYE, PRESIDENT DE L’ASSOCIATION DES DISTRIBUTEURS DE COLIS EXPRESS «DES CENTAINES DE MILLIONS SONT PERDUES»

Le Président de l’association des distributeurs de colis express, Alioune Gaye, revient ici sur les problèmes spécifiques que rencontrent les ‘’Gp’’ dans ce contexte de pandémie du nouveau coronavirus. Selon lui, le Covid-19 a été un choc et qu’il a fait perdre aux ‘’Gp’’ des centaines de millions. « Le coronavirus a été un choc pour nous. Nous ne nous y attendions pas du tout. Nous n’étions pas préparés à une fermeture des frontières. On pensait pouvoir continuer à voyager. Il y a parmi nous des gens bloqués un peu partout dans le monde : au Maroc, aux Etats-Unis. Des vols de rapatriement sont organisés, mais les billets coûtent excessivement cher. Du coup, certains ‘’Gp’’ sont toujours à l’étranger. (…)

Aujourd’hui, la situation est très compliquée pour de nombreux ‘’Gp’’. Surtout qu’ils sont nombreux à ne pas avoir d’activités parallèles. En plus, vous savez qu’au Sénégal, les gens n’ont pas la culture de l’épargne. Ils vivent au jour le jour. (…) Le plus désolant dans la crise que nous vivons, c’est que souvent, les ‘’Gp’’ achètent deux voire trois billets à l’avance pour se prémunir de la cherté des billets. Aujourd’hui, les compagnies ont refusé systématiquement de rembourser l’argent des billets. Certains ont plus d’un million chez certaines compagnies. Donc, ce sont des centaines de millions perdus. A cela s’ajoute que les ‘’Gp’ reviennent des fois de voyage sans gagner le moindre centime. En effet, tout dépend du coût du billet. Moyennement, le GP peut gagner jusqu’à 300 000 francs par mois. Mais cela dépend des périodes. Et ce n’est pas fixe aussi. (…) Si les compagnies nous avaient remboursé nos billets, ce serait moins grave. Toutefois, il faut que les autorités nous viennent en aide. Elles doivent savoir qu’il y a une frange de la population qui souffre de cette situation et qui a été oubliée.

Le coronavirus a été une surprise, on ne s’y attendait pas du tout et même l’ampleur qu’il a eue aujourd’hui, on ne s’y attendait pas. On pensait que cela allait durer 2 à 3 mois. Avec ce que nous entendons en Europe, les frontières ne vont pas rouvrir avant septembre. Et il y a des chefs de famille qui ne dépendent que de ce métier pour vivre. (…) Notre business consiste à facturer les clients en fonction de la nature du colis. Par exemple, les enveloppes, c’est 10 euros (6 500 Fcfa), le prix au poids pour les ‘’Gp’’ qui vont à Paris est de 7 euros et pour ceux qui vont ailleurs c’est entre 8 et 10 euros. Le kg est à 6 500 FCFA. En tout, nous sommes plus de 300 Gp qui font au moins 2 voyages par mois. Il y a 60 Gp qui font chaque semaine des aller-retour. 85 Gp font 3 voyages dans le mois. C’est très important en termes d’apport économique parce qu’il y a des taxes sur les billets. Les femmes sont plus nombreuses à faire ce métier. Pratiquement, 90% des ‘’Gp’’ sont des femmes.»

OUMAR KHASSIMOU DIA, DIRECTEUR DU TRANSPORT AERIEN

«Les ‘’Gp’ sont dans l’informel» Suite aux problèmes que les distributeurs de colis express ont soulignés, le Directeur des transports aériens que nous avons interpellé a estimé qu’elles sont dans l’informel et ne dépendent pas de la Direction des transports aériens. «Nous n’avons pas de statistiques car elles sont dans l’informel. Elles ne sont inscrites dans aucun registre. Nous ne les voyons dans aucun fichier. Ce que nous reconnaissons, ce sont les sociétés de fret et il y en a à l’aéroport. Elles existent et elles paient des impôts. Personnellement, je n’ai pas reçu de requête officielle ou de demande de soutien quelconque encore moins du ministère, venant de ces femmes en rapport avec l’impact du Covid-19 sur leur travail. Les femmes ‘’Gp’’ ne dépendent pas de la Direction des transports aériens. Ensuite il n’y a pas de requête adressée au ministère», précise en définitive Monsieur Oumar Khassimou Dia.

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