Comme à son habitude, le chef de l’État se fait toujours désirer pour la nomination de son Premier ministre, alors que le poste est restauré depuis le 10 décembre 2020. Une tergiversation diversement appréciée
Comme à son habitude, le président de la République, Macky Sall, se fait toujours désirer pour la nomination de son Premier ministre, alors que le poste est restauré depuis le 10 décembre 2020. Si les uns parlent de la violation de la norme constitutionnelle, d’autres pensent que le Président n’est pas tenu par les délais.
C’est l’impression d’un président de la République qui se perd dans ses propres schémas. Le 24 novembre 2021, il fait adopter le projet de loi constitutionnel relatif au rétablissement du poste de Premier ministre. Comme s’il était très pressé, le Président Sall choisit la procédure d’urgence pour activer sa majorité mécanique à l’Assemblée nationale, dans les plus brefs délais. Laquelle ne va pas tarder à se mettre en branle. Le 10 décembre, environ 15 jours seulement plus tard, le vœu du chef de l’Etat devient réalité. Le poste de Premier ministre est à nouveau restauré dans l’architecture institutionnelle du Sénégal. Mais, alors que tout le pays s’en félicite et attend qu’il soit pourvu, le Président en décide autrement. Il donne la nouvelle à travers RFI et France 24. ‘’Le Premier ministre sera nommé après les locales…’’, disait-il sans ambages.
C’était déjà quelque chose. Les météos politiques et autres devinettes sur tel ou tel autre choix se sont un peu estompées. Dès cette sortie du Président Sall, beaucoup de Sénégalais avaient un peu oublié le sujet, prenant leur mal en patience. Le 23 janvier dernier, les Sénégalais ont choisi leurs élus locaux. Depuis, l’agenda politique ne bruit plus que du futur gouvernement, en sus de l’analyse des résultats des élections territoriales. Près d’un mois plus tard, le Président Macky Sall n’a toujours pas dit au peuple qui il a choisi pour diriger son gouvernement. Pourtant, dans son entretien avec RFI et France 24, il avait répondu à la question: ‘’Certainement, dans la tête, mais vous savez tant que le décret n’est pas signé, rien n’est fait.’’
Ouverture ou resserrement
Mais de décembre à février, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Outre les élections territoriales qui ont balayé pas mal de certitudes, il y a aussi la Coupe d’Afrique des nations avec ses nombreuses implications dans le landerneau politico-social. Depuis, beaucoup se demandent si, pour tenter de préserver cet élan d’unité, le président Sall ne va pas choisir de mettre en place un gouvernement d’ouverture annoncé depuis le dialogue national. En tous les cas, dans les différents états-majors, ce sujet relève plutôt du tabou. Pas pour le député Monteil qui donne son point de vue. ‘’Il ne faut jamais dire jamais, mais, je ne pense pas qu’on ira dans ce sens. Malgré cette liesse autour de la victoire des lions, je ne suis pas sûr qu’on puisse dépasser les lignes de fracture entre l’opposition et le pouvoir pour former un gouvernement d’union nationale. Les lignes sont encore trop parallèles, après les élections territoriales. Je ne vois rien qui puisse faire que ces lignes bougent.’’
A l’instar de monsieur Monteil, le maire réélu de la Médina, Bamba Fall, ne s’est pas fait prier pour témoigner au président sa disponibilité. Pour lui, toute l’opposition devrait accepter de travailler avec le président de la République. Dans une sortie largement relayée par la presse, il dit : ‘’A partir de maintenant, je vais travailler pour le président et je ferai mon possible pour que tous ceux que je pourrais convaincre travaillent pour le président Sall’’. Et de justifier sa nouvelle posture : ‘’Je vais rejoindre le Président et travailler à ses côtés, parce que c’est le moment… Je pense qu’il y a un moment pour la politique et un moment pour travailler. On ne peut pas travailler sans que le Président nous accompagne et on a vu que le sacre des lions n’a été possible que parce que tout le peuple sénégalais a fait bloc autour des champions d’Afrique.’’
Le cheval de Troie
Ouverture ou pas, Théodore Monteil invite le président de la République à mettre l’accent sur les compétences et non plus sur la politique. Interpellé sur ses attentes, voici sa réponse : ‘’Le problème, c’est surtout les ministres que le Premier ministre. Depuis son accession au pouvoir, le président de la République a fait énormément de choses. Mais souvent, c’est dans la mise en exécution, que les gens ne sont pas contents. Avec des délais qui ne sont pas respectés, des dépassements budgétaires à n’en plus finir. Il y a vraiment des efforts à faire à ce niveau et cela passe par les hommes et les femmes qui composent le gouvernement. Il faudrait des technocrates compétents qui sont là pour travailler et non des gens pour faire la politique’’.
Pour ce qui est du poste de Premier ministre, chacun y va de son pronostic. Tandis que certains parlent d’un Premier ministre technocrate pour mener à bien ce qui doit être, selon eux, un mandat de transition, d’autres n’imaginent pas Macky Sall faire confiance à un non politique. ‘’Le poste de PM, confie Monteil, est éminemment politique. Il doit être un homme ouvert d’esprit, qui a des capacités managériales avérées. Je pense qu’il doit être un homme politique, parce qu’il doit avoir une certaine légitimité, un véritable leader pour coordonner tout ça.’’
Mais avant de penser à la transition prévue en 2024, le président devra certainement penser aux législatives qui se profilent à l’horizon, juste au mois de juillet et qui devront permettre de clarifier le débat politique. Qui pour conduire la barque de la majorité aux prochaines élections législatives ? Est-ce le futur Premier ministre ou une tierce personne que Macky va garder secrète ? Si Abdoulaye Wade était réputé signaler à gauche et tourner à droite, Macky Sall, lui, a pour habitude de ne donner aucun signe dans le choix de ses hommes. Depuis 2012, rarement ses choix se sont retrouvés sur la place publique avant l’heure qu’il ait lui-même choisi.
Jusque-là, le président Macky Sall a nommé pour le poste de Premier ministre deux technocrates, Abdoul Mbaye (avril 2012-septembre 2013à et Mahammed Boun Abdallah Dionne (juillet 2014-mai 2019). La troisième étant une politique en la personne d’Aminata Touré. Elle a le moins duré au poste, avec moins d’un an.
Mor Amar