L’opposition, en mode turbo !

par pierre Dieme

Dame justice, Assemblée nationale, dialogue politique, parrainage, référendum, caution, transhumance, entrisme : en maître sans partage du jeu politique, Macky Sall s’évertuait de manière mécanique à déstabiliser son opposition et les partis politiques

Longtemps réduite à sa plus simple expression par le Chef de l’Etat, par ailleurs patron de la majorité présidentielle, l’opposition sénégalaise dans sa nouvelle version est progressivement en train d’émerger de sa torpeur pour contester le pouvoir sans partage de Macky Sall sur la sphère politique depuis 2012. Paradoxe cependant, la résistance à la gouvernance politico-économique de Macky Sall n’est pas le fait des partis d’opposition classiques mais bien celle de jeunes loups aux dents longues qui sont d’ailleurs en passe de recomposer le champ politique.

Dakar, Thiès, Touba, Ziguinchor, Diourbel, Kaolack…Elles font florès, les grandes villes ou localités symboliques du Sénégal à être tombées dans l’escarcelle de l’opposition au cours des élections locales du dimanche 23 janvier 2022. Au grand dam du pouvoir et/ou de la majorité présidentielle qui faisait de la conquête de ces bastions électoraux des objectifs de choix. Une preuve si besoin en était encore de la montée en puissance de l’opposition sénégalaise depuis les événements de mars 2021.

En effet, mise sous l’éteignoir par le président Macky Sall depuis son accession à la magistrature suprême, l’opposition a longtemps peiné à sortir de l’étreinte du chef de la majorité présidentielle qui s’était fixé un point d’honneur à la « réduire à sa plus simple expression », selon les propres mots de celui-ci. Il faut dire que, pour y arriver, tous les moyens dont disposait le pouvoir en place étaient mis en branle pour annihiler la force de frappe des opposants.

Dame justice, Assemblée nationale, dialogue politique, parrainage, référendum, caution, transhumance, entrisme : en maître sans partage du jeu politique, Macky Sall s’évertuait de manière mécanique à déstabiliser son opposition et les partis politiques qui la représentaient. Conséquence : de 2012 (année de son accession au pouvoir) à début 2021 (soient deux années après qu’il a rempilé au pouvoir), le président de l’Apr et patron de la majorité a su réduire à sa simple expression toute son opposition, qu’elle soit externe ou même interne. Allez demander à Khalifa Sall, l’ancien maire incontestable de Dakar depuis 2009, finalement emprisonné, déchu de ses droits politiques et révoqué de son poste d’édile, comme aussi à tous ses pendants de l’opposition, genre Karim Wade, brimés d’une manière ou d’une autre, par le pouvoir en place et son chef Macky Sall.

SWEET BEAUTY : UN COMPLOT CONTRE…LE POUVOIR

Il aura fallu une affaire sulfureuse voire malheureuse, dans laquelle politique et mœurs se sont trouvées implacablement mêlées pour que la donne soit renversée de manière ferme. L’affaire Sweet beauty impliquant le député Ousmane Sonko, candidat arrivé troisième à la dernière présidentielle, le contexte extrêmement contraignant dû à la pandémie Covid-19 et ses privations, la crise politico-sociale profonde qui en a suivi et les évènements sanglants occasionnant plus d’une douzaine de morts dans tout le pays, allaient à contrario ragaillardir l’opposition. Brusquement sorti de sa torpeur, le camp anti-Macky trouvait un second souffle dynamique dans la résistance opposée au pouvoir en place pour extirper le député Ousmane Sonko, leader de Pastef-Les Patriotes, de l’éteignoir dans lequel envisageait de l’écraser le «Macky». Ou du moins, ceux qui seraient tapis dans les rouages de l’Etat et qui seraient à la source de cette affaire de viols répétitifs supposés, une affaire qualifiée de « complot politique » par les Patriotes eux-mêmes.

De fil en aiguille, la grande mobilisation contre le pouvoir en place était amorcée par l’opposition, ou du moins ce qu’il en restait après la défection et l’entrisme d’idrissa Seck de Rewmi arrivé pourtant second à la dernière présidentielle, la mise en coma artificiel du Pds (ancien parti au pouvoir) par Me Abdoulaye Wade lui-même pour qui le parti se résume à son fils, Karim Wade, pourtant « exilé » dans les Emirats par le pouvoir en place. Il faut dire que dans cette dynamique de redynamisation de l’opposition, les mouvements citoyens et pas mal d’organisations de la société civile pour des raisons propres ont joué leur partition de manière dynamique. Nio Lank, Mouvement pour la défense de la démocratie (M2D) : moult dynamiques s’activaient ou se renforçaient pour dire non au mode de gouvernance politique, économique et sociale du Sénégal, incarné par le pouvoir en place.

LOCALES 2021 : UNE NOUVELLE RECONFIGURATION DU CHAMP POLITIQUE

Les élections locales du 23 janvier, reportées à quatre reprises alors qu’elles étaient initialement programmées pour le 1er décembre 2019, étaient ainsi attendues comme un véritable test pour toute la classe politique. Autant pour le pouvoir en place qui voulait coûte que coûte redorer son blason, après les évènements de mars 2021, que pour le camp en face qui voulait confirmer dans les urnes ce regain d’opposition au «Macky». Le verdict des suffragants, lors ces élections municipales et départementales, a consacré la bérézina de la majorité présidentielle Bennoo Bokk Yaakaar dans les grandes villes du pays. Dakar, Thiès, Touba, Ziguinchor, Diourbel, Kaolack étaient perdus pour le pouvoir de Macky Sall qui faisait pourtant de ces localités des objectifs de choix.

A contrario, de jeunes loups aux dents longues qui s’étaient enfermés dans une opposition irréductible au pouvoir de Macky Sall, étaient primés par l’électorat. Barthélémy Dias à Dakar, Ousmane Sonko à Ziguinchor, Babacar Diop Diop à Thiès, moyennement Serigne Mboup à Kaolack donnaient un véritable uppercut au «Macky» qui, en plus, perdait ses principaux bastions dans la région de Dakar.

Guédiawaye avec Aliou Sall, Sangalkam avec Oumar Guèye entre autres localités tombaient dans le giron de l’opposition ; Rufisque étant en sursis. Le grand paradoxe est toutefois que ce regain d’opposition confirmé, par le biais des élections locales, est loin d’être le fait de l’opposition classique. Le Pds et ses partis affiliés en berne, Rewmi sous le giron du pouvoir, c’est désormais Yewwi Askan Wi et ses jeunes leaders en politique qui incarnent le refus face au pouvoir de Macky Sall. Question à mille balles : qu’en sera-t-il pour les prochaines élections législatives prévues en juin, si jamais Macky Sall décidait de les organiser à date échue ?

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