Tête bien faite, à l’expérience politique reconnue, Diouf Sarr est clivant et hautain pour certains. A 58 ans, commence une période des vaches maigres, qui plonge dans le flou l’avenir politique du maire sortant de Yoff
Après une ascension express depuis 2014, Abdoulaye Diouf Sarr a été sèchement freiné par la coalition Yewwi Askan Wi dans son ambition de briguer la mairie de Dakar. Tête bien faite, à l’expérience politique reconnue, Diouf Sarr est clivant et hautain pour certains. A 58 ans, commence une période des vaches maigres, qui plonge dans le flou l’avenir politique du maire sortant de Yoff.
Il vivait trop près du soleil et s’est longtemps cru intouchable. «A Yoff, même si je dors, je vais gagner», bombait le torse Abdoulaye Diouf Sarr. La grosse surprise de ces élections locales du 23 janvier est venue de cette commune et le candidat de la coalition Benno bokk yaakaar a trébuché face au jeune Seydina Issa Laye Samb de la coalition Yewwi askan wi. Diouf Sarr voit son avenir politique basculer dans les abysses après avoir entrevu l’Everest. C’est un retour brutal sur terre pour ce Lébou, qui a connu une ascension politique express depuis 2014.
Ministre du Tourisme et des transports aériens, ministre des de la Gouvernance locale, du développement et de l’aménagement du territoire, ministre de la Santé… Diouf Sarr a rampé jusqu’à s’imposer comme un taulier du régime de Macky Sall. Sans être un membre fondateur de l’Apr ! Mais la politique qui l’avait adoubé, l’a lâché dimanche dernier. Diouf Sarr est tombé du capitole vers la Roche Tarpéienne. Ses partisans massés dans les nombreux bureaux de vote, avaient senti le sol se dérober sous leurs pieds à l’annonce des premiers résultats.
Personne ou presque n’avait vu venir le séisme. Diouf Sarr était considéré comme une forteresse infranchissable, un mariage d’amour à l’infini le liant aux Yoffois depuis le soir du 29 juin 2014. Aujourd’hui, c’est l’heure des interrogations, des questionnements qui font mal à la tête. C’est la cruauté ou le charme de la politique qui fait et défait des destins. Pour le coordonnateur des cadres de l’Apr, c’est un nouveau jour qui se lève. Celui de la chute et de la remise en cause. A Yoff, la légende raconte qu’aucun des siens ne peut émerger. Nombreux sont les sportifs ou intellectuels au talent à l’état pur qui se sont cassés les dents.
A l’exception de Mamadou Diop, ex-maire de Dakar sous le régime socialiste, ils sont rares, les Yoffois à investir l’espace politique. Depuis 1432, année de création de cette commune, très attachée aux rituels coutumiers, tracer un chemin vers le succès rime avec le plus grand secret. Loin des regards indiscrets et des mauvaises langues. Abdoulaye Diouf Sarr n’a pas essayé de déroger à la règle légendaire. C’est dans une villa chic des Hlm Grand-Yoff que le ministre de la Santé a fourbi ses armes. Une trajectoire enveloppée de chance qu’il a su provoquer à l’épreuve de sa vie au cours atypique. Longtemps, Abdoulaye Diouf Sarr a cru que son destin en politique n’allait pas décoller. Poulain de Moustapha Niasse, il milite à l’Alliance des forces de progrès (Afp) pendant une dizaine d’années. «Il ne faisait pas partie des militants actifs mais il était dans le parti. Ce n’était pas un homme de terrain», témoigne un responsable du parti de Niasse. S’il n’était pas actif, c’est sûrement à cause à ses charges professionnelles. En 2009, il est le candidat de la coalition Benno siggil Senegaal à Yoff, lors des Locales, mais ne peut empêcher la victoire de la libérale Oumou Khairy Guèye Seck, ministre de l’Elevage sous Wade.
Transfuge de l’Afp
Sans être un membre du Parti socialiste, Diouf Sarr hérite de Mamadou Diop en 1996, les rênes de la Cellule d’appui aux élus locaux. Il va quitter ce poste pour «mettre à l’aise» «Diop le maire» car convaincu par le discours de Moustapha Niasse lors de son fameux appel du 16 juin 1996 créant l’Afp. Mais Diouf Sarr doit s’imposer à Yoff. Lors des Locales de 2014, Abdoulaye Diouf Sarr, devenu apériste et directeur du Coud, tente le forcing pour faire cavalier seul. Car Macky Sall aurait tranché en faveur de Dr Ndir. «Lors des négociations au Méridien Président (King Fahd Palace. Ndlr) au sixième étage, on était tous là, Abdoulaye Diouf Sarr, Moustapha Ndir et moi-même devant les ministres Mbaye Ndiaye et Mary Teuw Niane. Ce dernier a lu le message du Président qui voulait que le Docteur Moustapha Ndir conduise la liste majoritaire de Benno bokk yaakaar et Abdoulaye Diouf Sarr la proportionnelle. Abdoulaye Diouf Sarr a fait un forcing, il n’a pas été choisi», raconte Birame Gningue, candidat malheureux à la mairie de Yoff. Diouf Sarr décide de passer outre les directives présidentielles et tente son va-tout. Au soir de ce 29 juin 2014, les urnes lui donnent raison. Il est largement élu et évite à sa commune la razzia de la coalition Taxawu Dakar de Khalifa Sall, contrairement aux autres responsables de l’Apr de la capitale. Lors de son entrée dans le gouvernement en 2014, il aurait eu une houleuse discussion avec Thierno Alassane Sall qui dirigeait les cadres de l’Apr. «Lorsque Diouf Sarr entrait dans le gouvernement, Thierno Alassane Sall avait été limogé à cause de la défaite à Thiès aux Locales. Il a commencé à faire des communiqués contre le gouvernement. Mais Diouf Sarr, qui dirigeait les cadres Apr de Dakar, l’a sérieusement recadré en lui disant : «Thierno, quand tu étais dedans, on t’a soutenu. Donc, tu ne peux pas avoir cette position»», raconte un cadre de l’Apr.
Homme de forcing ?
Un homme de forcing, «hautain» et «clivant» pour certains, l’homme qui affectionne souvent les tenues traditionnelles, a souvent donné du grain à moudre à ses détracteurs. «Il gère la mairie avec un groupe restreint. Tout le monde n’est pas associé», accuse Penda Ndiaye Cissé, patronne de l’Afp à Yoff.
En octobre 2015, Abdoulaye Diouf Sarr retire la gestion des ordures à Khalifa Sall pour créer l’Ucg. 6 mois plus tard, il sabre Aïda Mbodj de la présidence du Conseil départemental de Bambey pour cumul de mandats. «Lorsqu’il commence une chose, il y va jusqu’à bout. Diouf Sarr est très courageux. C’est une de ses qualités», loue un conseiller municipal de la commune de Yoff. «Abdoulaye Diouf Sarr s’acquitte bien de ses tâches de ministre. Il est très dévoué dans son travail. Je salue ses efforts. Sur le plan politique, il se bat bien aussi», a salué le Président Macky Sall lors de l’Appel 2017 des Layènes. Ce «courage» va le conduire à mener une bataille féroce pour casser la coalition de Khalifa Sall. A l’élection des membres du Haut-conseil des collectivités territoriales de septembre 2016, il convainc Macky Sall de créer une liste alors que le Président leur avait proposé de s’allier avec Khalifa Sall à Dakar. Diouf Sarr se retrouve comme tête de gondole de Bby à Dakar. Il «recrute» Alioune Ndoye, Jean-Baptiste Diouf, Doudou Issa Niasse, entre autres maires de Taxawu Dakar. Rêve brisé pour la mairie de Dakar En eaux troubles, Abdoulaye Diouf Sarr et Cie se font recadrer par le président de la République qui ne veut pas entendre de «patron de Dakar». Amadou Ba en profite pour mieux s’implanter aux Parcelles Assainies.
Aux Législatives, le ministre des Finances d’alors dirige la liste départementale de Bby à Dakar. Diouf Sarr est deuxième. «Il a accepté ce choix par loyauté à Macky Sall. Amadou Ba n’a rien fait pour mériter de diriger cette liste devant Diouf Sarr. Mais Diouf Sarr savait que sa base ferait la différence», explique un proche du désormais ex-maire de Yoff. Finalement, dans sa commune, Bby devance Manko taxawu Senegaal de Khalifa Sall de plus de 3000 voix. Alors, le responsable apériste de Dakar ne cache plus ses ambitions pour la mairie de Dakar. «Je veux être maire de Yoff puis maire de Dakar et après on verra», disait-il en 2014 à l’école Diamalaye, alors qu’il était directeur du Coud. Mais dans une capitale où la communauté layène est incontournable pour obtenir l’électorat, Diouf Sarr épouse en mars 2016 la fille et bras droit du khalife des Layènes, Sokhna Thiaw Laye, sa deuxième épouse. Né le 20 décembre 1963 à Yoff, où les préjugés prédisent un destin de pêcheur pour les hommes ou de bana bana pour les femmes, le jeune Diouf Sarr marche sur les clichés. Au début des années 80, il décroche son Bac scientifique au Lycée Blaise Diagne.
Afin de multiplier ses chances, il est hors de question pour lui de s’inscrire dans les universités sénégalaises. Mamadou Diop, responsable socialiste, lui offre une bourse d’études pour la France. Le voilà qui entreprend une expérience estudiantine au pays de Marianne. C’est le début de la galère car, l’université qui devait l’accueillir boucle les inscriptions en Médecine. Oui, Diouf Sarr voulait être médecin. Ça sent l’année blanche pour le jeune étudiant lébou, qui voit une main divine lui indiquer une issue. Tête bien faite Par hasard, il rencontre sur le chemin du retour de l’université, un certain Sidy Niang, un chef coutumier et ancien secrétaire administratif des freys de Yoff (police coutumière).
Direction Lyon.
Il vit chez M. Niang qui lui propose de s’inscrire dans le Rhône. A l’université Lyon lumière 2, Abdoulaye Diouf Sarr sort avec un diplôme de 3ème cycle en finance. Plus tard, il mettra la main sur un autre en institutions financières et finances d’entreprises, avec la mention Très bien, obtenu à l’université d’excellence Léopold Sédar Senghor d’Alexandrie, en Egypte. Il entré dans cet établissement par concours. Né un 20 décembre et étudiant dans une université qui porte le nom de Senghor, mort le 20… décembre 2001, l’histoire de Diouf Sarr (4ème promotion) comporte ainsi des symboles.
D’ailleurs dans cette école, il croise un certain Diène Farba Sarr, (2ème promotion) ancien ministre du Renouveau urbain, de l’habitat et du cadre de vie. Au-delà de la politique, Abdoulaye Diouf Sarr est un passionné de football. Durant sa jeunesse, il a joué dans son quartier natal de Ngaparou dans le championnat populaire des Navétanes. Une équipe dont il fut président avant d’être dirigeant à la zone 6 de Yoff. Tête bien faite, cela n’a pas suffi pour résister à l’ouragan Yaw. Les initiales de son nom ADS étaient transformées par ses partisans en «Abdoulaye Dakaroko Sokhla» (Dakar a besoin de Abdoulaye !). C’est désormais «Abdoulaye Dakar sokhlawko !», d’après les électeurs…
Babacar Guèye DIOP