Locales 2022 : Me Tine craint une instabilité post-élecotrale

par Dakar Matin

Me Abdoulaye Tine, avocat au barreau de Paris et président de l’Union social libéral, a passé en revue la question malienne. Pour lui, la Cedeao  est à côté de la plaque suite aux sanctions prises à l’endroit du Mali.  Pour lui, « le remède risque d’être pire que le mal. »

Nous sommes sur la dernière ligne droite de la campagne. Quel bilan en tirez-vous ?

Je peux dire que c’est un bilan satisfaisant. Aujourd’hui, avec l’émergence de partis politiques,  comme l’Union sociale libérale et la montée en puissance des mouvements  citoyens, on est en train de vivre un renouveau. Alors nous entendons des affrontements, mais ces affrontements ne font que refléter quelque chose de plus profond et un manque de culture démocratique. Les principes démocratiques ne sont pas compris ou assimilés.

En dehors de la campagne, avez-vous noté d’autres difficultés ?

Oui, on a vu le parti au pouvoir faire main basse sur les moyens de l’Etat pour avoir une longueur d’avance. J’ai relevé aussi les couacs à Malika, Keur Massar. Les citoyens de ces communes ne peuvent pas voter avec leurs cartes initiales. Ce qui fait craindre  un taux de retrait faible et le gouvernement ne fait aucun effort pour communiquer là-dessus.

Vous craignez une crise post-électorale ?

Oui. Mais à chaque fois que les acteurs vont vers une compétition au Sénégal, il faut un consensus autour du déroulé. Sinon après les résultats, cela peut faire craindre une instabilité post-électorale.

Etes-vous confiants par rapport au processus  électoral ?

On n’est pas confiant par rapport à la transparence du vote parce qu’il y a quelque chose qui a fait cruellement défaut. C’est le fait pour l’Etat de mettre à la disposition des autres formations ou des mouvements citoyens le fichier électoral pour que chacun de nous en vérifie l’authenticité et exerce à date utile des voies de recours, s’il y’en a. Aujourd’hui, il y a une symétrie d’information. Eux, ils savent ce qui se passe dans le fichier. Ils y entrent, en sortent comme ils veulent, alors que les autres formations ont beau faire des récriminations, mais  le gouvernement  a gardé le silence et cela n’augure pas d’une volonté de transparence. L’autre aspect, c’est le découpage de dernière minute.

Vous avez suivi ce qui se passe au Mali. Alors la Cedeao est-elle dans son rôle ?

Moi je pense que c’est une mauvaise stratégie de gestion de crise. J’ai fait ma thèse de Doctorat sur la gestion normative des crises par le Conseil de sécurité de l’Onu. C’est ce même  conseil  qui a inspiré la création des organisations sous-régionales. Dans la panoplie des mesures qu’une organisation doit prendre pour corriger le comportement d’acteurs récalcitrants, il doit y avoir une progressivité. Même la Charte de l’Onu a catégorisé les sanctions  d’une  priorité à l’autre. Aujourd’hui, là où la Cedeao a péché, c’est de vouloir imposer un blocus, même si les denrées de premières nécessité et les hydrocarbures n’en font pas partie.  Il y a des islamistes qui y opèrent. Un état qui traverse tous ces problèmes-là, et vous lui imposez un blocus, le remède risque d’être pire que le mal. Et c’est là où les Africains n’ont pas été intelligents. Déjà si la résolution que proposaient des pays aboutissait, la phase  à venir allait être une action militaire. Parce qu’on aurait évoqué le chapitre 7.

Il y a deux précédents qui doivent nous amener à réfléchir. Le premier, c’est la Libye. La  France est venue devant le Conseil de sécurité de l’Onu et a évoqué la responsabilité de protection et l’a obtenue sur cette base de la résolution 13/73 qui dit que « l’Otan pouvait intervenir pour arrêter les massacres. »  Mais nulle part dans la résolution, vous ne verrez qu’on autorisait la France à renverser le régime en place, à capturer Kadhafi et à le torturer. Quand il y a eu le chaos, le France s’est retirée immédiatement laissant à l’Afrique tous les problèmes. Si le Mali saute, les islamistes seront à Tambacounda. Donc il est de l’intérêt du Sénégal que le Mali ne soit pas déstabilisé. Il faut une gestion intelligente de cette  crise.

La Suède annonce déjà qu’elle va quitter le  Mali  et demain si les choses dégénèrent, la France et d’autres pays ne tarderont pas à quitter et nous n’avons pas la capacité de contenir cette crise ou de gérer la répercussion et les réfugiés. Ce qui va déstabiliser le Sénégal. On risque le pire avec le scénario à la Centrafricaine. La junte se focalise sur les sanctions et les islamistes ont progressé. Le vrai débat c’est que la France cherche à faire payer son rapprochement à travers cette compagnie Wagner. Mais c’était une guerre psychologique. C’est comme si la France disait au Mali que j’ai votre sécurité, je vais vous dicter une condition. Eux ils montrent qu’ils vont diversifier le partenariat. La France voit qu’avec ce rapprochement, le Mali n’a plus besoin d’elle et s’appuie sur les organisations sous-régionales pour sanctionner durement le Mali. Sinon, où était la France  quand Alassane Ouattara modifiait sa Constitution, quand Alpha Condé modifiait la Constitution ?

Il y a eu des assises au mois de décembre, bien que la junte a prolongé de 5 ans la transition. C’est exagérée ?

Pour moi, c’est exagéré et c’est inadmissible. La junte n’a pas vocation à rester au pouvoir, il faut que ces gens-là partent. Mais la stratégie n’est pas la bonne. Au lieu de sanctionner les tenants du pouvoir par des mesures ciblées, on va fatiguer le peuple. L’expérience en Irak, quand il y a eu l’invasion, est là pour avertir. Cela a renforcé Saddam. Le peuple ne critique plus la longueur de la transition mais se solidarise. Ce sera la même chose au Mali.

Les présidents regroupés au sein de la Cedeao ne mènent pas leur combat ? Le font-ils par naïveté ou le couteau sous la gorge ? 

Non c’est juste un complexe où il faut se départir. Quel que soit le Chef d’État européen ou américain, qui sera en place, il n’osera jamais regarder Abdoulaye Tine pour lui dire qu’il faut agir en ce sens. C’est  que les gens sont habitués à se référer à eux pour toute décision. Ce qui pose problème. Si vous n’avez pas un homme qui ne veut pas être libre c’est dommage.

On a le sentiment que les coups d’Etat reviennent mais aussi que les militaires veulent rester ?

La résurgence des coups d’Etat n’est que symptomatique. Dans les années 90, on avait lancé le processus de démocratisation d’ouverture de la démocratie. Un pays comme le Mali qui a connu des transitions avec Moussa Traoré  etc. Donc il y avait eu cette sacralité des Constitutions africaines. Quand les militaires entrent dans ce jeu, la plupart du temps, ils vont regarder. Alors ils cherchent aussi des gens plus crédibles. Mais les coups d’Etat que nous avons eus en Guinée, au Mali, tout cela c’est les armes qui répondent en un coup d’Etat sans arme.

Voyez-vous des sorties de crise pour le Mali ?

Evidemment. Que les Africains reprennent le dossier en mettant en avant leurs intérêts et surtout qu’ils  n’acceptent pas que des puissances étrangères les instrumentalisent dans des règlements de compte. Il faut que les gens disent que le peuple malien est le nôtre.

Me, et ce sentiment anti-français qui ne cesse de grandir ? 

Il faut faire la part des choses. Je ne pense pas que les peuples africains aient un sentiment anti français. On est à 65 ans après les indépendances. Il y a une élite qui est née et qui comprend les enjeux de ce monde. Donc on ne peut pas accepter que des puissances étrangères qui déterminent comment nous, dans notre zone géographique, devons fonctionner.

Est-ce qu’il n’y a pas un déficit de formation en géopolitique ?

Apparemment, avec quelques personnalités nous avons pris l’initiative de créer le Centre d’études des relations internationales et stratégiques. On a les Masters en relations internationales et en recherches. Il y a le centre des hautes études en sécurité de l’armée. Nous avons essayé d’apporter notre pierre à l’édifice.

Quelle lecture faites-vous du rejet de la loi criminalisant l’homosexualité par l’Assemblée nationale ?

Le droit est technique. Aujourd’hui, il y a un consensus fort. Tous les Sénégalais savent que cette pratique ne sera jamais légalisée. On est d’accord que notre tradition, notre culture rejette cela. Alors il y a des faits que l’on ne peut pas mettre dans d’autres catégories juridiques. Ce qui est de la contravention reste dans la contravention. C’est la technique juridique qui est ainsi faite. Il faut aborder la question avec aisance et tranquillité et il faut éviter d’être virulent. Le Sénégal doit réformer ses dispositions du code pénal, sinon on aura toujours ce débat-là. Il faut éviter le bricolage juridique.

MOMAR CISSE 

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