Wasis Diop: «Pourquoi je suis resté silencieux durant 7 ans»

par pierre Dieme

Wasis, le prénom est culte, tant le personnage est attachant et la personnalité touchante. Interviewer Wasis c’est écouter un chanteur qui parle, nous parle et pousse à réfléchir car avec lui le mot suggère toujours une idée programmatique. Chanteur éclectique, parolier pensant, l’homme est l’emblème de l’artiste sur le parapet de l’univers, toujours en osmose, au fait de ce qu’il déclame, tant il est au faîte de l’art du verbe. Aussi n’est-ce jamais étonnant que sous une musique dépouillée de fard, il meuble nos oreilles mélomanes de douceurs acoustiques enrobées de propos hauts en idées.

Wasis, plus qu’un chanteur, est un citoyen du monde qui est aussi à l’aise quand il chante Paris, la saisissante que quand il nous étonne de sa maîtrise de sa culture africaine. C’est ce monument qui dit s’ignorer, l’humilité étant vertu, qui va se lire sur les pages éblouies de votre quotidien, après sept ans d’un silence chanté, gratifie le monde d’un album qui sera culte et devra s’écouter l’esprit alerte. Après sept ans d’absence, l’un des plus grands compositeurs du continent africain fait son retour avec « De la glace dans la gazelle. » L’artiste sénégalais signe un album dans lequel il aborde des thèmes actuels tels que les réfugiés ou la pandémie. « Reflet d’un voyage intérieur », il a notamment travaillé avec sa fille et réalisatrice, Mati Diop, sur le clip de Voyage à Paris, une chanson dédiée à sa ville de résidence.

Respect l’artiste…

Sept ans que vous n’aviez pas sorti d’albums. Pourquoi être resté si longtemps silencieux ?

Tout simplement parce qu’il y a tellement de tentations dans la vie (rire) qui ne sauraient être que la musique. Il y a beaucoup de choses, de longues promenades, de longues méditations, pleins de choses à découvrir, d’autres disciplines artistiques à aller voir. Tout cela fait partie de notre travail.

On a le sentiment que ce titre «De la glace dans la gazelle» est arrivé après une très longue méditation. Quel est son secret ? Qu’avez-vous avez voulu dire par là ?

Je voulais tout naturellement dire que nous avons grandi dans des espaces de gazelles, et on va vers le Nord, les pays de glaces, ce cheminement des Africains. Ce n’est pas nous qui avons commencé, ce sont les tirailleurs sénégalais qui ont d’ailleurs commencé à faire le chemin (rire). Je voulais sublimer ce qu’on appelle le dialogue Nord-Sud, la gazelle et la glace  et les deux. La gazelle a besoin d’espace et la glace a besoin de dévaler les montagnes pour se transformer en eau.

Vous vivez à Paris en partie, vous êtes entre le Sénégal et la France. Pourquoi ce choix ?

Paris c’est vraiment mon centre de vitalité, le centre un peu  du monde.

Vous en parlez avec Nostalgie. Pourquoi ?

C’est parce qu’en réalité, c’est comme si je n’étais jamais arrivé à Paris. Paris est encore un rêve pour moi. D’ailleurs, la chanson que j’ai dédiée à cette ville « Voyage à Paris » est une chanson chargée de beaucoup de choses. En un instant, il y a beaucoup de choses qui se passent : des amants sur les bancs, des gens sur les ponts. C’est une ville absolument extraordinaire et j’ai voulu composer cette chanson qui parle finalement aussi des réalités, c’est-à-dire des gouttes de sang sur les trottoirs, mélangées avec des confettis, Notre Dame de Paris qui prend feu. Je trouve tout ça extraordinaire. C’est une ville belle, tragique aussi.

Quand on écoute cet album, il nous fait penser au travail d’un peintre minutieux, d’un perfectionniste, d’un poète, d’un artiste. Vous travaillez toujours comme ça ? 

Ce que je fais est beaucoup plus simple que ça. En tant qu’artiste, si on savait ce qu’on faisait réellement, on aurait du mal à le faire. Après, je me demande si ce n’est pas plus ordinaire ce que je fais, je n’ai pas l’impression de me réveiller avec de grandes phrases ou alors de grandes intentions, tout ça se fait naturellement. En marchant, en montant chez moi, en dormant, en vivant finalement comme tout le monde.

Est-ce le reflet d’un voyage intérieur ?

Je dirai plutôt ça oui, c’est le reflet d’un voyage intérieur !

Dans cet album, vous abordez beaucoup de thèmes ? Qu’avez-vous eu envie d’y mettre ?

Quand j’ai fait la chanson sur la pandémie, j’avais vraiment peur que ce soit racoleur. Il y a eu beaucoup de chansons qui ont été créées, moi j’avais déjà conclu, déjà fini mon album avant tout ça. Je ne savais pas que nous avions rendez-vous avec cette terrible année de 2020. Je me suis dit qu’il faut vraiment écrire une chanson sur cette histoire, car elle est vraiment extraordinaire. Je ne veux pas un jour regretter d’avoir raté finalement quelque chose qui est immense, qui remet en place l’homme tout puissant pourtant.

BIOGRAPHIE

Wasis Diop est né vers 1950 à Dakar au Sénégal où son père est un haut dignitaire issu de l’ethnie des Lébou. Il est élevé avec ses nombreux frères et sœurs dans le quartier de Colobane. C’est là que vers 14 ans, il se met à la guitare. N’étant pas issu d’une famille de griots, il n’est pas très facile pour lui de se lancer dans la musique. C’est pour cette raison qu’il quitte le Sénégal au tout début des années 1970 pour la France. Vers 1974, Wasis rencontre un autre musicien sénégalais originaire de Guinée-Bissau, Umban Ukset. Ensemble, ils jouent d’abord en duo puis en viennent à créer une véritable formation, West African Cosmos. Bien longtemps avant ce qu’on appelle la world music, West African Cosmos fusionne les sonorités occidentales et africaines et fait de l’afro-jazz. Pendant des années, le groupe ne cesse de tourner à travers le monde et sort un album sur le label Cbs. Wasis Diop quitte le groupe en 1979 pour travailler seul. Il continue cependant de donner quelques concerts avec eux jusqu’en 1981. Mais, cette période est surtout consacrée aux voyages. Il se retrouve au Japon où il rencontre Yasuaki Shimizu, un musicien japonais avant-gardiste et avec lequel, il travaillera souvent dans les années à venir. Mais surtout, entre 1979 et 1980, il s’installe huit mois en Jamaïque où la scène reggae est alors en train de sortir de ses frontières. Très ami de la mère de Bob Marley, Cedella, Wasis se lie aussi d’amitié avec Jimmy Cliff. Il enregistre même un album d’un style étrange, le reggae-punk, avec le groupe Autocar. En 1980, il quitte l’île et s’installe à nouveau en France.

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