“Les amateurs sont restés sur leur faim…”. Cette expression revient telle une antienne à la fin de chaque grande soirée de lutte. Les week-ends de sinistrose s’enchaînent dans l’arène nationale. Il y a, en effet, longtemps- le remake de Modou Lo-Eumeu Sène- que les passionnés lutte n’ont plus connu un combat d’anthologie. Cette saison, les trois chocs qui viennent de se tenir nous ont tous laissé un goût d’inachevé pour des raisons diverses : violences, pauvreté du spectacle, manque d’initiative des lutteurs.
Le combat Bombardier-Balla Gaye II de dimanche dernier n’a pas dérogé à la règle : parti sur le des chapeaux de roue, l’affrontement a vite glissé vers un long voyage au bout de l’ennui. Une énième affiche qui s’est décidée par le nombre d’avertissements récoltés par un des combattants ! Sans jouer les nostalgiques, on est bien loin du panache affiché par un Moustapha Gueye, qui, fidèle à son slogan “j’attaque, je cogne et je gagne”, donnait au public ce qu’il voulait : du courage, du sang et du spectacle.
Désormais, non seulement le spectacle dans l’arène est inexistant mais il est devenu invisible pour le grand public, et c’est ça le plus triste dans l’affaire.
La lutte est le sport national le plus populaire. Depuis quelques années, toutefois, la ferveur autour de ces rendez-vous, qui allient tradition, folklore et business, s’est fortement érodée. S’il en est ainsi, les promoteurs en sont les principaux fautifs. Ce qui faisait le charme de ces combats, au-delà du show dans l’arène, c‘est la communion, le rassemblement qu’elle entraînait autour de la télévision. C’est sur le petit écran, durant ces longs après-midi de partage, de discussions, de dispute, de fâcherie, de joie et de peine, que la lutte sénégalaise a réellement forgé sa notoriété et son succès.
Mais, hélas, comme beaucoup d’autres disciplines, la lutte est aujourd’hui victime d’une transition mal maîtrisée vers le sport-business.
Voulant sans doute s’inspirer du modèle de la boxe américaine, les promoteurs ont instauré, depuis quelques années, un système pay-per-view pour la diffusion des combats. Comme lors de chaque innovation, le public a pour le moment du mal à se familiariser avec cette nouvelle forme de consommation du divertissement. Ce qui fait que la lutte est coupée de ses racines populaires. Les combats se déroulent désormais dans un relatif anonymat. Certes, il y a des passionnés qui paient pour regarder, mais la grande majorité utilise le système D pour avoir les images. Et il n’est même pas sûr au final que les promoteurs y trouvent leur compte, tout comme les lutteurs, notamment les plus jeunes, qui souffrent d’un déficit criard de notoriété.
Au-delà de l’aspect sportif, le problème majeur de lutte se trouve, précisément, dans cette crise d’identité et de croissance.
La lutte comme le football, et bien d’autres sports populaires, a besoin du public pour exister. Et le vrai public, en dehors des stades, est devant les écrans de télévision.
Adama NDIAYE
Photo : Abdoulaye SYLLA