Le traitement médiatique que la presse a effectué sur l’affaire concernant le maire coriace Barthélemy Dias convoqué à la Cour d’Appel de Dakar le 10 novembre dernier laisse beaucoup de Sénégalais dubitatifs sur l’honnêteté de plusieurs journalistes de la presse écrite. À lire, le lendemain, certaines unes goguenardes quasi-identiques sur le soi-disant échec de la mobilisation populaire autour de Dias, on se demande si réellement, ils ont vécu et couvert le même événement retransmis en direct par les médias alternatifs que constituent les réseaux sociaux. Mais en termes de malhonnêteté et d’imposture intellectuelles, rien de nouveau sous le soleil médiatique puisqu’il est arrivé le mercredi 3 août 2016 qu’une même interview, signée par chaque rédacteur en chef ou directeur de publication des médias concernés, apparût concomitamment dans quatre quotidiens : « Le Témoin », « Libération », « Le Populaire » et « L’Observateur », avec les mêmes chapeaux, les mêmes titres, les mêmes questions et les mêmes ponctuations. L’écosystème informationnel en était tellement secoué et honni au point que l’alors président du Cored, Bacary Domingo Mané, exaspéré, parlât d’une « affaire gravissime, manipulatrice et suspecte » violant l’éthique et la déontologie journalistiques. « Le Cored ne peut pas comprendre que quatre organes de presse présentent à leurs lecteurs une même interview qui a le même titre et le même contenu et à la virgule près », s’était indigné Mamadou Thior, chargé de la communication du Cored.
C’est devenu une trivialité de voir quotidiennement des journaux qui affichent les mêmes unes, abstraction faite de toute coïncidence. Mais rien de surprenant si l’on sait que les rédacteurs en chefs et directeurs de publications de plusieurs de ces journaux sont sustentés, voire stipendiés par des affairistes de haut vol flirtant avec le pouvoir politique dominant. Il appert que la presse subit existentiellement les coups et contrecoups d’une crise économique avec les charges multiples relatives aux salaires, à l’impression, au fisc et à la location pour certains organes, mais ce n’est point une raison pour prostituer sa sainte plume. Par conséquent, quand l’on ne peut pas résister aux voluptés enivrantes des espèces sonnantes et trébuchantes, on marchandise son information au plus offrant. Si certains médias sont devenus poreux aux miasmes du gain et au prurit du lucre, c’est parce qu’ils subissent servilement la mainmise et l’emprise des puissances d’argent dont les intérêts sont portés et colportés par certains journalistes bassement véreux et vénaux.
Et le journaliste français Jean-Claude Guillebaud de parler ainsi de « journalisme de révérence, de conformisme et de suivisme progressivement englué dans un réseau de connivence et de sympathie qui habillent de sourires déculpabilisants une corruption new-look ». Ainsi les médias considérés contre-pouvoir, avec de telles pratiques ignobles qui avilissent et discréditent la profession, deviennent un pouvoir du pouvoir pour ne pas dire des médias au service du pouvoir.
Pour beaucoup, si les journalistes traitent invariablement et simultanément la même actualité de la même façon, c’est parce qu’ils sont sous le joug de leurs bailleurs encartés au pouvoir politique dominant leur enjoignant systématiquement l’article qu’il faut publier en une. Souvent après certaines revues de presse, on a le profond sentiment que la majorité des journalistes écrivent dans la même direction. Les politiciens Mohamed Ndiaye Rahma et Habib Niang, à force de faire régulièrement des unes mémifiées, sont devenus les chouchous d’une certaine presse écrite en déliquescence, d’une certaine presse en ligne en décadence et d’une certaine revue presse fortement « griotisée ». Il ne se passe pas une semaine sans que l’un des deux ou les deux en même temps ne bénéficie(nt) d’un article bien ripoliné par la pointe d’une plume suintante exhalant les senteurs fétides d’une encre corrompue. Leur moindre rictus public est survalorisé, surmédiatisé dans les colonnes des journaux et les revues de presse. La désinvolture a atteint son paroxysme.
Ces travers sont symptomatiques de l’état de collapsus économique dans lequel geint la presse sénégalaise. Au Sénégal, le président Sall s’enorgueillit sur certains tréteaux de n’avoir pas dans ses prisons un seul journaliste embastillé pour avoir exprimé ses opinions ou divulgué une vérité factuelle. Pourtant le Sénégal a reculé dans l’édition 2021 du Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF). Notre pays occupe la 49e place sur le p lacement mondial de la liberté de la presse. Il est 7e sur le continent africain perdant ainsi deux places. Une manière de dire que la presse va mal dans ce pays. Aujourd’hui, beaucoup de journalistes végétant dans des organes de presse impécunieux étouffent dans les prisons crasseuses et crapoteuses des difficultés financières asphyxiantes auxquelles ils sont confrontés dans leur tragique quotidienneté. Et pour s’en affranchir, certains sont prêts à mettre à l’encan les deux vertus les plus quintessentielles chez un professionnel des médias : la dignité et l’honnêteté.
Revenant à la convocation du maire de Mermoz-Sacré-Cœur à la Cour d’Appel, il faut aussi noter que les grands médias audiovisuels ont préféré se carapater plutôt que couvrir l’événement en live. Comme une sorte de conspiration tacite, ces médias mainstream ont refusé de retransmettre en direct ce qui constituait l’actualité phare ce jour du 10 novembre. Certains médias télévisuels très suivis pendant ces moments de tension politique ont préféré diffuser des programmes hypnagogiques allant dans le sens d’endormir les sens et d’annihiler toute sensibilité pouvant susciter une forme de révolte individuelle contre toute injustice de la justice inféodée au pouvoir politique dominant. C’est leur liberté éditoriale.
Mais l’on considère que l’oukase du Tsar du CNRA Babacar Diagne prohibant, lors des événements de mars dernier, « toute diffusion d’émissions, de programmes, de contenus ou de propos faisant explicitement ou implicitement l’apologie de la violence » est encore rémanent. Aujourd’hui, la quasi-totalité des médias audiovisuels n’ose plus diffuser les images de manifestations du genre de mars dernier. La censure institutionnelle a laissé place à l’autocensure professionnelle. Ce 10 novembre, le CNRA dans son omnipotence a réussi à domestiquer certains médias traditionnels au point de les réduire à de vils gate-keepers, privant la sphère publique d’une information à laquelle elle a, irrécusablement, droit. Mais comme le dit la Charte de déontologie des journalistes français universalisante « le droit du public à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste, guide le journaliste dans l’exercice de sa mission. Cette responsabilité vis-à-vis du citoyen prime sur toute autre ».
À y regarder de près, ce principe sacro-saint du journalisme ne parvient pas encore à franchir la porte de certaines rédactions. L’actualité doit rythmer le tempo et la couverture médiatique des faits. Mais pour la journée du 10 novembre, c’est la pétoche ou la poche qui sont passées par là. Et cela au grand dam des téléspectateurs qui, en pareille occurrence, restent scotchés à leur petit écran pour être au parfum de l’événement du jour. En cette ère numérique révolutionnaire où les médiawebs font tomber les Bastilles médiatiques naguère inexpugnables, il serait salutaire pour les médias dominants réputés pour leur rétivité et leur disruption de ne pas se laisser intimider par un CNRA déphasé dont la mission première est d’anesthésier ou de museler leur grande gueule puante de vérité dérangeante. Faute de quoi, l’opinion se détournera d’eux sans barguigner. Et la remontada, en cas de perte d’audience, risque d’être pénible.