Si les déclarations de Macky Sall à Paris, suscitent aussi bien de la surprise, de l’indignation et de la dérision, c’est qu’il y a beaucoup à dire.
Surprise. D’abord : le lieu, la scène Paris, se trouve loin des « théâtres d’opération », pour emprunter un des termes guerriers qu’il adore tant. Le président de la République qui a tenu à répondre à ses opposants qui ont investi les rues de Dakar avec la convocation de Barthélémy Diaz au tribunal, avait-il besoin de le faire hors du pays ? Même si Sall leader de l’Alliance pour la République (Apr) et de la coalition Benno Bokk Yakaar était en plein meeting, il n’est pas indiqué de laver le linge sale du Sénégal à l’Hexagone. Tout est dans la symbolique. D’ailleurs, le monde aujourd’hui plus qu’hier n’est-il pas un interminable défilé de symboles ?
« En temps de guerre, la mort et le symbole triomphent des sentiments », pour reprendre l’écrivaine palestinienne Sahar Khalifa. Macky devrait penser à cela avant de s’insurger contre Khalifa Sall et les autres loin de nos frontières.
Indignation. Ensuite, les menaces présidentielles contre les menaces de ses adversaires, indignent et rebutent. Elles en rajoutent à la tension déjà vive au moment où lui Sall, devrait pouvoir être au dessus de la mêlée. Aujourd’hui, il pouvait être plus à l’aise et ne plus être la cible de l’opposition et autres franges de la société sénégalaise s’il n’entretenait pas le flou sur une éventuelle candidature en 2024. En adoptant un « ni oui ni non » problématique et en montrant à longueur de jours, à partir d’actes et de paroles, qu’il penche plus pour le « Oui », il donne des armes à ses contempteurs. Ceux-ci gagnent de plus en plus en confiance car utilisant non seulement des arguments à portée de main ayant été utilisés dans un passé récent contre Wade mais des positions tranchées de Macky Sall et de son ancien ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall sur l’impossibilité d’une troisième candidature déjà réglée par la Constitution répétant comme un leitmotiv la fameuse phrase : nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.
En martelant, sur un ton guerrier qu’il n’a pas peur, demandant chemin-faisant à ses militants de lutter pour gagner les locales et les législatives à venir, il accentue le doute et donne raison à ceux qui pensaient que les déclarations de son Directeur de cabinet sont aussi les siennes en dépit des condamnations violentes de Yakham Mbaye. Mahmout Saleh qui avait affirmé que les locales sont un test pour Macky et la candidature en 2024, reste en poste. Sall n’a pas franchi le rubicon à Paris mais il tient à ces joutes comme à la prunelle de ses yeux et compte manifestement sur une possible légitimité des urnes et sur l’appui de la force publique pour être sur la ligne de départ en 2024. Le rapport de forces sera donc encore au rendez-vous. Seulement, à Paris, le chef de file de l’Apr a montré des faiblesses. Le champ lexical utilisé, la manière de l’exprimer, cachent difficilement des doutes et un mal-aise. Sa boutade : « Personne ne peut m’intimider » peut être analysée comme les propos de quelqu’un qui subit, qui résiste, qui n’est plus le maître du jeu qui dicte la conduite à tenir. Il sent apparemment un poids sur ses épaules pourtant pas frêles, une forte pression morale, une pression de la rue, comme ce qui s’est passé à Dakar mercredi dernier et qui risque de se reproduire. Macky-le- guerrier, qui fonçait sabre au clair, qui forçait commence-t-il à mesurer les conséquences d’une obsession pour un troisième mandat de tous les dangers ici et ailleurs ? Ne montre-t-il pas des signes d’essoufflement, de doutes, de peur de lendemains incertains ? Ce serait un signe d’intelligence et de clairvoyance s’il parvient à décrypter les conséquences inhérentes à un aveuglement suivant les consignes de zélés faussement courageux.
Pékh, Paris, pari risqué…
Au-delà, d’une opposition qu’il n’a pas réussi à « réduire à sa plus simple expression », il y a ce parti de la demande sociale, cette majorité taciturne qui est capable de se réveiller à tout moment et de se montrer féroce comme c’était le cas en févier-mars 2021.
Dérision. Enfin, à Paris Macky Sall était à côté de Mbaye Pékh qui donnait de la voix en encourageant l’air menaçant de son patron du jour. C’est le côté anecdotique du meeting de Paris. En plus de sa voix aiguë grossissante, ce griot assidu de nos Républiques, était très présent à la limite encombrant. Ce qui devait faire peur au chef et à tous ses soutiens. Pékh est l’incarnation de la constance dans la subordination sous-tendue par des intérêts bassement personnels. Abdou Diouf et Abdoulaye Wade l’ont appris à leurs dépens. Macky Sall est peut-être conscient que ce Pékh si opportuniste et les hommes de son engeance, sont nombreux autour de lui et ne font qu’œuvrer pour sa perte. Il n’est pas pertinent de prendre au sérieux une telle catégorie de personnes très peu recommandables car pouvant suivre la direction de tous les vents favorables. Elles sont capables de répéter des mots sans même comprendre leur sens. Tout comme elles n’hésitent pas à lâcher un bienfaiteur en mauvaise posture. A voir Mbaye Pékh et ses grands gestes à proximité de Macky qui crie sa « bravitude », on croirait à de la comédie. Pourtant, l’heure est grave. La tentation du diable est bien remarquable. Elle enchante les passionnés. Elle enfante toujours de la tragédie. Elle est fatale aux rois irréfléchis.
L’info Chronique de Mame Gor Ngom
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