Macky Sall n’est-il pas devenu le président le plus impopulaire de l’histoire de la République ?

par pierre Dieme

De tous les régimes qui se sont succédés à la tête du pays, celui du présidentMacky Sall, à l’ère des réseaux sociaux, de l’activisme ambiant, des lanceurs d’alertes au fait, d’une jeunesse encore plus consciente 50 après les indépendances…. n’est-il pas devenu par conséquence le régime du président le plus impopulaire de l’histoire de la République du Sénégal?

De tous les régimes qui se sont succédé à la tête du pays, celui du président Macky Sall, à l’ère des réseaux sociaux, de l’activisme ambiant, des lanceurs d’alertes, du fait d’une jeunesse encore plus consciente 50 après les indépendances…. n’est-il pas devenu par la force des choses le régime du président le plus impopulaire de l’histoire de la République du Sénégal? Paradoxalement, lorsqu’il accédait au pouvoir en 2012, le Chef de l’Etat était le président le plus bien élu avec un score inédit. Pour quelqu’un qui venait de signer sa première participation à une élection présidentielle, la prouesse était inédite. De contentieux en contentieux, le président Sall a fini par réussir l’exploit de devenir très impopulaire auprès d’une jeunesse qui avait misé sur lui. Aujourd’hui, au vu de plusieurs paramètres, tout laisse croire que malgré sa poigne et ses innombrables projets, Macky Sall serait un bon candidat au poste de président le plus impopulaire que la République ait connu.

Si sa légalité ne souffre pas de contestation, Macky Sall semble perdre de plus en plus de légitimité auprès de son peuple. La chute vertigineuse de son aura, l’effondrement de son image d’homme populaire aux lendemains de son accession au pouvoir, la désacralisation de l’institution qu’il représente et les attaques récurrentes à son égard, ne sont pas sans explication. Opposant, Sall était une « boite à idées » nouvelles et rassurantes (avec son programme « Yonu Yokkute), mais sa pratique du pouvoir a fini par prendre une axe différente. Toux ceux qui se rappellent les derniers instants de son opposition à Wade se souviendront d’un homme mû en Samaritain pour sauver le peuple autant sur le plan économique, social que sur les questions des libertés individuelles. Président, Macky a tout renié et, sans se soucier d’y mettre la forme, il se complait de revenir sur ses promesses, s’auto-fragilisant ainsi avec des « Wax-Waxeet » (reniements).

Senghor et Diouf, une impopularité légalement justifiée

Tous les régimes ont, en un moment de leur vécu, fait face à des périodes difficiles supplantant leurs moments de gloire. A cause des difficultés socio-économiques- c’est le plus souvent le cas- les régimes perdent leur « état de grâce » au bout de quelques années d’exercice. Pour le premier président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, malgré un début de mandat extrêmement poussif, avec notamment l’épisode du « coup d’Etat » de décembre 1962 qui a servi à mettre hors course Mamadou Dia, président du Conseil, il faudra attendre 8 ans pour voir un début de remous et de défiance envers le régime. C’est exactement en 1968 que le « père fondateur » va faire face à des mouvements de contestation forts, une grève générale assez longue et soutenue pour faire vaciller son régime.

En outre, ses mandats renouvelés aux élections de 1963, 1968, 1973 et 1978, n’ont été que des des victoires de façade. Hormis la dernière échéance, toutes les autres ses sont faites sans une représentation d’un prétendant, Senghor était le seul à concourir aux suffrages des Sénégalais. Même si légalement, il était Chef de l’Etat, la réalité sur le terrain laissait apparaitre un président contesté qui, non seulement n’a pas réussi à redresser la situation économique née de la longue période de sécheresse des années 1970, mais aussi et surtout un homme qui se maintient au pouvoir de façon illégitime. Cette impopularité, Senghor qui était entouré de cadres aussi intelligents que lui, a su la percevoir; elle a été sa principale raison de céder le pouvoir à son premier ministre Abdou Diouf en décembre 1980.

Accédant au pouvoir sans passer par une élection, le président Abdou Diouf a eu des débuts de pouvoir contestés, aussi bien du coté de l’opposition que parmi les barrons du Parti socialiste (PS). C’est ainsi que la victoire qu’il remporte en 1983, lors de sa première présidentielle, agit comme une bouffée d’oxygène tant elle légitime son statut de président de la République. Toutefois, comme son prédécesseur, le long règne de Diouf va finir par faire sortir le « monstre » politique qui dormait en lui. Autant que les défis sociaux et économiques, ce sont les élections de 1988 et 1993 qui vont rendre le deuxième président très impopulaire. Au-devant de la scène de contestation, se trouvent les jeunes qui s’attaquent au président de façon récurrente et rejoignent le parti de Wade pour trouver solutions aux questions de chômage. On peut donc retenir que c’est non seulement le respect de l’Etat de droit mais aussi la question de l’emploi qui ont rendu impopulaire le règne de Diouf. Aussi les différentes années blanches et années invalides connues sous lui, la radiation injuste de milliers de policiers policiers en 1987, la violence politique contre les partis de l’opposition, ne l’ont pas aidé à faire de son image de technocrate celle que devra retenir la postérité.

Abdoulaye Wade et le contentieux de la dévolution monarchique du pouvoir

Grand bâtisseur à ses débuts, lors de son premier mandat notamment, le président Abdoulaye Wade n’a pas eu de difficultés de se créer une popularité affirmée. Ses années d’opposition qui présument une certaine expérience, son âge avancé qui fait croire à un homme plein de sagesse, ses idées exposées lors de la campagne électorale de février 2000, feront qu’un grand espoir sera placé en lui. Pendant plus de 5 ans, malgré la catastrophe maritime de septembre 2002 ayant fait plus de 2000 morts, le troisième président a su maintenir son image intacte et l’adhésion du peuple à son égard constante. Considéré comme un messie, ses initiatives et son leadership tant au niveau national que continental seront à l’origine d’un « état de grâces » aussi long. C’est en effet à partir de 2005 que le Pape du Sopi commence à voir sa popularité mise en mal dans l’affaire l’opposant à son numéro 2 et ancien Premier ministre, Idrissa Seck. Et même s’il réussit à se maintenir au pouvoir lors de la présidentielle de 2007, on retiendra que le piétinement de l’Etat de droit a été la principale raison de sa dégringolade.

C’est notamment le cas quand il dut se séparer, par l’adoption de mesures ciblées, de Macky Sall qu’il venait de faire migrer de la Primature à la présidence de l’Assemblée nationale. Véritable monstre politique, Wade s’en va jusqu’à tripatouiller la constitution pour faire de la place à son ancien fils et superpuissant ministre. Si la goutte de trop est l’introduction de la loi sur le ticket présidentiel et le quart-bloquant, le 23 juin 2011, il ne faut pas faire l’impasse sur les remous sociaux- émeutes de la faim en 2008, émeutes de l’électricité en 2010 entre autres- qui ont complètement entaché l’image de Wade. Le clientélisme, la gabegie, l’arrogance de son entourage, et la patrimonialisation du pouvoir vont d’ailleurs précipiter sa chute en 2012, laquelle n’est que l’aboutissement d’une impopularité constamment entretenue.

Macky Sall, une impopularité à la hauteur des espoirs déçus

Plus que Wade même, Macky Sall a été à la date de 2012 le président le plus bien élu. Son score confortable et l’adhésion populaire lui conférèrent une popularité reconnue. Cela a été d’autant plus le cas que le Chef de l’Etat avait reçu la bénédiction de toutes les formations politiques de l’alors opposition et celle des mouvements citoyens; c’était le fameux « Tout sauf Wade ». Cependant, dès 2013, le président Sall a commencé à perdre cette assise populaire du fait de décisions controversées dont la première fut le reniement quant au nombre de ministres dans son gouvernement. Il avait promis 25 sur la base d’une documentation convaincante, et pour des raisons politiques, il finit par en chercher plus d’une trentaine.

Au fur et à mesure de son premier mandat, Sall enchaine les reniements. Dès lors on peut constater que son plus grand tort à une partie de la population, qui a pris ses distances par rapport, reste son « wax-waxeet » au sujet du mandat de 5 ans. Malgré une confirmation et reconfirmation, faites à la presse nationale comme internationale, Macky Sall a fini par montrer au peuple que sa parole n’était ni le Coran ni la Bible. Cette désacralisation de la parole présidentielle, plus que les attentes non satisfaites sur les plans économique, politique et social, a été le déclic de son impopularité grandissante. Ce n’est pas que sur ces deux points que le quatrième président a déçus certains Sénégalais, cela va jusqu’au pillage des ressources naturelles par des entreprises étrangères.

Des décisions pro-colonialistes

Le président Sall était attendu sur beaucoup de dossiers lorsqu’il accédait au pouvoir. A côté d’une soif inextinguible de l’Etat de droit, les citoyens ne cachaient pas leur désir de rompre définitivement avec le colon français. Il faut dire, avec regret, que sur ce plan l’indépendance politique n’est pas encore acquise. On se rappelle bien qu’aussitôt élu, le président Sall s’était rendu en France comme pour refaire les liens que Wade avait défaits en se détachant de la tutelle exclusive des Français. A y voir de plus près, à côté des questions relatives au respect des droits politiques, le plus grand reproche qui est fait à Macky Sall de façon récurrente touche justement à la question du néocolonialisme. Il suffit d’interroger l’histoire récente des manifestations des organisations de la société civile pour comprendre le degré de vassalisation de la pratique de l’Etat par Macky Sall envers les présidents français.

La naissance des mouvements tels que « Aar Li Nu Bokk » (pour lutter contre le bradage des ressources minières notamment le dossier Frank Timis), le FRAPP et l’ONG Urgences Panafricaines (qui appellent à la résistance contre le néocolonialisme) sont ainsi justifiés par le comportement du président Sall que certains appellent d’ailleurs « sous-préfet » de Macron. Le fait est que, loin d’être une présentation caricaturale, le Chef de l’Etat donne raison à ceux qui soutiennent qu’il prend ses ordres du Français Emmanuel Macron, tant leurs faits et gestes sont similaires quant à l’orientation macroéconomique et politique de notre pays. Voilà pourquoi, auprès des jeunes, quand bien même il peut se targuer d’avoir gagné le scrutin présidentiel passé avec 58,26%, Macky Sall reste très impopulaire.

L’arrogance de ses collaborateurs et l’impact des réseaux sociaux

Last but not the least, l’entourage du président de la République actuel ne l’aide pas à vendre son image auprès de l’électorat. Trempés dans des affaires peu catholiques, ils ont presque obligé leur patron à mettre leurs dossiers sous le coude, foulant ainsi l’égalité de tous devant la Justice. Pis encore, on assite à l’instrumentalisation à outrance de l’appareil judiciaire pour « réduire l’opposition à sa plus simple expression ». Tout comme les injustices combattues sous Wade, les populations répondent souvent à l’appel des formations politiques ou citoyennes pur dire leur mécontentement. En réponse, des mots du président et de son entourage ne règlent plus qu’ils n’apaisent leur courroux. Au contraire, comme sur la question du vaccin, Sall personnalise tout autour de lui et se détache souvent de la peau du président qui doit manier intelligence et patience pour convaincre ses pairs. Hélas, cet art n’est pas son apanage, et plus on tend vers la présidentielle de 2024, plus sa popularité prend un énorme coup. Ce fut d’ailleurs le cas lors de sa déclaration il y a deux jours à Paris où il déclare que personne ne peut l’intimider. Une position défensive qui laisse penser que Macky Sall n’est plus le maitre du jeu.

Si l’impopularité de Macky Sall semble manifeste, c’est bien parce qu’il y a les réseaux sociaux qui jouent un rôle d’alerte et de sentinelle contre les dérives. Moins que dans les régimes de Senghor et Diouf, et dans une moindre mesure dans celui de Wade, l’internet a libéré la parole en donnant aux citoyens la possibilité de se faire entendre en temps réel. L’information n’est plus contrôlée, la parole n’est plus guidée, la pensée unique se trouve démodée, la censure se conjugue au passé et les médias traditionnels n’ont plus le monopole du jeu de l’information et de la propagande. Voilà en fait la malchance de Macky Sall, c’est de tomber à une époque où tout se sait et se discute, compte non tenu des considérations catégorielles. C’est donc clair que si l’impopularité des régimes successifs n’est plus sujette à discussion, en un moment de leur évolution, à cause de l’entrée en jeu des réseaux sociaux où ses opposants règnent en maitre, le président Sall donne l’air du président le plus impopulaire de l’histoire de la République.

Par Ababacar Gaye/SeneNews

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